« Toute l’histoire humaine est templière à moins qu’elle ne soit hégélienne. » Louis Pauwels, Jacques Bergier – Le Matin des magiciens

Le blason est la clef de l’Histoire nous dit donc, Gérard de Nerval.

Mais revenons à notre histoire, celle de la commanderie des Templiers de Vaour, et attachons-nous à interroger son blason.

En réalité nous en connaissons deux (1). Le premier, le plus récent selon nous, a été établi selon un édit de novembre 1696, il est un gironné d’or et d’azur. Le second, découvert il y a peu, aux archives nationales, par un chercheur local, est un Ecartelé selon la terminologie héraldique ; en 1 et 4 d’argent à une croix pattée alésée de gueules, en 2 et 3 de sinople à une fasce d’or chargée de 3 cors de chasse de sable, accompagnée en chef d’une hure de sanglier d’argent (2). Ces indications précieuses nous permettent de dérouler plus avant la bonne compréhension et l’importance symbolique de cette commanderie des Templiers de Vaour située, comme le disait encore récemment un ancien maire du village, «au cœur de la route des Roses». La croix pattée présente sur le blason indique assurément une possession templière sur le lieu-dit. Les trois cors de chasse et le sanglier signalent la prédominance qu’ont pu avoir ces terres en tant que lieu prédestiné lié à cet art viril qu’est la chasse, activité pratiquée abondamment par les seigneurs de guerre du Moyen Age, ces trois cors indiquent l’hallali et soulignent par leur position dans le blason, le danger.

En héraldisme le sanglier est figuré de profil, passant ou saillant (dressé sur ses pattes arrières), sa tête porte le nom de hure. Le sanglier est un animal dont le symbolisme est bien connu dans la tradition védique comme dans la tradition celtique, il évoque la puissance cosmique en action, Vishnu lui-même ne s’est-il pas incarné en sanglier afin de séparer les territoires originels. Dans une symbolique de second degré et selon la Langue des Oiseaux, vérité intrinsèque aussi sacrée que secrète permettant la pratique du décodage héraldique, nous ne manquerons pas de souligner que le sanglier est aussi le sang-lié, lié à l’énergie cosmique et vitale à la surface de la Terre et que les trois cors sont également les trois principes vibratoires des trois états de l’être, autrement dit les trois corps, éléments sensibles, ô combien, à appréhender pleinement lors de toute visite de commanderie et particulièrement de celle-ci. Continuons alors nos investigations pour indiquer que dans ce blason, la hure de sanglier est d’argent sur champ de sinople, or l’argent en tant qu’émail est bien sûr lié à la couleur blanche et ce sanglier blanc n’est rien d’autre ici que le sanglier de Kalidon, blanc et d’origine divine… Dans la tradition celtique le sanglier est un emblème d’une extrême importance, représentatif du pouvoir militaire, tribal, certes, mais aussi image sacrée de la prédominance de l’esprit sur la matière. Pour les druides, bien plus que l’ours, autre animal totem figurant la puissance des origines, le sanglier, surtout quand il est blanc, est le symbole même du pouvoir sacerdotal allié au pouvoir temporel (3). Les plus grands druides eux-mêmes, dans la hiérarchie, portaient le nom de « Grands Sangliers Blancs ». René Guénon à ce sujet, nous rappelle d’ailleurs dans son Autorité temporelle et pouvoir spirituel que cet emblème gaulois a une origine hyperboréenne à la fois solaire et polaire. Ne perdons pas de vue, en outre, pour clore ce préambule, surtout en cet endroit marqué du sceau du Temple (4) et par la croix pattée, que le sanglier fut regardé au Moyen Age comme la « Masle Beste » de l’Apocalypse, or « vêtu de blanc » ou d’argent, ce trophée armorié nous offre sans doute, en cette occasion, un singulier élément d’appréciation, loin des contrées immaculées traditionnellement dévolues à cette couleur. En effet si cet émail signe bien la présence divine par le Verbe et par le Souffle, il est moins connu qu’en Héraldique cette couleur possède aussi un aspect déchu, au sens luciférien du terme, que nous ne serions pas étonnés de retrouver sur ces terres. Un « aspect déchu » et « contre nature spirituelle » ainsi que nous le présente Pascal Gambirasio d’Asseux qui nous précise encore que l’argent émail correspond aux eaux mortes, au principe de putréfaction et de corruption, à la beauté du Diable aussi et l’auteur de surenchérir, en ajoutant, que la pureté de l’argent est redoutable, nous citons cet auteur : « car au contraire d’exprimer la sainte et virginale réceptivité agissante, l’argent se complait alors dans une passivité plate et stérile et « vire » au désert sans Présence, qui comme l’on sait est le lieu de réclusion des démons » (5). Serait-ce le cas en la commanderie de Vaour, un lieu mythique, une contrée spatio-temporelle primordiale, un Varâhi ou Terre du Sanglier, gardée comme il se doit par une « personnalité » que certains prendrait volontiers pour Aschmedaï entité diabolique d’origine persane dont il est question dans le Livre de Tobie, plus connue sous le nom d’Asmodée.

« Que l’âme cherche la Lumière en suivant la Lumière. » Bernard de Clairvaux – Sermon sur le Cantique des Cantiques

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Il est un chapitre que nous nous devons d’aborder maintenant, ayant gardé le meilleur pour la fin dirons-nous, concernant le Relais des Templiers de Vaour. Il s’agit de la symbolique des très nombreuses pierres gravées en bas-relief, parfaitement conservées, visibles sur les façades des différents corps de bâtiments composant le Relais templier, mais aussi intra-muros. Ces pierres gravées, certaines étant vraisemblablement des pierres de réemploi (6), datent pour les plus anciennes de l’époque templière et pour les plus récentes du XIXe siècle. Elles sont toutes exceptionnelles par leur portée symbolique, hermétique et pour certaines alchimique. Leur graphisme précis et varié ne peut que nous laisser plein d’admiration.

On peut aisément les classer en plusieurs catégories ; phytomorphes, feuille d’acanthe ou de chêne, zoomorphes, chien, lapin, vouivre, salamandre, anthropomorphes, on retrouvera plusieurs visages des deux sexes, ainsi que des symboles graphiques, plusieurs croix du Temple, à l’intérieur comme à l’extérieur du Relais, des symboles ésotériques abstraits comme un bas relief laissant apparaître ce qui pourrait être une «serrure» et pour terminer cette longue liste, des gravures lapidaires de lettres ou de phrases, nombreuses, comme ce « D » majuscule en capitale romaine gravé sur des pierres en redent dans le mur d’enceinte du parc du Relais, ou encore, aussi, des inscriptions latines comme celle-ci :

FIAT PAX IN VIRTUTE TUA

ET ABUNDANTIA TURRIBUS TUI

FEXIT XIX. XII. MCMIII

Une pierre servant de linteau, au dessus d’une porte du pigeonnier, datant de la période des chevaliers aux blancs manteaux a plus particulièrement attirée notre attention. On peut y voir gravée dans la pierre une splendide croix du Temple avec son tracé régulateur, flanquée de chaque côté de deux spirales, l’une dextrogyre, l’autre sénestrogyre, indiquant l’importance prégnante de ce lieu sur le plan cosmo-tellurique. Croix templière accompagnée par une frise, un agneau et quelques signes identifiables graphiquement, mais dont la portée symbolique reste incertaine. Nos connaissances en matière de gravures lapidaires templières aussi loin que nous investiguions, dans nos archives photographiques, dans nos mémoires, dans nos bibliothèques, ne nous permettent pas de nous souvenir d’une pierre gravée de cette époque aussi belle esthétiquement, aussi complexe et aussi riche sur le plan hermétique (7). Nous sommes heureux de pouvoir aujourd’hui publier ces photos inédites, en avant première, pour le plus grand plaisir de nos lecteurs et des abonnés de « la Lettre de Thot ».

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Il faudrait évoquer également pour conclure, l’existence de plusieurs blasons et de scènes historiées, sous forme de magnifiques vitraux datant du XIVe, XVIIe et XIXe siècle, superbement restaurés par les actuels propriétaires du Relais, dont la portée ésotérique patente ne peut que nous confirmer que nous sommes bien dans un lieu où des Initiés depuis quasiment mille ans sont passés en laissant traces sur traces de leur venue, permettant de faire éclore un sentiment glorieux, celui que la Tradition Primordiale dans sa manifestation essentielle se sert des Arts et des Lettres pour indiquer les pistes à suivre et transmettre d’autorité la flamme aux guerriers du feu. Le «cœur» du Relais de Vaour sorti maintenant, pour la première fois, de sa gangue noircie par les âges, patinée par les symboles hermétiques, continuera encore longtemps à intriguer le pèlerin de passage et lui murmurera, à titre d’avertissement, pourquoi pas, si cet organe l’en trouve digne : « Terribilis est locus iste ».

« Nous avons trois articles que personne ne connaîtra jamais, excepté Dieu, le Diable et les Maîtres. » Gaucerant de Montpezat

Pour parachever, la commanderie des Templiers de Vaour, dominant la vallée, est aujourd’hui en cours de restauration et l’abord du Relais des Templiers, dans le hululement nocturne des chouettes effraies, garde tout son mystère. Cependant, un secret reste bien gardé, curieusement, il concerne la ténébreuse affaire de Rennes-le-Château…

Mais que venait donc faire ici, en cette commanderie de Vaour, au début du siècle, pour se retrouver dans la plus totale discrétion, de personnages aussi énigmatiques, que l’abbé Boudet, Jules Doinel ou encore Jules Bois (8) ?

Thierry E Garnier – « La Lettre de Thot» © DR, juin 2004.

En illustration : Bas-relief, vouivre gravée sur la façade du Relais Templier. Linteau, gravure lapidaire d’époque templière et gros plan du linteau. Photos Arcadia © DR.

(1) Un troisième en relation directe avec notre affaire orne la façade actuelle du Relais Templier de Vaour. Son identification récente par nos amis Maryse et Guy Petimbert du Relais templier de Vaour : http://www.relais-templier.com/
nous amènera probablement à comprendre quelle famille de la région a héritée de ces terres au XVIIIe et XIXe siècle. Selon ces mêmes recherches on retrouve ce même blason en la Basilique de Saint Antonin, dans le Tarn et Garonne, blason en relation avec les paroisses de Saint Clair et Saint Ygne.
Voir aussi sur : http://www.chez.com/milhars/templar.html

(2) Voir notre dessin ci-dessus, TEG ©.

(3) Le mot Druide viendrait selon certains exégètes de Dru-vid, équivalent à Force-Sagesse, ce qui nous ramène bien à la symbolique première évoquée pour cet animal.

(4) Voir plus haut dans les articles de « la Lettre de Thot » pour 2004.

(5) Pascal Gambirasio d’Asseux, La voie du blason, lecture spirituelle des armoiries – Télètes ed. 1997.

(6) Certains bas-reliefs proviendraient, selon les propriétaires actuels du Relais templier, du village de Cordes-sur-Ciel à quelques kilomètres. Or on connaît l’importance des façades ornées du petit village médiéval, notamment pour certaines d’entre elles, par leurs symboliques alchimiques.
Nous profitons d’ailleurs de cette courte note, pour indiquer que certains n’hésiteraient peut-être pas à faire du Relais templier de Vaour une « Demeure Alchimique », disons-le tout de suite, il n’en est rien, même si assurément certains symboles sont bien des référents alchimiques, cependant pour qu’il y ait « Demeure Alchimique » il eût fallut qu’un tout symbolique cohérent et structuré se dégageât de la construction, ce qui n’est pas le cas à Vaour, sur ce plan là tout au moins.

(7) Seule, peut-être, la fameuse pierre templière gravée d’Utelle, dite « Plaque au Serpent », à la symbolique anté-maçonnique, composée d’un soleil, d’un serpent, d’un compas et d’une équerre, pourrait rivaliser. (Voir la revue Arcadia, No spécial, juillet 2002.)

(8) Sur ce sujet, lire la postface écrite par Jean-Christophe Faure, de l’ouvrage publié aux éditions Arqa « Jules Bois 1868-1943 » de Dominique Dubois, (voir dans la Boutique de Thot).