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DE LA TRADITION PRIMORDIALE à LA GNOSE ALEXANDRINE

Pistis Sophia

 

(…) Comme nous venons de le voir, Pistis Sophia apparaît dans l’Hypostase des Archontes. Il s’agit d’une allégorie et comme telle, elle est mentionnée dans des documents divers, mais également voici le titre d’un ouvrage monumental dont l’analyse et la datation suscitent des commentaires.

En préambule, le terme de Pistis Sophia peut se traduire par Foi – Sagesse ou plutôt par Fidèle Sagesse. Voici un écrit prêté à Philippe, qui relate l’enseignement du Christ à ses disciples préférés, après sa Résurrection et sa montée aux cieux. Le texte précise, en effet, que ce dernier, l’un des premiers diacres de l’Église, fait office de scribe. Pour l’étude, les traducteurs disposent d’un manuscrit de trois cent dix-huit pages, appartenant au codex Askew, daté du VIe siècle, mais qui paraît être la traduction d’un original beaucoup plus ancien, lequel pourrait remonter au IIe ou IIIe siècle. Ici, on entre nettement en concordance avec nombre d’écrits gnostiques. On y décèle quelques parentés dans le plan et les sujets traités avec l’Évangile selon Marie. Le déroulement rappelle aussi la tradition hébraïque apocalyptique (le Livre d’Hénoch) ou plus anciennement, le Livre de Thot, où l’âme accède à des paradis de plus en plus élevés jusqu’au trône de Dieu. Ici, le canevas est le suivant : une entité immatérielle expose son parcours. Attirée par la lumière extrême provenant des plans supérieurs, et avec un désir profond, elle s’est envolée vers la source de cet éclat inextinguible. Or, le chef du cercle auquel elle appartient, Adamas, l’a sévèrement punie pour cette incartade, en faisant luire une fausse lumière sur les eaux. Pistis Sophia a alors plongé dans l’abîme. Maintenant, elle gît atterrée, effondrée, en larmes et supplie pour qu’on lui vienne en aide. Parvenu au treizième ciel, Jésus l’aperçoit, intervient et se charge de sa rédemption.

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Ce haut fait n’est pas le seul intérêt du texte, même s’il lui donne son titre. Il convient d’en rappeler le contexte de départ. Jésus vient de ressusciter et pendant onze ans, il enseigne à ses disciples sa doctrine secrète. Trois ou quatre parties découpent l’ouvrage. Tous les thèmes chers aux gnostiques sont abordés – émanation d’êtres spirituels depuis les plans supérieurs et dégénérescence de ceux-ci, cosmogonie, hiérarchie et nature des esprits, ascension de l’âme, source du mal. Entre en scène justement Marie de Magdala, humble au départ, qui pose à Jésus des questions sur le péché. Celui-ci lui répond en dissertant sur l’âme de l’être humain. Il est question également des puissances qui régissent les lieux des tourments destinés aux damnés. Toujours est-il que Marie prend de plus en plus d’ascendant sur les autres disciples, se laisse aller à l’inspiration, parle de plus en plus longuement et finit par rendre Pierre jaloux de sa faconde. Toute une cosmogonie se dévoile donc au fil des pages, avec des mystères si cachés qu’ils ne doivent être révélés à personne, avec des signes, des voyelles, des arbres et autres formules qui doivent être connues pour négocier tout passage dans l’au-delà.

Quelques avis à propos de Pistis Sophia

Les avis sont très partagés à propos de cette œuvre, diversement interprétée. Selon certains commentateurs, il pourrait s’agir d’un exposé de thèses valentiniennes, avec quelques résurgences ophites. Pour Eugène de Faye, la quatrième partie serait plus archaïque. Il y a une lacune de plusieurs feuillets dans les vingt pages finales, et du coup, la fin n’en est plus vraiment une et il n’y a pas de conclusion. Quelque part, un copiste aurait-il pu intervertir l’ordre des pages ? Toujours est-il qu’il n’y a pas de véritable unité, avec en filigrane, une chronologie des thèmes abordés qui ne semble pas exactement avérée.

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Quant à l’abbé Migne, qui a effectué la traduction de ce livre de plus de trois cent pages, il le classifie par obligation parmi les Apocryphes, tout en lui reconnaissant une valeur particulière aux yeux de la religion chrétienne. Dans son introduction, il se demande si l’œuvre n’est pas le fruit d’une juxtaposition de développements issus de différentes sources gnostiques. L’absence d’unité l’a donc interpelé. Il note l’existence de plusieurs esprits du nom de Sophia dans les divers textes et il se pose la question des relations entre Pistis Sophia et les exposés valentiniens, notamment ceux qui sont contenus dans le papyrus de Bruce. Son analyse propose quatre parties distinctes. Il retient également comme notable les questions diverses des disciples de Jésus, ce qui occupe une large part de l’ouvrage.

Il résume son propos, l’émanation d’êtres spirituels, aboutissant à la dégénérescence de la Sophia, compagne de Christos, âme du monde et aussi fille de la propre Compagne de Dieu. Il existe une seconde Sophia, fille de la première (Achamoth). Christos apparaît comme différent de Jésus. Il souligne des syzygies composées de deux intelligences de sexes différents. Ces notions sont communes à diverses écoles gnostiques, où la question des planètes est abordée. Enfin, il insiste sur l’idée que les âmes des « apôtres » se situent à part et sans lien avec celles des gens ordinaires qui viennent des Archontes. Celles-là, par un fait curieux, proviendraient de douze sauveurs.

Pour l’abbé Amelineau qui a pu également étudier ce texte, Pistis Sophia lui paraît être une œuvre récente. Il trouve des points de comparaison entre celle-là et le Livre des gnoses invisibles. Ici Jésus met en garde ses disciples, leur disant d’éviter les embûches dressées par les archontes, dans leur passage pour gagner le Plérôme et ses trente-deux Éons. Dans Pistis Sophia, il est question de formules, de signes à connaître pour négocier au mieux son passage dans l’au-delà.

Charlotte Touati, pour sa part, se place dans la perspective du voyage de l’âme – objet de sa thèse. Le sort des âmes devient dès lors la préoccupation principale de son analyse. Elle souligne à juste titre, la part prépondérante que prennent les femmes dans l’argumentation qu’elles soumettent à Jésus dans le fil de la discussion. Le monde de Pistis Sophia s’articule sur trois étages : le chaos (ou les enfers), la terre et les cieux, qui se subdivisent en sept sphères aboutissant à la porte du Soleil. Dans ce contexte, le cheminement de l’âme part de la mort et des ténèbres qui s’ensuivent et va vers la purification par le feu, laquelle précède la difficile remontée vers les Vierges de Lumière successives. Elles participent à l’amendement de l’âme. Or, suite à une question de Marie, on apprend que la prière peut être salvatrice et que le cycle des réincarnations s’étend à douze fois. Le mythe de Pistis Sophia a une valeur exemplaire dans la mesure où il implique la fin de ce système.

 

Cette entité descend doublement, en se réincarnant et en retournant vers le chaos. Jésus intervient en rédempteur, pour l’extirper à sa condition et la reconduire vers les hauteurs célestes. Le rachat qu’il obtient pour les âmes est perpétuel. Ces dernières se subdivisent en trois catégories : celles qui sont abusées par les démons, celles qui sont justes et marquées de sceaux spéciaux et les intermédiaires pour lesquelles une intercession est nécessaire. Pistis Sophia souffre pour son salut et doit assumer sa lente ascension qui équivaut à un purgatoire.

Les débuts de Pistis Sophia

Nous allons donc tenter, à notre tour, de mettre en exergue les traits les plus marquants. Pour notre part, nous avons décelé trois grands chapitres. Une première partie évoque l’enseignement de Jésus après sa résurrection, qui porte sur des sujets qu’il n’avait jamais abordé auparavant, ce qui dure onze ans. Il est question du Plérôme et des sphères célestes. Marie et les autres disciples interviennent à propos de questions qui leur tiennent à cœur. Le second grand thème et le plus lyrique se voit consacré aux déboires et à la réhabilitation de Pistis Sophia, le tout agrémenté de citations très libres de la Bible. Enfin, vient le flot des questions des disciples, avec Marie qui se met en avant pour parfaire sa connaissance et avoir accès aux mystères cachés. Jésus les conduit tous dans les sphères célestes pour leur dévoiler à la fois les révélations des puissances d’en Haut et les abysses des Enfers. Notons que la deuxième partie s’articule difficilement dans l’ensemble, par son ton, et lui ôte de la cohérence. La fin semble quelque peu abrupte. Quant au style et à la phraséologie, tous deux sont alambiqués et parfois difficiles à suivre.

Tout débute justement par un long développement sur le premier mystère :

Jésus dit à ses disciples : « Je suis venu de ce premier mystère, qui est le même que le dernier, qui est le vingt-quatrième. (Pistis Sophia)

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On conçoit que les disciples ne comprennent rien à cet énoncé. Ceux-là sont au nombre de douze, et se nomment (par ordre d’arrivée dans la discussion) : Marie, Philippe, Pierre, Marthe, Jean, André, Thomas, Matthieu, Jacques, Salomé, Simon et Barthélémy. Cependant, ils pensent avoir accès à la connaissance cachée de la grande lumière. La révélation se situe en un temps spécifique (après la résurrection) et un lieu inimaginable puisque Jésus n’avait pas encore annoncé toute l’émanation des proboles. Ce n’est qu’un peu plus loin que l’action se déroule au Mont des Oliviers. Jésus se propose de livrer un enseignement secret, et il remonte donc à la période de la création du monde, ou plus exactement de sa percée ou procréation – probole signifie « avancée » au sens premier.

Puis, Jésus aborde la question de sa propre ascension. Cela est précédé par un grand déploiement de lumière. La clarté est si violente que les disciples ne voient plus rien et croient en la fin du monde. Toutes les descriptions de telles scènes s’inscrivent dans un déchaînement lumineux aveuglant. Jésus monte donc au ciel où il vole, tandis que ses disciples tremblent d’effroi, puis il redescend longtemps après, auréolé de trois lumières. Il réduit alors l’intensité de son vêtement lumineux pour qu’ils parviennent à assister à la scène qu’il tient à leur montrer. Son enseignement occulte peut alors débuter, après qu’il ait évoqué la prédestination de onze disciples.

Je vous dirai tout mystère et tout Plérôme ; je vous instruirai de toute perfection et de tous les mystères qui sont eux-mêmes la fin de toutes les fins et le plérôme de tous les plérômes et la gnose de toutes les gnoses qui est mon vêtement. (Id.)

Jésus se met à raconter son périple à travers les sphères, d’abord la première, puis la seconde (Heimarméné ou le destin) encore plus éclatante que l’autre, et à parler de cosmologie. À la troisième, il côtoie les douze Éons, troublés par sa brillance. Plus loin, il rencontre le tyran Adamas qui succombe au feu dont il le frappe et le laisse sans force, et il intervient dans le mouvement des sphères, les faisant tourner alternativement à droite et à gauche.

C’est alors que Marie demande la permission d’intervenir et le monologue se transforme en dialogue. Philippe interroge Jésus à propos des âmes et de leur formation. Voici sa réponse :

J’ai changé leur voie pour le salut de toutes les âmes. (Id.)

Melchisédesh se situe à l’origine de la descente de la lumière dans le monde matériel, en débutant par (…).

Myriam PHILIBERT – Extrait de « Mystères de la GNOSE » © Les Chroniques de Mars, numéro 18 – Septembre – octobre 2015.


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MYSTÈRES DE LA GNOSE

ENTRETIEN avec Myriam PHILIBERT – Mystères de la GNOSE

Myriam PHILIBERT – Mystères de la GNOSE #1


Myriam PHILIBERT – Mystères de la GNOSE #2

Myriam PHILIBERT – Mystères de la GNOSE – SOMMAIRE #3


Myriam PHILIBERT – Mystères de la GNOSE – GLOSSAIRE #4


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