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 » LA SAGA des GARNIER « 

J’ai tout de suite accepté quand Thierry Emmanuel Garnier m’a demandé de rédiger la préface de son ouvrage sur son illustre grand-père Emmanuel et sur ce l’on peut appeler la saga des Garnier. C’est alors que, insidieux, les doutes sont venus : étais-je l’homme idoine pour ce faire ? J’avais déjà été préfacier certes (1) et puis j’avais une assez bonne connaissance sur l’homme, l’époque, le pilotage, mais enfin étais-je capable de réaliser un tel écrit ? Cette crainte soudaine survenue était de ne pas être la hauteur, de ne pas trouver les mots assez forts pour évoquer cet « homme fastique », expression chère à Chateaubriand et qui signifie « digne de rester dans la mémoire des hommes ».

Me référant, une fois encore, à Georges Clemenceau autre grand Vendéen, qui d’ailleurs connut Emmanuel Garnier, et qui disait : « en toute chose le meilleur de l’homme est de tenter » je me suis donc exécuté mais ai-je réussi cette gageure ? Gageure aussi pour Thierry Emmanuel de parler de son grand-père dont son propre père, Emmanuel, et ses tantes Louise et Emma ont si souvent en sa présence évoqué le célèbre aïeul. Il a fallu deux décennies et tout un cheminement d’esprit à Thierry Emmanuel pour se résoudre à faire resurgir ce passé glorieux, ce qui a nécessité des recherches archivistiques approfondies et ô combien chronophages dans différents services pour compléter les témoignages et les souvenirs familiaux.

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Entre l’arrivée en Vendée à la fin du XVIIIème siècle, à une date non précisément retrouvée, du premier Garnier, à nos jours, plus de deux siècles se sont écoulés. Mais ce jeune poitevin Pierre Garnier, fils de Pierre, laboureur de son état mais dont on ne sait s’il était « laboureur à bras » ou « laboureur à bœufs », dans quelles circonstances est-il venu aux Sables ? Etait-ce motu proprio, l’appel de la mer, le goût de l’aventure ? Par nécessité, peut-être pour échapper à la misère ? Ou était-il conscrit dans les troupes républicaines casernées aux Sables pour ne pas permettre aux Vendéens insurgés de s’emparer de la ville et par là du port si précieux aux belligérants ? Si telle est l’occurrence, sans doute plus que la douceur des mœurs et du climat c’est une jeune et sémillante sablaise qui l’a retenu. Ce cas semble avoir été relativement fréquent à l’époque considérée.

2-67.jpg Toutes ces suppositions ne sont que des hypothèses mais il est une chose certaine c’est au Passage que se fixera le jeune Pierre, ce sera donc le berceau sablais et par la suite toute la lignée Garnier résidera aux mêmes lieux et presque dans la même rue…
Le Passage ? Ainsi appelait-on et appelle-ton toujours le quartier des Sables circonscrit entre port et plage et ayant pour limite orientale (au sens large) l’église Notre Dame de Bon-Port (pour d’aucuns c’est la place du Commerce) et, à l’occident, le quai Dingler, le long du chenal, face au quartier de la Chaume. Venu d’ailleurs, le premier Garnier semble avoir été accepté sans réserve par la population autochtone, mais presque toutes les vieilles familles sablaises et chaumoises ne sont-elles pas, un jour plus ou moins lointain, venues d’ailleurs ? Du pays basque, de Bretagne et parfois bien au-delà… Le Passage était alors une sorte de microcosme né de la configuration resserrée de l’habitat avec ses rues étroites, souvent ruelles plutôt que rues, et de l’importante biomasse de marins, pêcheurs presque exclusivement.

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Je ne peux m’empêcher d’ajouter qu’il est inutile maintenant de chercher en ces lieux des marins en activité, il n’y en a pas…, il n’y en a plus : ne subsistent que de rares demi-soldiers et quelques veuves de marin, mais chaque année, la camarde nous enlève quelques anciens à la tête depuis longtemps chenue… À la belle saison, les vacanciers « les baigneurs » viennent occuper les maisons de pêcheurs ainsi libérées et si recherchées. À « ces intermittents de l’espace » s’ajoutent, à l’année, la cohorte des Parisiens en fin de vie… Je m’interroge parfois : Sont-ils venus pour y vivre ou pour y mourir ?

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Qu’il me soit pardonné cette dérive… revenons à la fin du XVIIIème siècle. En ce milieu alors si hautement maritime, le jeune Garnier et plus tard ses descendants ne pouvaient que devenir marins : la mer toute proche parfois alanguie, mais dont l’écume et les embruns par gros temps venaient gifler les vitres et les rafales battre les contrevents… le grondement de l’océan, les mouettes criardes… l’odeur des sardines grillées au pas des portes et qui paraissaient fragrances… et puis les voisins tous marins, leur tenue pittoresque, leur parler si savoureux… La famille Garnier est alors, pourrait-on dire, à la racine de sa destinée. Pierre ne sait pas cela en devenant, de laboureur de la terre à laboureur de la mer… Changement d’un mot dans l’expression mais tout un autre monde. Son fils, prénommé Pierre sera marin aussi. La lignée des marins va perdurer mais le prénom « Emmanuel » va se substituer à la série des « Pierre » : Emmanuel venant en premier prénom ou en second. Ainsi Jean-Emmanuel péri en mer lors du gros temps de janvier 1881.

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Son fils Emmanuel, Louis, d’abord patron de pêche, sera reçu au concours de pilote du port des Sables en 1897 devenant ainsi un notable bourgeois. Cela sans connotation péjorative, au sens premier du terme : qui habite le bourg (de la station de pilotage), condition sine qua non pour un pilote. Il aura le droit d’arborer à sa boutonnière une ancre en argent un peu à la manière des peintres officiels de la Marine qui ont l’insigne honneur de pouvoir ajouter une ancre à la signature de leurs œuvres. Sa carrière sera émaillée de sauvetages et d’actes de courage récompensés par différentes distinctions et décorations dont la plus prestigieuse, la Légion d’Honneur.

En ce 29 novembre 1894 lui était né un fils, on l’avait appelé Emmanuel, Isaïe, François. Ce garçon sera d’abord marin pêcheur puis pilote comme son père. Mais avant cela, la Grande-Guerre était venue bouleverser la vie de nombreux humains, et même l’interrompre. Mobilisé en Méditerranée à bord du cuirassé la « Provence », Emmanuel Garnier sera rendu à la vie civile avec le grade de maître-timonier ce qui m’apparait comme un signe certain de la valeur du jeune conscrit sablais. Bien peu, oui bien peu d’inscrits maritimes pêcheurs, ont terminé la guerre officier-marinier et surtout avec le grade de maître et dans la spécialité de timonier. Spécialisation qui a du lui être de grande utilité pour le concours de pilotage où il fut classé premier, en 1927, et ensuite dans le cours de sa carrière de pilote du port des Sables.

C’est en septembre 1926, lors d’un violent conflit sardinier opposant les pêcheurs bretons et autochtones qu’Emmanuel Garnier va être « l’homme sorti des évènements ». Le représentant des pêcheurs, assez âgé, ne peut contenir ses troupes. On fait appel à lui, il n’a pas trente-deux ans, mais les rudes anciens, pragmatiques et perspicaces ont subodoré qu’il y avait un chef en sa personne. Il sera reconnu que par son charisme et déjà son aura il a empêché qu’une situation particulièrement explosive ne se termine par mort d’hommes. Il enchaînera par la suite toutes les responsabilités inhérentes à la profession de marin pêcheur. On le trouvera avec moult casquettes dans tous les organismes maritimes localement mais aussi au niveau régional et même national (comité de la sardine et du thon, etc.). Il sera de tous les combats et à l’origine de tous les essais ou réalisations… Je sais un livre en préparation et peut être même achevé sur la coopération et les différents organismes syndicaux maritimes où le nom et l’œuvre d’Emmanuel Garnier seront longuement évoqués.

Il ne peut-être énuméré les réalisations où son intervention a été prépondérante d’ailleurs en est-il où Emmanuel Garnier n’ait pas été à l’origine en ce temps-là ? Je n’en connais pas. Arrive la drôle de guerre, elle ne sera drôle qu’un temps, Emmanuel Garnier est mobilisé mais l’administrateur de la Marine aux Sables le fait revenir : « La présence de Monsieur Garnier aux Sables m’apparait comme étant d’une utilité incontestable (…) par ses qualités d’organisateur et par l’ascendant qu’il a sur les pêcheurs… » Je sais personnellement peu de choses sur le rôle de résistant du glorieux pilote sablais mais, Thierry Emmanuel l’historien de son grand-père, de par ses recherches, nous conte tout cela… Emmanuel Garnier, le résistant, le meneur d’hommes, l’organisateur, le pilote aura une fin dans les conditions atroces que l’on sait, cette mort toutefois sera glorieuse. La disparition de leur leader charismatique sera douloureusement ressentie par la gent maritime comme l’atteste le nouvel Administrateur, Monsieur Pierre Berthemet en mai 1945 : «… c’est ainsi que depuis mes prises de fonction aux Sables, je n’entends chaque jour que ses louanges. Je ne reçois que des témoignages d’affection qu’on lui portait et lorsque, à chaque instant son souvenir est évoqué par les hommes de mer, ceux-ci ont encore les larmes aux yeux… ».

Il sera l’éponyme de plusieurs navires, un quai des Sables porte son nom, des plaques commémoratives apposées peu après la guerre rappellent sa mémoire. Cent vingt ans se sont écoulés depuis sa naissance. Ceux qui l’ont connu et toujours de ce monde étaient donc bien jeunes à l’époque. Ainsi Jacques Rousseau, alias « La Grenouille », 87 ans, un presque voisin, de ce fait, se souvient de lui. Jacques a été d’ailleurs un des premiers mousses élève à l’école dite à « Deux Degrés », initiative de Garnier. Mais les adultes d’alors depuis longtemps s’en sont allés et la mémoire est labile et évanescente. Qui aurait eu souvenance d’Emmanuel Garnier dans quelques décennies ?

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Particulièrement heureuse est donc l’initiative des pilotes de Loire chargés de la desserte du port des Sables, ses pairs, « ceux qui connaissent les chenaux et les passes » d’inscrire « Pilote Garnier » sur le pavois arrière de leur nouvelle pilotine. Qu’ils en soient remerciés. Cette appellation suscitera le questionnement des badauds observant les mouvements du port. Ce magistral ouvrage de Thierry Emmanuel, son petit-fils, contribuera aussi grandement à la reviviscence du souvenir. À la connaissance de tout ce qu’Emmanuel Garnier a fait pour la profession de marin, ses combats pour lutter contre la routine, « la sainte routine » à l’expression de plusieurs chefs de quartier, et particulièrement sa participation à l’enseignement maritime – ainsi l’Ecole à Deux Degrés – qu’il me soit permis une suggestion : L’Ecole de Formation des Métiers de la Mer (toujours l’Ecole des Pêches pour les anciens) est restée en quelque sorte innommée. Les caciques de la communauté maritime sablaise s’honoreraient s’ils décidaient d’appeler cet établissement « Ecole Emmanuel Garnier ». J’en exprime le vœu.

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Depuis la première nomination de pilote du premier Emmanuel Garnier en 1897 au port des Sables, de son fils Emmanuel en 1927, au même lieu, de son petit-fils Emmanuel en 1960 à la station de Marseille Fos-sur-Mer, de son arrière petit-fils Rémi nommé pilote en 1996, à l’âge de 31 ans à Pointe-à-Pitre, pratiquement un siècle s’est écoulé.

Que perdure la dynastie des pilotes Garnier.

Roland Mornet © 2014.Préface au livre de Thierry Emmanuel Garnier.

 

A lire // un extrait du LIVRE >

Thierry Emmanuel GARNIER – Emmanuel Garnier – Héros de la Résistance.

 

(1) Préface l’ouvrage « Il était une fois des marins » de Jean-Paul Léger et de Maurice Gindreau, 2012. Editions La Découvrance.


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COMMANDE du LIVRE sur le site CATALOGUE

 


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Soldat de la Grande Guerre – Héros de la Résistance

Préface de Roland Mornet
(auteur de 100 ans d’Histoire du port
des Sables d’Olonne XIXe – XXe)

PREMIÈRE PARTIE – L’APPEL DE LA MER

I – 1199-1777 – Du nom de Garnier

II – 1789-1830 – La lignée rebelle.

III – 1830-1894 – Quand la mer se venge.

IV – 1894-1909 – Les années d’enfance.

V – 1914-1918 – La Grande Guerre.

VI – 1919 – Blocus dans l’Adriatique.

VII – 1919-1929 – Patron pêcheur, syndicaliste et sauveteur.

VIII – 1790-1939 – Le canot de sauvetage.

IX – 1935 – « L’affaire du Touille ».

X – 1929-1939 – Entre syndicalisme et humanisme.

CAHIER ICONOGRAPHIQUE – 120 documents, photographies et archives.

DEUXIÈME PARTIE – L’ANKOU – « Le passeur d’âmes ».

XI – 1939-1944 – Les années de Guerre.

XII – 1941 – Un sous-marin anglais, le « Tigris ».

XIII – 1942- La Résistance vendéenne – Le réseau « Manipule ».

XIV – 1943 – Mission « Westland Lysander ».

XV – 1944 – Le Hafenkapitän Harken.

XVI – 1944 – Une lettre manuscrite d’Emmanuel Garnier.

XVII – 1944 – Mort pour la France.

XVIII – 1945 – La Libération.

XIX – In Memoriam.

XX – Remerciements.

CHRONOLOGIE

Index Nominum

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THESAVRVS // Agneau – Air – Alpha – Alphabet grec – Alphabet romain – Âne – Ange – Année solaire – Anthropologie – Apocalypse – Argent – Art poétique – Astronomie – Berger – Bible – Boaz – Bœuf – Carl-Gustav Jung – Carré – Cartographie céleste – Cène – Cercle – Chiffres – Christ – Cœur – Couleurs – Coupe Coutumes – Croix – Cromlech – Cycle lunaire – Désert – Divinations – Dolmen – Dragon – Eau – Etrusques – Feu – Figures – Formes – Gestes – Graal – Hébreux – Histoire – Jakin – Lion – Mains – Mégalithes – Menhir – Mère – Miel – Montagne – Myrrhe – Mythes – Mythes fondateurs – Nature des symboles – Nombres – Nombres – Omega – Or – Pain – Paradis – Phénicien – Poissons – Pythagore – Pythagorisme – Religions – Rêves – Runes – Sang – Sel – Serpent – Signes – Soleil – Souffle – Sumbolon – Symboles – Symboles chrétiens primitifs – Symboles dans la Bible – Symbolisme – Taureau – Temple – Terre – Tradition – Triangle – Veilleur – Vin – Zoé //