Découvrez les expositions virtuelles de la Bibliothèque de Lyon… Véritable mine d’or pour les chercheurs en Histoire et Tradition (A découvrir sur : http://www.bm-lyon.fr).

La tradition du secret et de l’occulte est ancienne à Lyon.

Esotérisme et franc-maçonnerie s’y sont largement développés : la Bibliothèque en conserve de multiples traces dans son fonds imprimé et manuscrit. Nostradamus est évidemment bien présent, lui dont les éditions lyonnaises furent, de tous temps, nombreuses.

Dans ce domaine, le riche fonds Chomarat est un heureux complément et permet de consulter les éditions de Nostradamus de toutes époques.

Un fonds de plusieurs milliers de documents sur la franc-maçonnerie et sur l’ésotérisme continue à être aujourd’hui enrichi. La collection des manuscrits de Jean-Baptiste Willermoz, qui fonde à Lyon en 1753 la Loge de la Parfaite Amitié, permet de retracer un aspect important de l’histoire de la franc-maçonnerie lyonnaise, française et internationale du XVIIIe siècle. Les archives de Papus et de son fils Philippe Encausse, les fonds Sédir, Saint-Yves d’Alveydre, Bricaud, Fugairon, Lacuria acquis depuis un siècle, sont indispensables à tout passionné de l’occulte.

Deux rituels de maçonnerie égyptienne témoignent d’un fait d’importance : le passage à Lyon du Grand Cophte, Cagliostro, en 1784.

L’exposition Prophéties pour temps de crise est d’une nature particulière puisqu’elle met en scène non seulement Nostradamus et son œuvre mais aussi un collectionneur privé, Michel Chomarat.

En effet, bien que la Bibliothèque possède en propre de remarquables documents concernant Nostradamus (par exemple le manuscrit des Présages dû à Jean-Aimé de Chavigny) les pièces présentées ici appartiennent toutes exclusivement au fonds déposé par Michel Chomarat à la Bibliothèque municipale de Lyon, en 1992, et régulièrement accru par lui-même depuis cette date.

De plus, Michel Chomarat a eu carte blanche pour sélectionner et présenter comme il l’entendait les documents qui constituent cette exposition.

Que Michel Chomarat soit remercié de nous permettre de saisir ainsi sur le vif une passion de collectionneur.

Patrick Bazin, Directeur de la Bibliothèque municipale de Lyon

Le 1er Mars 1555, à Salon-de-Provence, dans sa maison aujourd’hui transformée en musée, Michel Nostradamus met le point final à la rédaction de ses Prophéties, dédiées à son fils César dans une copieuse préface de 14 pages, où alternent autant des considérations techniques quant à leur rédaction que l’extrême angoisse de livrer un texte aussi prophétique au monde entier, sachant fort bien les conséquences que cela allait provoquer pour les siècles suivants.

Ayant pris la décision que ce texte pouvait être édité, Michel Nostradamus confie alors son manuscrit à un imprimeur, Macé Bonhomme, qui partage son activité entre Lyon et Avignon. Le 30 Avril suivant, Hugues du Puis, Lieutenant en la Sénéchaussée de Lyon, autorise officiellement Macé Bonhomme à imprimer ce texte, ce qui sera fait quatre jours après, le 4 Mai 1555. Deux mois seulement ont donc suffit pour donner à un manuscrit devenu livre, un destin exceptionnel qui fait qu’aujourd’hui, il est situé, interprétations comprises, juste après la Bible, tant au niveau du nombre d’éditions que des chiffres de tirage cumulés.

Le choix par Michel Nostradamus de l’imprimeur Macé Bonhomme n’est pas innocent, il s’explique facilement, car outre la double proximité géographique avignonnaise et lyonnaise, en 1552, ce dernier publia l’ouvrage du toulousain Guillaume de La Perrière sur Les considérations des quatre mondes : divin, angélique, céleste et sensible, divisé en quatre centuries de cent quatrains en vers décasyllabiques, forme littéraire que Michel Nostradamus emploiera, à son tour, trois ans plus tard. Nous savons dans un avis au lecteur donné la même année 1555, dans L’Enfer de Cupido comment Macé Bonhomme envisageait son travail d’imprimeur et d’éditeur :  » Mon intention a toujours été depuis que j’ai été appelé à l’estat où je suis de mettre en lumière des livres auxquels j’ai pensé, j’aurais profit et plaisir, n’épargnant en cela ni les frais ni ma peine, ne cherchant aucune récompense que notre bonne grâce et contentement…  »

L’édition originale des Prophéties est un véritable livre de poche par son format, il ne mesure en effet que 8 cm de large et 13 cm de haut ; Michel Nostradamus a souhaité y être représenté sur la page de titre, au milieu de ses livres et d’une sphère armillaire, scrutant la nuit étoilée, confirmant ainsi ce qui est clairement dit dans la préface à son fils César que c’est bien de nuit que l’inspiration lui vint.

Le fractionnement de la publication de ce texte, au moins à trois reprises : en 1555, 1557 et 1568, démontre l’hésitation de l’auteur à donner, en une seule fois, l’intégralité de ce recueil d’énigmes, rédigées au futur comme l’exige le genre prophétique. L’édition de 1555 comprend seulement les Centuries I à III complètes et 53 quatrains pour la Centurie IV, elle est d’une telle rareté que l’on a cru longtemps que ce livre mythique n’avait en fait jamais existé car jusqu’en 1984 tous les exemplaires alors recensés dans les bibliothèques publiques avaient curieusement disparu comme ceux d’Orléans, de la Mazarine ou de la Bibliothèque de la Ville de Paris. C’est ainsi qu’en 1906, dans son Essai d’une bibliographie spéciale des livres perdus, ignorés ou connus à l’état d’exemplaire unique, Armand Delpy en est réduit à dire que cette édition des Prophéties de Michel Nostradamus est  » absolument introuvable « .

Il faudra attendre en 1983 la création à Lyon des Amis de Michel Nostradamus et un travail de recensement exhaustif, entrepris à travers le monde, par Robert Benazra pour que l’on arrive enfin à pouvoir localiser, coup sur coup, deux exemplaires : l’un en France, à la Bibliothèque Municipale d’Albi, dans le fonds Rochegude, et le second à la Bibliothèque Nationale d’Autriche à Vienne. Quelle fut notre surprise lorsque nous avons procédé à une comparaison attentive des deux ouvrages pour constater des variantes plus ou moins importantes et ce, pratiquement sur l’ensemble du texte. Il semble bien qu’au cours du tirage, Michel Nostradamus ou son mandataire, ait pu détecter des coquilles qui furent ensuite corrigées ; celles-ci ne pouvant pas être effectuées sur les feuilles du livre déjà imprimées, on peut, de ce fait, trouver différents états d’un même tirage, avant et après correction. Dans son étude sur l’Imprimerie à Lyon au temps de Dolet, Guy Parguez indique que cela était à cette époque, relativement courant et précise que l’on peut trouver, à la limite, autant d’états que d’exemplaires suivant que le volume, une fois broché ou relié, possède ou non tout ou partie des corrections.

En 1557, Michel Nostradamus se décide à donner au public, et ce toujours à Lyon, une édition plus complète avec 300 nouvelles prophéties qui n’ont encore jamais été imprimées, soit en fait les Centuries I à V complètes, 99 quatrains de la Centurie VI et 40 quatrains de la Centurie VII. C’est l’imprimeur Antoine du Rosne qu’il choisit pour publier cette nouvelle édition dont les exemplaires connus, comme pour 1555, sont extrêmement rares. Celui conservé naguère par la Bibliothèque de Munich a disparu en 1942, emprunté par un proche d’Adolf Hitler, comme cela est encore inscrit sur l’inventaire manuscrit de cette bibliothèque ; il pourrait s’agir de Goebbels en personne, vu l’intérêt maladif que ce dernier portait à Michel Nostradamus. Le Comte Carl Graf von Klinckowstroem pense qu’il aurait pu se trouver dans une des caisses de livres qui quittèrent précipitamment Berchtesgaden, la résidence d’Hitler, pour une destination inconnue. Est-ce cet exemplaire qui se trouve aujourd’hui à la Bibliothèque Lénine de Moscou ? Les tractations actuellement en cours entre l’Allemagne et l’ex URSS sur le statut des oeuvres d’art volées pendant la Deuxième Guerre Mondiale permettront, peut-être de confirmer cette hypothèse…

Par contre nous connaissons deux autres exemplaires de l’édition de 1557, l’un se trouve à la Bibliothèque Nationale à Budapest que nous avons reproduit en fac-similé en 1993 et le second à la Bibliothèque Universitaire d’Utrecht. A nouveau, ils offrent la particularité d’être totalement différents et les achevés d’imprimer, datés respectivement des 6 Septembre et 3 Novembre 1557, permettent d’attester le succès de ce livre puisqu’il fut réimprimé en moins de deux mois seulement !

C’est seulement en 1568, soit deux ans après la mort de Michel Nostradamus, survenue le 2 Juillet 1566, que sont publiées à Lyon chez Benoît Rigaud les Centuries VIII à X complètes, précédées d’une lettre à Henri II, Roi de France, datée de Salon-de-Provence, le 27 Juin 1558. Aujourd’hui encore, on se perd en conjectures sur le délai de dix ans qui s’est écoulé entre 1558 et 1568 ; il n’est pas exclu qu’une autre édition ait bien été imprimée en 1558, celle qui se trouve mentionnée sur les pages de titre des Prophéties du XVIIe siècle, mais malgré nos recherches, nous n’en avons trouvé aucune trace. Avec ces trois nouvelles Centuries, le corpus prophétique de Michel Nostradamus est enfin complet.

Le destin de ce texte est scellé, rythmé à intervalles réguliers par les crises majeures de l’humanité, avec constance depuis plus de quatre siècles ; texte récupéré et détourné de son sens originel, foncièrement obscur, par des exégètes mercantiles sans aucun scrupule !

Michel Chomarat © DR – Bibliothèque de Lyon

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