J’ai évoqué le mois dernier la figure ô combien emblématique de Paul Arène, auteur du « Curé de Cucugnan » publié dans les « Lettres de mon moulin » d’Alphonse Daudet (1840 – 1897).

Hors Cucugnan n’est pas en Provence, mais à une trentaine de kilomètres de Rennes-le-Château… à l’est du Bugarach. Quelles impérieuses raisons ont motivé Paul Arène à rédiger cette histoire d’un curé qui rend visite à ses ouailles décédées. Au Paradis, ils n’y sont pas. Au Purgatoire ? Personne… Ils sont tous à rôtir dans les feux de l’Enfer !

Je n’ai fait que peu de recherches sur ce fameux curé, par contre il est difficile parlant du Bugarach et de Jules Verne de ne pas évoquer l’étude de Michel Lamy sur l’auteur de « Clovis Dardentor ». Notre héros partant avec des amis en excursions en Oranie, à bord de L’Argeles commandé par le capitaine Bugarach. L’aboutissement de ce périple passe par Port-aux-Poules et « Aux poules » c’est la devise des Hautpoul de Rennes-le-Château. Curieux n’est-ce-pas ?

A Saint-Geniez comme à Rennes-le-Château nous retrouvons une sacrée cuvée d’initiés, Jules Verne ami d’Anatole France, de Delacroix, de Paul Arène, d’Alphonse Daudet mais aussi d’Emma Calvé, de Jules Bois, de Claude Debussy… Il devait bien exister des raisons valables pour que notre grand visionnaire des techniques du futur polarisât toute son attention sur ces deux villages totalement médiocres, tout au moins d’apparence, presque désertiques… Ce ne peut être, sans doute, que le bruissement des pièces d’or dans lesquelles le Diable prend son bain chaque jour.

Encore un mot sur Cucugnan, dans « Rennes-le-Château et l’énigme de l’or maudit » de Jean Markale, nous pouvons lire page 13, « Lorsque mon père me lisait le célèbre conte de Paul Arène -le Curé de Cucugnan- j’étais loin d’imaginer que Cucugnan se trouvait dans les Corbières. Eh oui… Cucugnan n’est pas tellement loin de Rennes-le-Château, selon la vision du brave curé il semblerait que les Cucugnanais se soient laissés prendre au piège de l’or du diable. En serait-il autant pour certains habitants de Rennes-le-Château ? » Par la suite dans les 300 pages de son livre, Jean Markale ne parlera plus du curé de Cucugnan.

Oui, mais il en a parlé ! Il avait ses raisons, c’est l’essentiel. Nul doute aujourd’hui que l’initié Paul Arène connaissait bien l’affaire de Rennes-le-Château. De plus, Roumanille, ami de Paul Arène, et membre du comité directeur des Félibres, association fondée par Frédéric Mistral et dont le caractère initiatique de ce groupe constitué ne doit pas nous échapper, écrivit le «Médecin de Cucugnan » qui faisait ressusciter les morts du cimetière du village… On retrouve, à nouveau, dans ce tourbillon de mots, de symboles, d’initiés, des jeux de miroirs reflétant à l’infini l’image contrariée du Mystère avec un grand « M ».

Rennes-le-Château, comme un miroir aux alouettes, une piste équivoque, incomplète sans nul doute et qui, pourtant, commence à poindre au grand jour… Dans ses contes et romans, Paul Arène nomme sa bonne ville de Sisteron de ces deux noms imagés :

« Cante-Perdrix » et « Rochegude »

Ce nom de Cante-Perdrix se décode à deux niveaux. Tout d’abord, le chant de la perdrix symbolise le langage des oiseaux, celui des initiés à un quelconque mystère, qui en véhiculent les arcanes sous des propos en apparence futiles. Ensuite, le nid de la perdrix, en Provence, c’est la cache du trésor et la perdrix chante toujours loin de son nid pour en éloigner les prédateurs… Paul Arène écrivit « Le trésor de la chèvre d’or ». L’action se passe dans le massif de l’Esterel, (étymologiquement nous retrouvons les mots : Estelle chère aux Félibres, mais aussi Ether de Dieu), donc toujours en Provence, mais assez éloigné, à vol d’oiseau dirons nous, de Sisteron-Théopolis, là où est en fait le trésor dont il parle, le nid de la perdrix.
Mieux encore et plus subtil, Paul Arène, dans son conte « L’hopital Gras », nous met en présence d’un paysan qui cultive des lupins (!) dans son champ et en retournant la terre découvre un coffre sans serrure. Le paysan part à pied, traverse la montagne de Lure chère à Jacques Gaffarel, pour se rendre en Avignon, là où réside le pape. S’agit-il de Pedro de Luna, élu sur le siège de Pierre, sous le nom de Benoît XIII (1)? Le Saint-Père doit faire appel à un docteur juif versé dans l’art de la kabbale, pour ouvrir le coffre récalcitrant aux offices des meilleurs serruriers d’Avignon. Le coffre s’ouvre sur son secret ; une liasse de parchemins ! et quelques poignées de pièces d’or… Le pape garde les parchemins et donne au paysan les pièces d’or. Celui-ci retourne à Sisteron et fait construire avec son or, l’hôpital Gras. Ainsi est-il passé dans l’existence en faisant le bien et continue à semer des lupins dans son champ. Nous nous garderons bien ici de poursuivre le décodage, tant semble évident à tout initié aux mystères de Rennes et aux romans de Maurice Leblanc le rapport induit, puisque Arsène Lupin en personne découvrit le trésor des rois de France dans l’aiguille creuse d’Etretat…(2) Quant à «Rochegude», nous n’omettrons pas de mentionner que c’est le nom d’un amiral sous la Révolution, né à Albi, qui fut député de Carcassonne et le premier historien à étudier le massacre des Cathares qui étaient alors bien oubliés. Une fois de plus, grâce à Paul Arène, la conjonction s’opère en filigrane, sans heurts, entre secret, géographie et littérature.

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Voilà, tels sont pourrait-on dire, énoncer partiellement, certains faits sur lesquels je travaille depuis plus de quarante ans, et qui relient Sisteron, donc Saint-Geniez de Dromon à Rennes-le-Château.

Il faudrait parler aussi des fameuses pommes bleues de N-D des Pommiers, la cathédrale de Sisteron, de son Dragon girouette, et de tous les éléments cryptés en relation avec Rennes-le-Château que recèlent cet édifice chrétien, d’Elémir Bourges, le compagnon de plume de Manosque, mais tout ceci a déjà été évoqué dans le numéro spécial d’Arcadia du 22 juillet 2002.

Encore une dernière information cependant

Lorsque dans la fin de l’année 1979, alors que j’avais accumulé une bonne partie de ces matériaux cryptés, je les communiquais à Gérard de Sède, « inventeur » de l’affaire de Rennes-le-Château, pour son appréciation. Gérard de Sède me répondit : « Ce que vous me dites avoir constaté à Sisteron, vous conduira vers Rennes-le-Château, car Madeleine vous y appelle ». L’ami Gérard de Sède fut excellent prophète, car il se peut très bien que dans son périple d’évangélisation en Provence, « celle que Jésus embrassait sur la bouche » vint cheminer dans la baume de l’antique Segustero et grimpa jusqu’à Théopolis où son souvenir est resté par le toponyme de la « Baume Rousse »…

Vous pouvez toujours venir, si le cœur vous en dit, poussés par les vents du Destin, intrigués par le secret des Hautpoul et par le mystère de Rennes-le-Château, en pèlerinage sincère sur la tombe de Paul Arène à Sisteron, sur laquelle veille… un coq.

Lisez l’adieu des Félibres, l’adieu au compagnon du Chant de la Perdrix, sur la pierre tombale de Paul Arène sont gravés ces mots :

JE M’EN VAIS L’ÂME RAVIE

D’AVOIR RÊVÉ MA VIE

Dans son enfance, Paul Arène étudia les merveilles de la littérature greco-latine.
Notre poète Cante-perdricien aurait pu rajouter sur sa dalle mortuaire :

ET IN ARCADIA EGO

Roger Corréard – article inédit © août 2003- DR / ARCADIA

(1) Voir L’Anneau du pêcheur, de Jean Raspail, Albin Michel ed. 1995.

(2) Une confusion de dates pourrait naître ici, selon laquelle Arène aurait puisé dans le mystère de Rennes pour y trouver matière à historiette, il n’en est rien, puisque les contes de l’écrivain furent publiés soit avant, soit au moment de l’affaire Saunière. Sans parler de Maurice Leblanc.

Crédits photographiques :
– Paul Arène, archives Arcadia ©.
– Le site de Théopolis, carte postale, collection Roger Corréard ©.