Voici peu d’années, je sors enthousiasmé de la lecture d’un livre consacré à l’Histoire du cabaret montmartrois du Chat-Noir, sorte de nombril du Paris ésotérique de la fin du XIXe siècle, dû à un auteur assez prolifique qu’on m’avait dit parfaitement urbain. Je me fends d’une lettre de onze pages où je lui exprime mon admiration pour son travail et lui dis que je le verrais bien reprendre l’enquête sur la place d’Aligre. Je mets mon envoi dans une enveloppe d’une belle couleur brique agrémentée d’un joli timbre ton sur ton. Je n’ai malheureusement pas eu de réponse.

Mais peut-être alors en sait-il plus que ce que n’en savaient ceux dont nous allons parler. Car voici encore une histoire « qui n’a pas existé ». Dont vous pourrez pourtant retrouver les articles de presse. Une histoire dont Hergé aurait pu nous faire un bel album de Tintin, mais à propos de laquelle les médias, comme l’auraient dit les Dupondt, jouèrent plutôt à « botus et mouche cousue ».

Située dans le XIIe arrondissement de Paris, entre la gare de Lyon et l’hôpital Saint-Antoine, la place, en forme de demi-cercle, accueille une partie d’un marché réputé.

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Dans la deuxième moitié des années 1970, en l’espace de peu de temps, 12 morts y sont découverts. Tous tués de façon différente : qui égorgé, qui le crâne défoncé, qui le crâne fendu… Et comme si, à chaque fois, l’objet contondant ou tranchant pouvait être défini comme un outil : marteau, hache, masse, etc. Le dernier des morts (était-ce un 13e ?) fut découvert au petit matin près d’une cabine téléphonique jusqu’où il avait réussi à se traîner après avoir été lardé de 17 coups de couteau sur un banc proche. Des nombres symboliques pour certains.

Cet aspect rituel attira vite l’attention de deux jeunes auteurs concurrents d’alors, férus de symbolique, d’ésotérisme, de Templiers, de trésors, de Tradition. L’un d’eux, dont le père est dans la police, à Paris même, abandonna très vite l’affaire (qu’il ne manqua toutefois pas de recycler à l’envi) sous prétexte d’informations « sûres » faisant état de liquidations dans le cadre d’un réseau de trafic de drogue… qui ne fut semble-t-il jamais démantelé. Curieux règlements de compte !

D_REJU_2.jpg Le second, Daniel Réju, prématurément disparu — on peut citer, parmi ses livres, une « Enigme de la croix de Lorraine » unaninement appréciée —, ne put, pour diverses raisons liées au quotidien et à ses impératifs alimentaires, aller plus avant dans l’enquête. J’ajouterais une raison supplémentaire, qu’il finit par m’avouer : ça lui faisait peur. Il voyait volontiers là une survivance — une permanence — de la vie souterraine des brigands et truands de Paris, gouvernés par le Roi des Clochards ; probablement pas très loin sous la place d’Aligre devait se trouver sa cour des miracles, centre de son autorité, siège de ses tribunaux capables de juger et exécuter tant ses subordonnés que de trop curieux journalistes.

Il y eut une troisième personne qui s’intéressa à l’affaire. Probablement de trop près, puisque c’était le dernier des morts, celui aux 17 coups de couteau, que, grâce à cet article, l’Histoire n’oubliera peut-être pas : Pierre Sadron, qui collaborait, entre autres, à une revue consacrée à l’étrange dirigée par Roger Faloci, revue qui avait à l’époque une fort honnête diffusion, « L’Autre Monde ».

Tout tombe donc dans l’oubli…

Et y reste depuis. Avec toutefois un intermède : un peu plus tard, quelque part dans Paris, Daniel Réju voit, sur le trottoir d’en face… Pierre Sadron.

Il le connaissait bien. Il fut formel.

La circulation dense, le temps de traverser, le « fantôme » avait disparu…

Michel MOUTETles Chroniques de MarsJanvier 2011