Je passai donc la « porte », pour me retrouver, de plain-pied, dans le temple végétal de cette forêt, pleine d’effluences magnétiques. Là-bas, rendu encore plus magique par la distance, se dressait l’Arbre-Maître, un gigantesque hêtre, autour duquel était disposée, circulairement, une véritable cour d’arbres.

J’allumai les deux cierges verts — couleur du renouveau — et traçai dans l’espace, face à mes compagnons qui allaient traverser la porte végétale, le signe sacré de la Grande Déesse Cosmique dont nous avions l’honneur de pénétrer le mystère. Je l’invoquai et la remerciai, ainsi que le Régent de cette forêt, en leur faisant toucher, tour à tour, au passage de chacun d’eux, les pointes enflammées des cierges.

Le crépuscule s’accentuait tandis que, silencieusement, nous progressions en direction de l’Arbre-Maître dont j’entendais déjà le chant profond s’élever en moi. A notre approche, le vent s’éloigna et je le vis nettement, forme éthérique faite de tourbillons luminescents, regagner la cime d’un bouquet de chênes.

Les chants d’oiseaux cessèrent d’un coup, comme si la venue de la nuit qu’ils devaient percevoir comme une autre dimension, les impressionnait. En fait, cela se passait vraiment ainsi car l’oiseau, tout comme les autres animaux, a sa conscience sur un plan différent de celui de l’humain.

Parvenu à l’Arbre-Maître, je l’enlaçai, je l’embrassai comme une femme aimée et retrouvée et je sentis, comme dans un duo d’amour et de reconnaissance, s’exhaler de lui son envoûtante odeur.

Sa puissance magique m’enveloppait doucement et, tout en m’imprégnant de son essence, tout en diluant mon esprit dans le sien, tout en l’invoquant mentalement, je descendis le long de son corps fait pour la caresse et l’abandon.

M’agenouillant à son pied — qui est, en fait, le commencement de sa tête car l’arbre est un être inversé — je fis acte d’humilité et d’amour. Alors, je sentis l’âme de l’arbre me traverser et s’épanouir en moi… Cette âme qui a forme féminine et que les Anciens, qui possédaient encore la vue éthérique, appelaient Dryade. La Dryade est une entité qui vit à l’intérieur de l’arbre, diffusant et répartissant en lui ses forces éthériques. Elle en est aussi une expression. L’Hamadryade est, en revanche, l’entité qui vit à l’extérieur de l’arbre, qui lui communique les puissances éthériques extérieures et le protège. Lorsque la Perception et le Sentir de l’homme s’unissent à ces entités, celles-ci lui insufflent une force nouvelle qui l’éveille au monde fascinant de la nature. L’arcane du mystère vert et rouge est ouvert. L’esprit s’épure alors des passions vulgaires et l’âme, délivrée, remonte à la surface du corps, allume le sang d’une intensité nouvelle et diffuse toute sa merveilleuse puissance. Ainsi sont les grands êtres magiques. Adoration, prière, offrande, communion, sublimation, telles sont les cinq étapes alchimiques que l’homme d’amour doit pratiquer. Chacune sert pour entrer en relation avec le psychisme des éléments.

« Chaque arbre est un imprégnateur d’esprits. »

Mes compagnons me regardaient faire, attendant respectueusement le moment où chacun d’eux, à son tour, irait honorer, à travers cet arbre magnifique, la déité qui l’avait marqué de son sceau spirituel. M’écartant de lui, je demandai à toutes les puissances qu’il résumait de bien vouloir m’accorder un signe manifestant son assentiment et, peut-être, son émotion à mon contact. Peu après avoir formulé ma demande, se posa sur la racine, que j’avais imprégnée de mon baiser sacré, un oiseau, un merle qui, sans s’inquiéter de notre présence, y resta quelques secondes, tout en nous fixant, avant de s’envoler à tire-d’aile dans la nuit. Nous pûmes dire alors qu’à ce moment-là nous débordions — c’est le mot — d’émotion.

Je plaçai la main à l’endroit où s’était posé l’oiseau et, aussitôt, je me sentis relié à lui, à lui dont j’avais eu si souvent la visite en rêve et qui m’avait donné le nom magique de l’Esprit-Maître de son espèce et que je prononçai doucement, par trois fois, en guise de remerciement. Messager des dieux, l’oiseau est toute une initiation, mais nous reviendrons plus tard là-dessus.

Tandis que mes compagnons s’enfonçaient en pensée dans le riche mystère de l’arbre, tressant tout autour de lui comme une couronne d’offrandes humaines, je me pris à penser à cette puissance inconnue qu’est le végétal, véritable conscience de la Terre et du Ciel. Je pensai également à cette force merveilleuse que représente l’arbre dont les branches sont comme autant de courants énergétiques exprimant les rotations de la Terre. Leurs lignes et leurs courbes sont les expressions, faites matière, du tellurisme qui parcourt le lieu où s’élève l’arbre. De plus, le vent y a aussi imposé sa volonté, de même que la Lune et le Soleil qui agissent sur elles comme des aimants. Selon l’élancement de l’arbre, l’ondulation ou le jaillissement de ses branches, on peut déterminer son psychisme, de même que d’après les dessins, formes, signes, excroissances, etc., que révèle son tronc. Mais aucun arbre n’a de psychisme fixe. Il est comme celui de l’homme, en perpétuel devenir. L’arbre a le psychisme de la nature, du lieu où il se trouve. C’est par ses racines (sa tête) que l’arbre fixe les entités errantes qui parcourent le sous-sol. Un arbre bosselé est un arbre qui a fixé et digéré beaucoup d’entités errantes. Mais il faut considérer que chaque arbre est un imprégnateur d’esprits, comme les pierres et les autres végétaux. Il a, de plus, le pouvoir de régénérer, de purifier. De même qu’il transforme l’anhydride carbonique en oxygène, il brûle les toxines de l’esprit et diffuse dans le sang une nouvelle énergie vitale. L’expression populaire si souvent employée « toucher du bois » est une séquelle d’une ancienne connaissance magique de l’arbre car, outre ses merveilleuses propriétés curatives, il a le pouvoir d’apporter la chance si l’on sait entrer en contact avec lui.

La forêt infuse sa puissance spirituelle en celui qui sait la pénétrer en état d’amour. Chaque arbre agit d’ailleurs comme une sorte de condensateur d’énergie magique. Par certaines nuits, notamment quand l’influence lunaire est maximale, on peut voir se dilater le corps étherique de l’arbre. De plus, son corps astral se répand hors de lui comme une ombre invisible. Par les nuits sans lune, la force astrale des arbres est plus diffuse, plus trouble, car elle n’est pas réactivée et purifiée par l’influx lunaire.

Guérisseur, inspirateur, protecteur, l’arbre a son identité dans la femme, liée aux forces végétales, alors que l’homme l’est aux forces animales, d’où cette différence de psychisme qui détermine les deux sexes.

Tout comme le végétal, la femme, dont le ventre est ouvert aux puissances cosmiques de la fécondation, peut transformer les fluides viciés de l’homme en fluides bénéfiques. C’est pour cette raison qu’elle restera toujours son inspiratrice car, étant masculine sur le plan astral, elle féconde son partenaire à l’aide de son pénis de lumière… D’où cette queste de la Grande Dame, de la Muse, propre à ceux qui portent en leur cœur le sceau de l’amour magique.

(à suivre…)

Mario MercierLa Nature et le sacré – Dangles ed. 1983

En illustration : Le Seigneur des Anneaux