Si vous êtes allés récemment au cinéma, vous avez sûrement remarqué qu’avant les films à grand spectacle, un texte vous mettait en garde contre toute tentative d’enregistrer le ci-après blockbuster sous peine de vous retrouver immédiatement embastillé, soumis à la question ou même décapité à la hache (non aiguisée) sur le parvis du cinéma. Si vous visionnez des DVD, vous n’avez pas non plus été épargnés par le même genre d’avertissements signalant qu’il est interdit de louer, vendre, dupliquer, donner à vos amis ou vos proches le film en question, là encore sous peine d’encourir les foudres de la loi, et Dieu sait que ces temps ci, elle a plutôt le glaive vengeur et le bras séculier, comme disait le Raoul.

Vous pourriez penser que ces avertissements à ne pas outrepasser les sacro saints DRM sont des symptômes de la post-modernité ? Qu’ils sont le reflet d’un monde où on cherche plus à protéger ses créations qu’à en générer de nouvelles ? Eh bien vous avez tort, car ce genre de mention existait déjà il y a mille ans dans les manuscrits médiévaux !

Un blog étasunien, « Got Medieval », que je conseille à tous nos amis anglophones et médiévistes de suivre de près, a récemment porté ce fait à la connaissance du monde numérique ébahi. Un livre assez ancien de Mark Drogin passé totalement inaperçu, « Anathema : medieval scribes and the history of book curses » (Anathème, les scribes médiévaux et l’histoire des malédictions livresques) recueille même les plus intéressantes malédictions, bien souvent dans leur langue d’origine, le latin, dont la concision rend ces formoles encore plus percutantes. Ze Blog n’a pas hésité un instant pour lancer sur la piste de cet ouvrage ses plus fins limiers numériques afin de vous en faire un compte rendu par le menu !

Eh oui, les manuscrits eux aussi étaient sujets au vol pur et simple ou même au découpage page par page, enluminure par enluminure (et cette pratique se poursuit encore de nos jours) ! Et les copistes, ayant sué sang et eau (c’est eux qui le disent !) pendant des années pour écrire et illustrer ces magnifiques ouvrages, ne tenaient pas à se les faire barboter en cinq minutes par une nuit noire au nez et à la barbe du moine bibliothécaire. Donc pour s’en protéger ils usaient de moyens matériels, des chaînes le plus souvent, pour lier indéfectiblement ces trésors aux murs de l’abbaye. Mais, en intermédiaires avisés avec la divinité, sur la couverture intérieure ou une des pages de l’ouvrage, il prévenaient les criminels potentiels qu’ils encouraient mille malédictions, souvent décrites par le menu, s’il s’avisaient de mutiler, de détruire ou de voler l’ouvrage et chargeaient Dieu de les appliquer avec la plus extrême sévérité sur les criminels bibliophages.

Ma préférée, en vers et en vieux français :

« dechire soit de truies et pourceaux,
et puys son corps trayne en leaue du Rin,
le cueur fendu decoupe par morceaux,
qui ces Heures prendra par larcin »

(Simon Vostre, Paris, 1502).

Délicieux, non ?

>[Ze Blog]

PS : le blog Got Medieval a rajouté tout récemment un addendum à son premier article afin de préciser que la malédiction ne s’adressait pas aux copieurs légitimes mais bien aux voleurs… On avait compris.