Nous développons une nouvelle philosophie du langage. Nous apprendrions à parler non pas pour communiquer avec autrui mais avec nous-mêmes, avec notre subconscient, le langage nous servirait avant tout à penser en silence. Mais bien entendu, le langage s’enseigne avant de s’intérioriser Dans le cas de l’astrologie, il en est de même, cela s’enseigne mais c’est à chacun ensuite d’en faire bon usage pour soi-même. On ne peut le faire à la place d’autrui. L’astrologie doit donc impérativement s’enseigner, la consultation qui dispenserait de l’enseignement est un leurre…

On sait quelle peut être l’importance de l’enseignement pour l’avenir de l’astrologie. Or, depuis des décennies les méthodes didactiques employées ne conviennent pas. Cela tient d’une part à une trop grande emprise de la pratique et de l’autre à l’assimilation de l’astrologie à une langue.

3-18.jpg Les astrologues croient-ils à une certaine division du travail ? On aurait pu le croire tant les classements planétaires et zodiacaux ou par Eléments, insistent sur ce qui nous différencie les uns des autres. Mais en réalité la société astrologique a conçu un seul et même format pour tous les astrologues et ce milieu est finalement assez étranger à toute idée de spécialisation. On est dans une certaine verticalité, qui fait que l’astrologue tend vers une certaine forme de totalité englobant notamment la théorie et la pratique, l’écriture et la consultation. Un tel décalage entre la philosophie de l’astrologie et l’organisation du monde astrologique nous semble assez peu heureux.

Il y a un certain nombre d’idées et de comportements à corriger dans la tête de certains astrologues. La première fausse représentation consiste à croire que le théoricien doit pratiquer son propre système pour le valider. C’est là une fausse évidence. Un système n’est pas validé par son application, il doit se suffire à lui-même en tant que système, notamment du fait d’une certaine esthétique. Un système qui est « laid » ne sera pas sauvé par le fait qu’il sera accompagné d’une pratique aussi séduisante soit elle, que, comme on dit, « ça marche ».

Ne mélangeons pas les genres : un bon dramaturge n’est pas forcément un bon comédien, un bon compositeur ne fait pas nécessairement un bon chef d’orchestre et vice versa. Cela ne devrait-il pas être le b-a ba de la sagesse astrologique ? Or, la réalité de la profession est toute autre et c’est bien là le drame. Ne mélangeons pas les torchons et les serviettes. On ne peut pas être en même temps au four et au moulin : les adages populaires abondent !
Jean-Pierre Nicola avait bien compris que la priorité était au niveau du modèle et d’ailleurs le concept d’astrologie conditionaliste ne signifiait-il pas que dans la pratique, l’astrologue aurait à tenir compte de toutes sortes de paramètres extra-astrologiques que le théoricien ne saurait intégrer dans son système ? C’est pourquoi on ne va pas mettre en cause le modèle de Nicola en raison de tel ou tel problème pratique mais bien selon des arguments liés au dit modèle, tant d’ordre synchronique que diachronique.

Le théoricien doit laisser au praticien la charge de l’application avec tout ce qu’elle comporte de risques d’échec ou de semblants de réussite. Il ne doit pas lier le sort de son travail théorique aux aléas de quelque pratique que ce soit. Il doit garder ses distances et préserver l’intégrité de son modèle en laissant d’autres se salir les mains.

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En revanche, le théoricien a le devoir de perfectionner son modèle, de l’améliorer en participant à des débats avec d’autres chercheurs et pas forcément dans le champ de l’Astrologie. Il y a une interdisciplinarité au niveau théorique et une autre au niveau pratique qu’il ne faut surtout pas confondre. Ce sont deux mondes radicalement différents et exigeant des dispositions fort différentes.

C’est pourquoi nous mettons en garde contre tout discours hybride qui cherche à sauver la théorie par la pratique et vice versa.. Une théorie bancale ? Pas grave puisque ça marche quand même… Une pratique surprenante ? Peu importe tant qu’on applique une tradition millénaire qui nous dit ce qu’il y a à voir et à comprendre !

En ce qui concerne l’apprentissage de l’astrologie, il est essentiel de présenter d’abord un système de la plus grande clarté. On n’apprend pas l’astrologie comme une langue et d’ailleurs l’on n’apprend pas une langue n’importe comment par simple immersion. Certains enseignants considèrent que l’astrologie s’enseigne comme une langue vivante. C’est une grave erreur de méthode.

De même qu’on ne commence pas dans une langue par les exceptions, les emprunts, mais qu’il conviendrait de partir du « tronc’ de la langue, de ce qui est le plus structuré, de plus cohérent, il n’est nullement conseillé d’initier à l’astrologie de façon brouillonne comme s’il s’agissait d’un enfant qui apprend sur le tas sa langue maternelle, c’est-à-dire un peu n’importe comment. Seul un enseignement rigoureux, systématique, recentré sur l’essentiel est à recommander. En cela, on évitera de plonger l’apprenti astrologue dans le monde des astrologues tout comme un débutant dans une langue doit être placé dans un environnement protégé. Ne mettons pas la charrue avant les bœufs et n’allons pas plus vite que la musique !

Autrement dit, l’astrologue débutant doit d’abord être mis en présence de la théorie astrologique et non de la pratique de la consultation ou de l’interprétation de tel ou tel thème. En cela, la statistique fait sens en ce qu’elle simplifie et donc clarifie les choses. Mais pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué semblent se demander certains.

Ce n’est que par petites touches que le modèle pourra être complexifié du fait de certaines adjonctions. Celui qui veut aller trop vite en besogne fait penser à quelqu’un qui aurait grandi trop tôt. L’élève en astrologie ne doit pas prendre de mauvaises habitudes en tentant d’imiter certains astrologues. Il lui faut s’initier à une astrologie aussi simple que possible tout comme la personne qui veut apprendre une langue étrangère doit commencer par le cœur de la langue et non par sa périphérie et ses myriades de mots isolés. Ce qui compte en vérité, c’est que l’on apprenne à parler dans cette langue et non à parler cette langue. La nuance est importante : il faut choisir dans cette langue les éléments les plus assimilables et écarter ce qui n’obéit pas à un modèle cohérent fait de racines et d’affixes, de flexions.

Pour la pédagogie astrologique, il doit en être de même. On doit apprendre à se servir de la partie la plus solide structurellement de l’ astrologie et non s’approprier tout ce qui porte le nom d’astrologie, qui est « de l’astrologie » En d’autres termes, on doit faire de l’astrologie mais pas nécessairement ingurgiter tout ce qui est considéré comme astrologique.

On rappellera que dans le cas du langage, ce qui compte, c’est que l’enfant apprenne à parler et non qu’il maitrise la totalité d’une langue donnée. Or, on tend à confondre ces deux exigences. Nous préférons un enfant qui a la tête bien faite plutôt que bien pleine, qui sait se débrouiller avec une certaine économie de signifiants, de mots, de signes, de gestes, de dessins. Il importera plus que l’enfant sache s’exprimer plutôt qu’il ne comprenne tout ce qu’il entend.

En astrologie, nous préférons un élève qui apprenne le plus vite possible à parler de cyclicité, qui développe une faculté à structurer le temps en phase selon une méthode simple plutôt qu’il ne se charge de trop de données qui le priveront d’une véritable expérience de la prévision. Mais pour cela, on évitera que l’élève ne cherche à expliquer astrologiquement tout ce qui se passe dans le monde ou autour de lui et en lui car le monde ne se plie pas si facilement que cela à la loi astrologique. En ce sens, notre apprenti astrologue dira des choses dont l’on prendra bonne note sans chercher à répondre aux questions qu’on lui pose.

Autrement dit, il nous apparait que la priorité est l’émission et non la réception. Il faut avant tout éveiller nos facultés d’expression. Aux récepteurs de se débrouiller, de compléter. On peut observer qu’il est beaucoup plus simple d’émettre que de recevoir. Dans un cas, on choisit ses mots, dans l’autre, il faut s’ouvrir aux mots d’autrui, ce qui est une affaire beaucoup plus ardue et qui exige une culture bien plus ample que l’on ne saurait exiger au départ. Il importe de développer prioritairement les facultés d’émission, ce qui exige que l’élève ne soit pas confronté prématurément à des émissions qui dépassent son « entendement », au sens premier du terme. A la limite, il vaut mieux communiquer par signes comme dans le cas d’une machine qui offre le même décalage entre émission et réception.

Pour en revenir à l’astrologie, nous dirons qu’on est dans une démarche de classement. On doit apprendre à distinguer des cas de figure et là encore une chose est le modèle dans sa simplicité, une autre comment il se présente à nous dans la pratique, ce qui nous renvoie à la problématique de la réception.
Mais l’apprentissage du langage passe aussi par une typologie. Chaque racine verbale, par exemple, couvre un certain champ sémantique qui lui est propre et qui n’est pas celui d’une autre. Par exemple, le verbe prendre en français se « décline », se « dérive », se « conjugue », au moyen de préfixes, de suffixes. Il suffit en principe d’apprendre le sens premier du verbe prendre que l’on peut exprimer par une gestuelle appropriée impliquant de saisir un objet avec la main pour se donner les moyens d’explorer le dit champ sémantique, sans charger sa mémoire de toutes sortes de cases. Tout compte fait, dans une langue, il n’y a pas plus d’une vingtaine de racines à connaitre au départ et on peut certainement se débrouiller avec la moitié pour commencer à émettre.
Ce que nous exposons ici implique de ne pas substituer le signifié au signifiant comme nous tendons à le faire au bout d’un certain temps. Expliquons-nous : dans l’esprit du locuteur moyen, tout est classé non pas par mots mais par sens. C’est ainsi que tous les synonymes seront placés dans un seul et même ensemble alors même qu’ils renvoient à des mots- (c’est à dire des signifiants) dépareillés. L’approche « morphosémantique » consiste à ne pas dissocier le signifiant et le signifié, c’est-à-dire à ne pas introduire des signifiants relevant de diverses sources au sein d’un même ensemble de signifiés. C’est une discipline à acquérir chez l’enseignant qui communique avec un débutant. On aura donc compris que l’élève, quel que soit le domaine, ne doit pas être immergé dans le monde s’il ne veut pas être submergé.
Il y a donc une voie juste à trouver consistant à éveiller et à initier sur des bases simples sans propulser l’élève dans des pratiques hybrides qui exigeraient de quitter la logique du signifiant pour celle du signifié.
Or, force est de constater que l’astrologie est doublement submergé : d’une part par la complexité du monde et de l’autre par celle de son modèle qui n’est plus un modèle émetteur mais un modèle récepteur qui tend à devenir difforme et tentaculaire.

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Le mal qui sévit ici est le renoncement à ramenée les choses à des notions simples. Pour cela, il est souhaitable que l’on recoure à deux modes de communication : orale pour l’expression et visuelle pour la réception. Je montre une image et je demande à l’élevé de la décrire avec ses mots. En revanche, si je lui lis un texte comportant des mots qu’il ne connait pas, il perdra ses moyens. Il faut éviter que le plan objectif, de l’objet à décrire – à recevoir, à capter- soit formulé dans les mêmes termes que le plan subjectif, celui du sujet qui s’exprime. On pourrait dire que le langage est de l’ordre de la conscience en dialectique avec le monde qui serait de l’ordre de la science. Le langage aurait une vocation de structuration de la conscience, de la « pensée », et non pas de communication. Selon nous, la philosophie exige une certaine ascèse, une certaine abstraction. Sans faculté d’abstraction, on bascule dans un monde de confusion.

Si l’on traduit sur le plan astrologique, on attend de l’astrologue qu’il ramène les choses à l’essentiel et que son interlocuteur fasse effort de déchiffrement et de mise en adéquation avec lui-même., ce qui implique un temps de réflexion. Il doit traduire la complexité sous une forme dépouillée.
En bref, le langage en général et le langage astrologique en particulier sont à transmettre pour structurer notre conscience et nous ne pouvons le faire à la place d’autrui. Nous pouvons simplement aider l’autre à améliorer ses outils cognitifs et en ce sens nous sommes des émetteurs qui n’attendent pas de réponse mais qu’un travail « conscienciel » s’opère chez l’autre.

Cela dit, entre « initiés », l’on peut tout à fait communiquer mais on ne peut le faire avant que l’autre ne le devienne d’où la nécessité de répandre le plus largement et le plus tôt possible un langage de la conscience à condition que celui-ci ait été dépouillé de ses scories et de ses méandres…

Jacques Halbronn