Ze Blog vous avait prévenu… ! Cette histoire de guerre des culottes, dévoilée en septembre sur notre site Internet, risque de faire grand bruit ! A quand les casques bleus ? Après le « Canard Enchaîné », « la Provence », « Le Monde » (et j’en passe), c’est maintenant le journal « Libération » qui s’en mêle ! Rien que ça… Et propose un récapitulatif grandiose de cette « affaire », qui oppose notre ami Mérou, au maire de son village, alors – pour ceusses qui auraient raté les premiers épisodes… : « Dans le Luberon, une histoire d’accrochage de linge oppose le maire de Reillanne à un habitant. Enquête sur les dessous de l’affaire… Autant prévenir tout de suite : l’affaire du slip de Reillanne (Alpes-de-Haute-Provence) est une histoire à la con. Mais souffrez qu’on vous la conte. Dans ce bourg du Luberon perché sur un éperon rocheux, le maire a interdit l’étendage public. Un citoyen révolté, le sieur Mérou, artiste, a bravé son arrêté en accrochant au fil de grandes culottes taillées dans des draps. Le maire a tout arraché. Mérou, en retour, a commandé 100 slips XL pour les étendre, dans un festival à venir, dit des «cent culottes». Une fête du slip géante ? Ça sent le feu d’artifesses. Il y aurait même un colloque, avec conférences sur les vertus de la lessive, histoire d’alimenter le combat.

Calligraphie et cahiers

A Reillanne, ça chauffe dans les calbuts. Les 1 500 habitants du village, jusque-là réputé pour être «propice à la flânerie et à la contemplation», sont divisés. Le conflit s’étend, à la différence du linge, et il a réveillé les poètes : Mérou reçoit force littérature. «Les choses étant ce caleçon, qui porte la culotte ?» demande un auteur, se référant au Canard enchaîné, qui a répercuté l’affaire en août, sur appel de Mérou : «Je voulais qu’il y ait un article dans le Canard, ça fout quand même bien la honte.» Un certain Jean Talus évoque «ces étendards détendus qui] détendaient les gens tendus». Un inquiet se demande s’il va falloir «sacrifier les sous-tifs». Le dénommé Méméliane phosphore dur sur son linge : «Pourquoi faudrait-il le cacher?/Comme aux vieilles époques/ Puissions-nous le sécher dans le pré/ Sans que des seigneurs ne l’ôtent ?» Et pourquoi, «sur le fil tendu de notre liberté/ Vouloir étendre des lois idiotes ?»

Au départ, le sieur Mérou, Henri de son prénom et «râleur» culotté de profession, est un garçon pacifique. Il vit entouré d’un fourbi de 40 000 cahiers d’écoliers, trouvés au fond d’une poubelle, glanés ou donnés. Mérou y étudie la calligraphie, un travail impressionnant et unique, qui l’amène aussi à récolter des phrases d’ados dans leurs agendas (1) : «Ça gaze, pas la peine de m’arranger le coup, je sors déjà avec Charly.» Ou : «Les mecs, c’est comme les champignons, on les cherche, on les trouve, et ils nous empoisonnent [y en a des comestibles].» Du tout beau tout mignon. Mais on s’égare.

Le jeune Mérou, 62 ans, qui s’appelle en fait Gouttard, a un problème : un égout émet, sous ses fenêtres, des effluves incommodantes. Il saisit le maire, Alain Calvet, 72 ans. Lequel rétorque, par une missive du 25 mars, qu’il ne peut rien y faire : «Tout autant que vous, j’aimerais que ce problème se règle définitivement, malheureusement, des difficultés techniques…» En revanche, l’édile signale à Mérou que «plusieurs plaintes» le visent, à propos d’un étendoir public qu’il utilise en bord de route. Le maire y voit une occupation illégale de l’espace public : «L’étendage de linge constitue une pollution visuelle à une entrée de village.» Une «pollution visuelle» ? L’élu UMP vient d’entrer dans l’art moderne, sans le savoir. Deux mois et demi plus tard, le maire édicte un arrêté beau comme un slip propre. Article 1 : «A compter de ce jour, l’étendage du linge est interdit sur le domaine public.» Article 3 : «L’étendage aux fenêtres devra être le plus discret possible.» Le concept de discrétion est laissé à l’appréciation des villageois. Mais, face au diktat, Mérou découpe dans des draps trois grandes culottes factices et les accroche en face de chez lui. Non mais ! Mérou n’aime pas les «vieux cons» et joue la provoc, histoire de rigoler.

«Je t’ai dans la boîte»

Mais le maire n’a pas repris, en 2009, cette municipalité des mains de dangereux communistes, pour accepter la chienlit. A la mi-juillet, l’édile vient arracher les slips et l’étendoir. «Il a fait un carnage», peste Mérou qui, malin, l’a pris en photo. «Il croyait que je n’étais pas là. J’y ai dit : « T’as fait tout faux, je t’ai dans la boîte. »» Le maire s’est-il mis dans de sales draps ? Mérou attaque. Il dépose un recours au tribunal administratif de Marseille, pour demander l’annulation de l’arrêté : aucun trouble de l’ordre public ni raison de sécurité ne peuvent le motiver. D’ailleurs, l’arrêté n’est pas motivé. Ce diable de Mérou l’est et il adore Clochemerle, le roman de Gabriel Chevallier (1934), dont il biche d’écrire un nouveau chapitre. Dans son plaidoyer, il explique que, jouxtant un ancien lavoir, l’étendoir était en place «depuis plus de cinquante ans» et servait à de nombreux habitants. Il lui semble «bien plus que symbolique», car il contribue à «l’identité visuelle d’un village provençal». La jurisprudence restant succincte, il serait heureux que les plus grands juristes se penchent sur le dossier.

De son côté, le maire a porté plainte pour «outrage à autorité publique». Mérou va-t-il finir au poste, et en slip ? On le craint, car il va trop loin, dénonçant dans l’interdit un méfait du sarkozysme, dont le maire se revendique. Ouh la la, Mérou, gaffe, là ! Tu joues ta peau. Mais il n’en démord pas : une certaine droite veut régenter l’espace public, selon une «vision petit-bourgeois», alors que le village entend rester «assez gaulois». Le maire «voudrait que Reillanne ressemble à Gordes ou Roussillon, ces villages du Luberon prout prout bobo pouet pouet parisiens», déplore Mérou qui, imperturbable, continue d’accrocher sa culotte géante. Il y a inscrit l’aphorisme («l’étendage est une pollution visuelle») qui place l’élu quelque part entre Ben et Magritte.

Mais qu’en pense le maire ? Rien. «J’en ai marre de cette affaire, je reste muet.» Puis, il produit une logorrhée qui fait notre affaire. Mais quelle affaire ? «Elle n’en vaut pas la peine», assure Alain Calvet, qui perd «un temps fou là-dessus». L’arrêté, il ne le regrette pas : «Il vaut mieux un village propre qu’un village pourri.» Et ne lui parlez pas d’une tradition provençale consistant à accrocher son linge dans la rue. «A l’époque, il y avait aussi une tradition : jeter les pots de chambre dans la rue. On continue ?»

Complot communiste

Voilà une idée : après la fête du slip, celle du pot de chambre. Luberon, goût de chiottes ? Délicate question, dont la presse s’est emparée, cet été, répercutant l’affaire du slip à travers les océans. «Un gros buzz», constate Mérou, effaré. Avec des articles jusqu’en Suisse et en Colombie. «On me l’a dit, j’attends les preuves.» Tout en savourant, il s’inquiète. Comment une histoire aussi «dérisoire» peut-elle trouver un tel écho ? Ah ça, M’sieur Mérou, pouvez pas comprendre ! C’est la grande presse. La guerre en Afghanistan peut attendre un jour ou deux, mais le slip géant de Reillanne, non, urgent !

Finalement, quand on gratte un peu, la vérité éclate. «C’est un problème politique uniquement», glisse le maire UMP. La sauce est, selon lui, montée en épingle (à linge) par les opposants de gauche, «qui n’ont pas digéré le résultat des élections». Car «un communiste qui se fait faucher la place par un gars de l’UMP…» Le fameux complot communiste ! On aurait dû s’en douter. La lutte des slips, après celle des classes ? Mérou conteste : il n’est pas encarté, pas même au Front de Libération du Slip (FLS), juste énervé. Mais reconnaît que l’histoire «fédère la gauche citoyenne» dans le village, alors qu’elle avait «la tête dans le sac» après les élections. Depuis l’été, les opposants sortent même un journal, Place publique, avec une rubrique «Mérou pète les plombs.» (2).

Au final, y a-t-il conflit entre deux artistes ? Le maire, ingénieur dans le nucléaire à la retraite, sculpte le métal, Mérou fait dans la calligraphie. Les deux ne s’apprécient guère. «Je ne critique pas ses œuvres, quoique je pourrais», glisse Mérou. «M. Gouttard [vrai nom de Mérou, ndlr] s’est décrété artiste. Mais artiste de quoi ?» persifle le maire. L’affaire, d’un conflit d’égout, tourne en conflit d’ego. Pour en avoir le cœur net, nous avons mené l’enquête, embedded dans notre (propre) slip. Et nous révélons ici un fait douloureux : une petite culotte noire, genre string, était étendue sur un fil, le 28 septembre à 13 h 36, au mépris de l’arrêté municipal. Nous tenons à la disposition du maire sa localisation exacte, via GPS. Mais qui a parlé d’une histoire à la con ?

>[Libération du 16 octobre 2010]

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13/09/10 [La guerre des culottes #1]

14/09/10 [La guerre des culottes #2]

(1) «Les Cahiers de la République», de Suzanne Bukiet et Henri Mérou, et «Agendas. Cahiers de textes et agendas d’adolescents», d’Aude Vincent et Henri Mérou, éditions Alternatives.

(2) Jeu de mots.