Strasbourg le 22 septembre 2012

Un phénomène étonnant a lieu lors des équinoxes à l’intérieur de la cathédrale de Strasbourg : le « Rayon vert » !

A ne pas confondre avec le rayon vert astronomique qui a fait l’objet d’un roman de Jules Verne – et qui a pour cadre l’île de Jura (en Écosse) – et que l’on peut surtout apercevoir en Bretagne, au loin sur l’Océan, ou lorsque l’on contemple un coucher de Soleil depuis certains sommets des Alpes.

Bien que cela commence à être su en Alsace, peu de personne le connaisse encore en France de l’intérieur… !

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Le Rayon vert photographié par Marc Lebeau dans la Cathédrale de Strasbourg.

La cathédrale de Strasbourg au XVe siècle et le rayon vert à l’équinoxe 1992…

A ces dates équinoxiales (deux équinoxes dans l’année : au printemps, vers le 21 mars, et en automne, vers le 21 septembre), le soleil traversant le pied vert d’un personnage représenté sur un vitrail des fenêtres du triforium de la cathédrale de Strasbourg vient illuminer le Christ en croix représenté sur la chaire de grès rose, monument singulier de la nef.

Spectacle garanti !, notamment par le contraste de cette lumière d’un vert « surnaturel » sur le rose du grès de la chaire.

I – Les éléments du phénomène

A) entrée de la lumière dans la nef de la cathédrale

La lumière passe par le pied gauche d’un personnage représenté sur un vitrail du triforium (galerie haute des églises gothiques ou romanes – intermédiaire entre les arcades des bas-côtés et les verrières hautes).

Ce pied gauche est en fait constitué d’un morceau de verre d’un seul tenant, d’un vert pâle, très lumineux.

Il appartient à l’un des douze fils de Jacob : Juda (sans « s » : sur le vitrail, on peut en effet lire « O. VI. FVIT. JVDA ») – (*).

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2 – Le rayon vert à l’équinoxe d’automne de 2012 – le rayon illumine le Christ en croix. – 3 – Vitrail du Triforium : La lumière traverse le pied gauche de Judas, premier vitrail en partant de la gauche (équinoxe d’automne 2012) – 4 – La chaire de Hans Hammer pour Geiler de Kaysersberg.

B) L’arrivée du rayon vert

Elle a lieu sur la chaire, monument éminent et remarquable de la cathédrale, véritable dentelle de grès, réalisée par l’architecte Hans Hammer en 1486. Cette chaire a été réalisée spécialement pour le célèbre prédicateur Geiler de Kaysersberg.

La lumière verte passe d’abord sur le sol (à l’ouest de la chaire) puis monte lentement sur les détails sculptés de la chaire, de gauche à droite, son maximum étant atteint lorsqu’elle passe sur le Christ en croix.

II – De quand date le phénomène ?

Le vitrail de Juda a été mis en place vers 1875 lors d’une des nombreuses interventions sur l’édifice au cours des siècles.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là !

Ainsi que le révèle le journal L’Alsace du 17 mars 2012 :

« … ces vitraux, qui avaient été déposés pendant la Seconde Guerre, « ont été photographiés en 1949, étalés au sol. Et dans ces photos en noir et blanc, on ne voit pas de différence de luminosité ». Le pied aurait donc été changé après, ce qui eut pour effet d’amplifier le phénomène. Dans son ouvrage « La cathédrale de Strasbourg » (Robert Laffont, 1993), Michel Zehnacker affirme justement que des réparations sur ce vitrail ont été effectuées par les établissements Ott Frères en 1950 et… 1972. »

Le phénomène ne daterait ainsi que la deuxième moitié du XXe siècle… (1)
Cette datation correspond en outre à l’époque de sa découverte (au plus tôt en 1972).

Oui, mais voilà ! un détail passé sous silence la plupart du temps par les détracteurs vient apporter le doute : parmi les différents personnages représentés sur les vitraux du triforium, Judas est le seul à pointer du doigt l’un de ses pieds ! Le trait qui relie le doigt de la main droite et le pied gauche est parfaitement droit et ne laisse pas place au doute…

S’il paraît difficile de faire remonter le phénomène au-delà de 1875, on peut par contre s’interroger – sur la base de cette observation – sur sa mise en évidence tardive au courant du XXe siècle.

En 1875, l’horloge astronomique de la cathédrale est en cours de restauration ; pour mieux assurer le comput ecclésiastique basé sur la date de Pâques (2), un signe visible simple n’aurait-il pas été mis en place à cette époque pour marquer l’équinoxe ?

En tout cas, s’il s’agit d’une coïncidence, comme le soutiennent les autorités ecclésiastiques de Strasbourg et bon nombre d’anti « rayon vert », elle est assez spectaculaire, d’une beauté étrange et pénétrante et d’un symbolisme sophistiqué… (3).

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Le rayon vert sur la chaire (équinoxe d’automne 2008).

La mise en évidence de ce phénomène et le nom de « Rayon Vert » est du à un ingénieur, Maurice Rosart (4) qui l’aurait découvert en 1972. Pendant des années, ce passionné donnait une conférence improvisée dans la nef de la cathédrale à chaque apparition du rayon vert, ce qui donnait des « petits boutons » aux autorités de la cathédrale qui ont réussi, en 2010, à le « mettre dehors » et à « récupérer » la notoriété du phénomène en organisant une conférence (officielle et dûment autorisée, celle-là), avec « parquage » des curieux, mise en place de chaises (pour le confort des spectateur, mais qui,de fait, restreint ou interdit tout déplacement…), et assistance de quelques « vigiles » veillant à ce qu’aucune initiative déplacée n’ait lieu (comme par exemple aller voir au-delà des barrières mises en place autour de la chaire et dans les bas-côtés interdisant ainsi physiquement d’approcher ou d’en faire le tour…).

Il faut préciser cependant que M. Rosart développe en parallèle des théories assez explosives, sur la conception et l’architecture des cathédrales gothiques en poussant loin la thèse du « Temple dans l’homme » de Schwaller de Lubicz pour proposer plutôt « la femme dans le Temple »… : les deux tours de la « façade d’occident » sont ainsi les jambes relevées de la Déesse (antérieure à Notre-Dame : Isis, Alma Mater, ou apparentée) ; je vous laisse imaginer à quoi correspondent les petites et grandes roses que l’on voit par exemple à Reims ou à Amiens… (5)

Bref, tout ceci ne facilite pas l’observation (la prise des photos en 2012 s’en ressent) : tout doit être encadré, aseptisé, dirigé…

III – Du Vert au Rouge

Le « rayon vert » est précédé d’un « rayon rouge » !

Le personnage du vitrail se situant à droite de Judas (deuxième vitrail à droite) a, lui, ses deux pieds traversés par une lumière rouge.

De même que pour le pied vert de Judas, le verre utilisé est très transparent et teinté dans la masse (voir image 6a).

Une fois encore, on peut ainsi constater que le vert ne va pas sans le rouge…
Greenwich-Ligne Rouge, Sinople longtemps incertain entre le vert et le rouge, daltonisme, oxydes de fer rouges ou verts, … c’est également une constante alchimique…

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Quatre vitraux du triforium; Judas est le 2ème en partant de la gauche et montre son pied gauche de la main droite – Équinoxe d’automne 2008.

IV – De la rareté des signaux équinoxiaux et de la difficulté de leur mise en évidence

66.jpg Dans de nombreux monuments, il a été mis en valeur des signaux solsticiaux : Chartres, New-Grange, Montségur, …

On pourrait disserter sur cette « nécessité » de mettre en évidence le rayon solsticial, mais là n’est pas mon propos.

En effet, s’il est relativement simple de bien calibrer l’architecture pour capter le rayon solsticial, il n’en est pas de même pour le rayon d’équinoxe !
Aux solstices, comme le nom l’indique (Sol statio), le Soleil semble ne pas bouger et se lève, ou se couche, pendant plusieurs jours quasiment au même endroit.

Aux équinoxes, il en va tout autrement ! le Soleil d’un jour sur l’autre, file sur l’horizon à toute vitesse. A cette époque de l’année les différences angulaires et temporelles des levés et couchers entre deux jours consécutifs sont à leurs maxima, ce qui ne facilite pas la mise en place d’un dispositif adéquat.

C’est la raison essentielle pour laquelle les monuments ne montrent pas de phénomènes lumineux aux équinoxes. Le rayon vert de la cathédrale de Strasbourg est une exception notable !

Cette rapidité de déplacement implique également que le phénomène lumineux, que l’on souhaite caler à une heure fixe (midi par exemple, mais à Strasbourg, c’est plus tôt), ne coïncide pas exactement avec l’équinoxe astronomique. Il en résulte à Strasbourg par exemple, que le rayon n’est pas « fixe » d’un équinoxe à l’autre : ainsi, ce rayon atteindra une année, le haut de la chaire, l’autre, la tête du Christ, et l’année d’après, son thorax… Le rayon solsticial, lui, éclaire toujours, année après année, le même clou dans le pavage de la cathédrale de Chartres.

V – Une dernière coïncidence étonnante !

55-7.jpg Dans un article « STRASBOURG GREEN RAYS (6) » de 2005 de « The Multinational History of Strasbourg Astronomical Observatory », A. HECK, de l’Observatoire Astronomique de Strasbourg, présente le rayon vert visible dans la cathédrale et rapelle qu’en 1920, A. Danjeon (7) et G. Rougier (8) avaient installés un appareillage spécifique, un spectographe, sur la plate-forme de la cathédrale de Strasbourg, à 66 m de haut pour dominer la ville et mieux viser ainsi l’horizon, destiné à saisir l’instant fugace du rayon vert (astronomique, celui-là : dernier rayon coloré du soleil à son coucher). Au total, 19 planches spectographiques furent obtenues entre le 17 juillet et le 3 août 1920.
Ils on ainsi pu montrer que ce « flash » vert ne dépassait pas 1,5 secondes et expliquer pourquoi l’observateur, qui devrait voir des flashs successifs de plusieurs couleurs, n’en percevait qu’un seul, le vert.

L’explication est que le spectre solaire, à son coucher, ne peut être considéré comme continu et, qu’en gros, seules deux couleurs dominent : le Rouge et le Vert… ! (9)

Alors, la Cathédrale de Strasbourg, dans son grès rouge, serait-elle « abonnée » au « Rayon Vert »… ?

Marc LebeauToutes les photographies sont de l’auteur – Marc Lebeau © – « Les Chroniques de Mars », Numéro 10, Décembre 2012.

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Légende image 9 // Mise en évidence du tracé – Equinoxe d’automne 2008.

NOTES

(1) : Pour le détail de l’histoire de ces vitraux, passablement compliquée, je renvoie le lecteur à l’article de Louis Tschaen dans le Bulletin de la Cathédrale de Strasbourg, XVII, 1986 (consultable sur le site suivant :

http://michel.lalos.free.fr/cadrans_solaires/autres_depts/bas_rhin/rayon_vert/strasbourg_rayon_vert_pg.pdf

Louis Tschaen s’est livré à une véritable enquête à la Sherlock Holmes pour retrouver la trace et l’histoire de ce pied !

(2) : La date chrétienne de Pâques est fixée comme étant « le dimanche qui suit la première pleine lune qui suit le printemps ». La détermination de cette date qui ne pose pas vraiment de problème dans la grande majorité des cas, butte sur des difficultés importantes lorsque la pleine lune est proche du printemps ; en effet, ces deux phénomènes étaient assez difficiles à préciser « au poil près » : quand la Lune est-elle effectivement pleine ? à quelle heure exacte ?

(Essayez pour voir en examinant la prochaine Pleine-Lune et vous serez surpris de la difficulté…) ; de même, quand la Terre croise-t-elle exactement le point Vernal (point de la trajectoire de la Terre autour du Soleil où les rayons de l’astre du jour pointent exactement sur l’équateur ; cf. inclinaison de la Terre sur son orbite) ?

(3) : Par exemple, le vert de la résurrection vient frapper le Christ en croix au moment de Pâques…

(4) : Nom assez prédestiné dans ces matières ésotériques !

(5) : Voir son livre « Une Cathédrale se dévoile – Le rayon vert de Strasbourg et autres mystères des cathédrales », Editions du Rhin/La Nuée Bleu/DNA, Strasbourg 2004.

(6) : On verra le pourquoi de ce « s ».

(7) : André Danjon (1890-1967), astronome célèbre, connu pour les aménagements techniques qu’il a portés aux instruments d’observation, directeur de l’Observatoire de Strasbourg de 1929 à 1945 puis directeur de l’Observatoire de Paris de 1945 à 1963.

(8) : Gilbert Rougier (1886-1947), d’abord ingénieur chimiste, il opte pour l’astronomie après avoir lu « l’Astronomie populaire » de Camille Flammarion ; aide-astronome à l’Observatoire de Strasbourg en 1919, il termina directeur de l’Observatoire de Bordeaux ; il a notamment fait progresser la photométrie photoélectrique.

(9) : Pour plus d’explication, et pour les anglophones, je renvoie à l’article de M. Heck, visible sur le site :

http://vizier.u-strasbg.fr/~heck/sx_greenrays

Addenda – Un lecteur nous écrit // – Le jour de l’équinoxe le rayon vert est toujours, sur le dais qui surplombe le Christ de la chaire. Jamais sur le Christ
lui-même. C’est d’ailleurs ce dais qui matérialise le jour du changement
de saison. – M. R.

(*) Nous écrirons dans cet article JUDA(S), avec ou sans « S », selon la source de référence.

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