Conte Bardique – Prix littéraire 1956 du Collège des Bardes de Bretagne

Il était une fois un jeune garçon qui ne ressemblait en rien à ceux de son âge.

Ses parents vivaient dans un petit domaine, en Bretagne, et s’inquiétaient de le voir toujours seul. Quand les enfants du village voisin jouaient, lui, allait par les champs et les vallons, semblant vivre dans un rêve.

S’il se rendait au bourg pour l’école ou la messe, il se tenait à l’écart. En classe il était très appliqué, le maître était étonné de ses devoirs et lisait à ses camarades les narrations qu’il écrivait avec élégance et poésie.

Un jour, le recteur de la paroisse lui dit :

« Pourquoi ne t’amuses-tu pas comme les autres ? »

Il ne répondit pas.

« Peut-être entends-tu le bon Dieu en toi ? Peut-être feras-tu un prêtre ? »

L’enfant se recueillit :

« Non, je ne serai pas prêtre… »

II partit en gardant en lui son secret.

Il avait le visage régulier et un peu pâle, ses yeux étaient beaux et semblaient voir des choses que les autres ne voyaient pas. Comment aurait-il pu prendre part aux jeux bruyants de ses camarades, il aimait être seul.

Seul ? Il ne l’êtait pas. – Qui lui tenait compagnie ?… Il l’ignorait, mais ce qu’il savait, ce qu’il sentait c’est que toujours quelqu’un était avec lui, quelqu’un dans lui. Cette présence, il ne pouvait la définir. Oh, il ne cherchait pas à lui échapper, à s’en défaire; c’était quelque chose de si précieux… comme un ami qui ne le quittait jamais, un ami comme il ne pouvait y en avoir d’autres.

Parfois il entendait une voix intérieure qui disait :

« Je suis toi… »

puis, sans qu’il cherchât à les composer, des chants délicieux lui venaient aux lèvres — c’était une mélodie sur l’eau claire du ruisseau qui bruissait dans la vallée — des oiseaux qui chantaient leurs nids — le ciel où passaient des nuages blancs comme des cygnes. Il s’écoutait, ravi, et souvent, le soir il sortait sans bruit et marchait sans but pour chanter le clair de lune qui argentait la campagne.

Une nuit il lui sembla que la présence se révélait plus fortement. Il s’arrêta longuement sur le bord du chemin. Combien de temps ? Hervé n’aurait pu le dire car une vision l’absorbait… un cortège arrivait… Des hommes, habillés de longues robes blanches, défilaient maintenant devant lui. Ils marchaient lentement, deux par deux, les bras croisés sur la poitrine. Ils allaient passer…

Mais l’enfant entendit en lui : « viens avec nous » et, comme si quelqu’un l’y poussait, il suivit le silencieux cortège.

Quittant le chemin, ils s’engagèrent dans un terrain recouvert de bruyères. Deux des hommes en robe de lin écartèrent une large dalle ; ils entrèrent tous dans une salle souterraine. Hervé entra comme eux, sans être étonné de se trouver là.

Cette salle, entourée de grosses pierres, était éclairée de trois rayons lumineux (1) qui tombaient de la voûte. Et l’enfant entendit les hommes mystérieux psalmodier la :

PEDENN AR VARZHED

Ro deomp doue da skorr

Hag ez skorr, nerzh

Hag en nerzh, kompren

Hag e kompren, gouzout…

Donne-nous, ô Dieu ton appui

Et avec ton appui, la force

Et avec la force, la compréhension

Et avec la compréhension, la science…

Voici que la présence qui était en lui, chantait par lui et le jeune Hervé achevait, avec l’assistance, la « Prière des Bardes ».

Doué ha peb madelezh !

Alors, le Grand Druide de ce Gorsedd étrange le tint devant lui et commença de l’initier. L’enfant, émerveillé, ne désirait qu’à s’instruire davantage. Il demanda :

« Pourquoi, chantes-tu le nombre de dix ? Dis-le moi que je l’apprenne. »

Le Druide – Dix vaisseaux pleins d’ennemis ont été vus venant de Naoned (2). Malheur à vous, hommes de Vennes (3) ! »

L’enfant – « Chante-moi le nombre onze que je l’apprenne. »

Le Druide – Onze druides viennent de Vennes avec leurs robes ensanglantées et des béquilles de coudrier ; de trois cents il n’en reste que onze.

L’enfant apprenait ainsi le grand passé… le grand passé auquel il survivait, qu’il continuait. Le Druide qui, lui, voyait la présence, prit sa main qu’il tint entre, les siennes et son regard le pénétra profondément. A ce moment, il sentit une brûlure sur son front ; c’étaient les trois rayons qui pénétraient son esprit; il se vit revêtu d’une tunique de lin, puis, le Grand Druide lui dit :

« Quel est ton nom ? »
– Hervé.
– Pour nous, désormais, tu seras Ossian (4) Barde, tu reviendras à notre Collège. Ossian est en toi : – tu es en lui – II est né deux fois, il est mort – Tu es tel qu’il était. Un barde ne doit pas craindre la mort ; le milieu de la nuit est le commencement du jour.

Il lui remit une harpe et une branche de gui que le jeune initié serra sur son cœur.

Quelle ne fut pas l’inquiétude des parents d’Hervé, le matin, en constatant que l’enfant n’était pas dans sa chambre, que son lit n’était pas défait. Ils le cherchèrent dans la campagne, leurs appels restaient sans réponse. Ils le retrouvèrent cependant, endormi sur la bruyère, une branche de gui dans les bras, une harpe posée à côté de lui. Ne pouvant l’éveiller ils le transportèrent chez eux où il resta plongé dans un sommeil profond jusqu’au lendemain.

Enfin, il ouvrit les yeux. – La nuit mystérieuse lui revint à la mémoire. Sortait-il d’un rêve ?… La harpe et le gui étaient là, sur son lit… et il se souvint…

Alors, le nouvel Ossian prit sa harpe et chanta de si jolies choses, que ses parents l’écoutaient, extasiés.

Très souvent, il chantait sa Bretagne aimée, les ajoncs, la mer… et, de très loin, les gens du pays accouraient pour l’entendre.

Yvonne Lanco – « Barzhez ar Gerveur ». Mars 1956.

La Sorcellerie à Belle-Isle-en-Mer– Debresse ed. 1958

(1) Les trois rayons de lumière de la religion druidique.

(2) Naoned : Nantes.

(3) Vennes : Vannes.

(4) Ossian : Barde écossais du IIIe siècle.