Me voici nue comme une étoile au fin fond de la nuit,

comme un pélican sur les montagnes,

comme l’asphalte sur les chemins,

nue comme la caresse…

Et je tremble car déjà j’entends la musique, les préparatifs de la fête,

je sens les odeurs d’aromates, les vins de violettes et de groseilles,

je vois les lueurs des torches sur les bassins contre les palmes.

L’enfance en moi s’engouffre, avec ses rires fous et ses sanglots

et je tremble de toute la poussière de mes pas égarés

de tous les chants avortés en mes veines

je tremble du balbutiement du monde

de l’insensé espoir à l’orée du jardin

car je sais les mots terribles du visage d’Amour :

« Je t’attendais, tu m’as manqué, j’avais soif et besoin de toi. »

Jacqueline Kelen

Marie-Madeleine, un Amour infini

 

*   *   *

1 – L’Initiation Cosmique

 

Marie de Magdala, celle que les disciples du Galiléen appelaient «L’apôtre des Apôtres» entre de plein pied, comme un retour de flamme, en ce début de XXIe siècle par une porte inattendue, qui eût pu être celle de la Théologie ou de la Théosophie chrétienne certes, et qui contre toute attente, singulièrement, se trouve être celle de la modernité, d’Internet, des Beaux-Arts, de l’Opéra, du Théâtre, du Cinéma, de la Publicité et aussi de la provocation !

Mais après tout, quoi de plus naturel pour cette femme de feu, qui ne s’est retrouvée «prostituée» que dans la bouche de docteurs de l’Église (1), borgnes et bossus aux paroles d’amours et qui, jalousée par les uns, incomprise ou calomniée par les autres, a cru coûte que coûte, en son destin de femme et d’Initiée. C’est elle aujourd’hui qui marque authentiquement, par son Annonciation, par ces nouvelles voies d’irrigation, de sanctification – un cap solaire – à nouveau, où embarquée qu’elle est – et encore – avec ses sœurs, les autres Maries, sur une mer cosmique tourmentée par des forces enténébrées ; un axe de cristal éminemment rédempteur car pacifique et civilisatoire, empli de cette sagesse divine qui est celle de l’esthétique de la Destinée.

Un vent se lève, alors. Poussée dans sa frêle embarcation à la voile carrée et précédée par une myriade de poissons volants, atteindra-t-elle, héroïque en majesté, une seconde fois, la dernière, les rivages empourprés de terrifiques miroitements d’eaux lustrales annonciateurs de Temps dont il nous vaut mieux taire la véritable nature.

De cette vision cosmique, tel un brasier allumé dans les profondeurs mugissantes et indescriptibles de nos consciences seulement altérées par notre propre folie, quelques- uns d’entre eux, d’entre nous, s’en emparèrent. Des sans grades. Des tout-juste-bon-à-proclamer-la-couleur-des-sons, des danseuses de cordes, des saltimbanques encapuchonnés de rêves euphoriques, des bateleurs torves, des posés-là-par-hasard, autant dire des moins-que-rien, seulement utile, ô combien, à redimensionner absolument le Monde.

Mais à quoi bon, cet acte là… ?

 

*   *   *

2 – La singularité des Beaux Arts

 

Une esthétique pourtant, que ces poètes qui sont aussi des prophètes, sans doute, ont exprimée à leur manière, en images virevoltantes et jaspées témoignant ainsi de l’authenticité de ce destin d’étoiles. Nous avons nous-même mis en évidence dans notre article « Marie-Madeleine ressuscitée » le travail exceptionnel de Michel Garnier, auteur compositeur d’un Oratorio qui fut joué pour la première fois en public le 22 juillet 2002 à la Sainte-Baume, pour la réouverture de la Grotte et rejoué chaque année en la Basilique Saint-Maximin, entre autres, mais aussi de par le monde, à Vézelay, à Pathmos, à Tibériade… Une œuvre sacrée où se mêlent étrangement aux chants, lors des concerts, parfums et huiles essentielles diffusés dans l’assemblée par Franck Kervella.

Il faudrait également citer Un vase de parfums, une œuvre subtile de Suzanne Giraud et d’Olivier Py, livret en 14 tableaux, dont l’héroïne est Marie-Madeleine. Cet opéra donné pour la première fois cet automne a ouvert somptueusement la saison d’Angers-Nantes-Opéra.

En ce qui concerne les livres, ils sont pléthore, alors restons-en là, le fameux Da Vinci Code… n’étant pas un des moindres. Deux écrivains pour quatre ouvrages, toutefois ont attiré plus particulièrement notre attention. Le plus touchant, parce que le plus pur, poétique, sensible et juste, est celui de l’écrivain spécialiste des mythes fondateurs et de la voie mystique, Jacqueline Kelen, Marie-Madeleine, un amour infini.

Mais aussi, ceux de notre ami Christian Doumergue, grand spécialiste du christianisme primitif et auteur de deux ouvrages sur Marie Madeleine, L’Evangile Interdit en 2001 et Marie-Madeleine – La Reine oubliée en 2004, une somme de 1300 pages sur Marie-Madeleine, tous deux publiés aux éditions Lacour. Il faudrait rajouter à ceux-ci, encore de Jacqueline Kelen, l’incontournable et somptueux livre d’images Marie-Madeleine ou la Beauté de Dieu, poétiquement commenté par l’auteur, aux éditions La Renaissance du Livre. Le peu parfois vaut le tout (2).

Sur Internet on peut retrouver la Magdalénienne sur de très nombreux sites, inutile de les citer tous mais sur l’un d’entre eux, on trouvera ce sondage qui en dit long…

Qui est Marie-Madeleine pour vous ?

un personnage mythique ? [7.07 %]

une femme d’exception ? [15.45 %]

une pécheresse repentie ? [7.76 %]

l’épouse ou la concubine de Jésus ? [46.54 %]

une victime de la religion ? [23.18 %]

A vous de choisir…

Le cinéma, fiévreusement, s’empare lui aussi de la sainte figure emblématique. Du controversé Passion du Christ de Mel Gibson à Mary d’Abel Ferrara (3) en passant par l’inévitable Da Vinci Code de Ron Howard, Marie Madeleine crève d’amour en crevant l’écran, pour mieux nous anéantir encore en de fulgurantes icônes, révélations sismographiques d’un 7e art moribond, en quête de sens autant qu’en quête d’essence.

La peinture n’est pas de reste, heureusement, puisque il y eut au Musée d’Art de la ville de Toulon, une Marie-Madeleine contemporaine qu’il était donné d’apprécier sur les cimaises du lieu de culture (4).

Terminons encore, avec Marie-Madeleine, La robe de pourpre, grand spectacle estival d’une heure et quarante cinq minutes, en plein air, qui était à ne pas rater… ; une légende dramatique en trois actes, avec musique et ballets où se mêlent à une chorégraphie étincelante, théâtre, chants, peintures, costumes et maquillages, pour honorer en un art total, la mémoire de la sainte, reine et muse.

 

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3 – Le Testament

 

Alors, qu’en est-il réellement de ce testament solaire façonné par d’étranges reflets diaprés, images peintes ou chantées, médiatiques et littéraires, cinématographiques…, dont Marie Madeleine en héritière tutélaire, miraculeusement active, nous murmure à l’oreille en ce début de XXIe siècle embrasé d’ombres nocives :

– À la lumière de vos cœurs, je croîs et embellie…

Thierry Emmanuel Garnier © la Lette de Thot, Juillet 2005.

(… à suivre // 2e partie – « La barque de Feu », août 2005)

En illustration :

Monica Bellucci // Marie-Madeleine dans la Passion du Christ de Mel Gibson.

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(1) Nous signalons bien volontiers à l’analyse du lecteur abonné à la LdThot, ce court passage de Christian Doumergue sur Marie Madeleine.

« À partir du Moyen-âge, l’Eglise rattrapa pour ainsi dire le temps perdu. Le culte de Marie-Madeleine commença à fleurir à travers toute l’Europe et la sainte devint peu à peu une des grandes figures du christianisme occidental. Justice était-elle pour autant faite, comme le croyait en son temps Ernest Renan ? Manifestement, nous devons répondre non à cette question. La Marie-Madeleine que réinventa alors l’Eglise, si elle reprenait certains traits de la Marie-Madeleine historique (les hagiographes du Moyen-âge s’appuyaient sur des sources antérieures, à commencer par les évangiles…) s’en éloignait sur bien d’autres. »

(2) Il nous faut bien sûr, ne pas omettre d’ajouter à cette liste d’ouvrages, L’Evangile de Marie, texte fondateur du christianisme primitif, daté aux alentours de l’an 150, et attribué à Myriam de Magdala ; à lire surtout dans sa version présentée et commentée par notre ami le prêtre orthodoxe Jean-Yves Leloup, Spiritualités vivantes ed. 1997.

(3) Dans « Mary », le prochain film d’Abel Ferrara, actuellement en tournage, (sortie en salles le 23 Novembre 2005), Juliette Binoche interprètera le rôle d’une actrice qui nourrit peu à peu une obsession pour Marie-Madeleine après l’avoir incarnée dans un film. Présent à ses côtés durant sa préparation du personnage en Galilée, Frédéric Lenoir, du Monde des Religions, l’a interrogée sur sa vision du sacré, de la religion et de Marie Madeleine, au cours d’un entretien publié dans le Monde des Religions numéro 10.

Frédéric Lenoir : Comment aborder un personnage comme Marie Madeleine ?

Juliette Binoche : Par des questions. C’est en étant dans les questions que se dessinent peu à peu un sentiment, une émotion, une couleur, des parfums. Et c’est très précieux de venir sur les lieux où elle a vécu (…)

FL : En quoi est-ce que le personnage de Marie Madeleine vous touche particulièrement ?

JB : (…) Marie Madeleine remet en question bon nombre d’idées, de croyances, de certitudes. C’est un grand coup de vent dans les cheveux pour les femmes, pour les hommes, pour les églises diverses et variées (…) Cela complète les évangiles canoniques et nous révèle un autre visage de femme que celui de la vierge, de la mère ou de la prostituée, qui sont les trois archétypes de femmes transmis par la tradition catholique.

(4) Mais aussi… nous venons de l’apprendre, dans un article du journal le Monde, du 24 mai 2005, intitulé Marie-Madeleine censurée à Pékin où on peut le constater, Marie Madeleine n’a pas fini, ni de contrarier, ni de provoquer…

Marie-Madeleine censurée à Pékin

Pékin sera privé de Marie-Madeleine : l’exposition du peintre Brigitte Aubignac consacrée à la pécheresse repentie a été fermée le 11 mai, à peine inaugurée. L’artiste s’intéresse à la sainte depuis beaucoup plus longtemps qu’il n’en a fallu à Dan Brown, l’auteur du Da Vinci Code, pour la marier avec le Christ et lui faire faire beaucoup d’enfants. Cet intérêt de la peintre remonte à sa rencontre à Florence, il y a plus de dix ans, avec l’ascétique Madeleine sculptée par Donatello. Depuis, Brigitte Aubignac a lu les Evangiles, Pétrarque, Claudel, Marguerite Yourcenar et Jacqueline Kelen, l’historienne des mythes, et s’est plu sur les traces de cette figure « excessive, rebelle et belle », dit la peintre, qui a entrepris de revivifier son iconographie, en faisant de Madeleine et de son entourage des figures d’aujourd’hui. Qu’elle peint à l’ancienne, avec ferveur et émotion. Son projet, seize petits tableaux, accrochés en ligne, sur une cimaise blanche, avait donc été accepté à Pékin. Mais l’exposition, tout juste ouverte, a été fermée. Sans doute, installer ces images dans un temple bouddhique était une entreprise risquée. Imaginez l’inverse : des figures de Bouddha placées au coeur d’une église consacrée ! N’y aurait-il pas des fidèles pour s’en plaindre ?

Pourtant, dans l’esprit de Cheng Xin Dong, qui a eu l’idée de l’exposition, il ne s’agissait que de provoquer une belle rencontre culturelle, paisiblement œcuménique. Galeriste et commissaire d’expositions d’art contemporain en Chine comme en France, où il a vécu des années, il pouvait prétendre y réussir. N’avait-il pas obtenu, pour l’année de la France en Chine, que Daniel Buren fasse flotter des toiles bleues et blanches au pied du temple du Ciel, le plus célèbre des sanctuaires pékinois ? La rencontre de la Madeleine d’Aubignac et du Bouddha avait eu lieu dans le temple de l’Intelligence, un des plus beaux qui soient à Pékin. Construit sous les Ming, au milieu du XVe siècle, il a été épargné par les restaurations intempestives, et oublié des tour-opérateurs. Qu’il ait été occupé par les services de restauration des Monuments historiques hier et qu’il soit, aujourd’hui, un des pôles du renouveau religieux en Chine lui vaut sans doute ce régime de faveur. (…)

Journal le Monde du 24 mai 2005.