MYSTÈRES FRANC-COMTOIS – AUX SOURCES DU CARBONARISME

Au cœur de la Franche-Comté, l’immense forêt de Chaux étire ses vingt-deux mille hectares à cheval sur les départements du Jura et du Doubs, entre les villes de Dole et Besançon. C’est la seconde plus grande forêt de feuillus de France. Pendant des siècles, elle a constitué une inépuisable réserve de combustible pour les industries installées sur son pourtour (verreries, ferronneries). Elle a connu son apogée sous Louis XV, lors de l’installation des toutes proches salines royales d’Arc-et-Senans. Celles-ci avaient besoin de son bois pour chauffer le sel, venu des mines de Salins sous forme de saumure, et évaporer son eau.

Si les grumes étaient destinées à ces industries, vers qui elles étaient transportées par les puissantes corporations de voituriers ou rouliers, le petit bois était quant à lui transformé sur place en charbon de bois. À la mauvaise saison, les forestiers qui géraient la forêt devenaient charbonniers. Leur présence est attestée dans la forêt de Chaux dès l’an 1050. Ils s’étaient regroupés et organisés en une société d’entraide, dont les membres se nommaient entre eux « Bon Cousins Charbonniers. » Cette fraternité protégeait la transmission du savoir-faire et des secrets professionnels de ses membres derrière tout un système de signes, de symboles, de cryptographies, et possédait un langage particulier. Elle évolua donc rapidement vers une société secrète fermée. La charbonnerie franc-comtoise est à l’origine de l’ordre des Forestiers Fendeurs Charbonniers, connu également sous le nom de carbonarisme, l’une des deux constituantes occultes de l’Ancien Régime.

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Les Charbonniers prônaient la liberté de pensée. Fidèles alliés du roi, bien que bons chrétiens ils s’opposaient volontiers à l’Église catholique. C’est ainsi qu’au nom de leur chère liberté de pensée ils favorisèrent le culte protestant, et le protégèrent durant les guerres de religion. Le carbonarisme s’est depuis fondu dans la Franc-Maçonnerie, après avoir coexisté pacifiquement avec elle : beaucoup de Charbonniers étaient également Maçons. La Franc-Maçonnerie a d’ailleurs récupéré les symboles propres à la Charbonnerie, comme le triangle, les trois points signalant un mot abrégé, le principe de la loge où se réunissent les adeptes (dite « vente » dans la Charbonnerie, en plein air mais cachée au cœur de la forêt), la disposition sur deux colonnes (que l’on nommait « ourdons » dans le carbonarisme), et le culte des trois vertus théologales – Foi, Espérance, Charité. Quant à « l’acceptation » (admission d’un adepte étranger au métier), l’un des piliers de la Franc-Maçonnerie moderne, elle était déjà pratiquée depuis longtemps par la Charbonnerie : son initié accepté le plus illustre serait le roi François Ier.

La forêt de Chaux était divisée en secteurs ou districts numérotés. Chacun possédait son hameau de Forestiers Charbonniers, que l’on nommait une « baraque. » Près du village de La Vieille-Loye, seul village à l’intérieur de la forêt, la Baraque du 14 constitue un véritable musée vivant et un conservatoire du savoir-faire, qu’une association se charge de faire revivre et d’animer, en partenariat avec l’Office National des Forêts. On peut y visiter plusieurs cabanes de Forestiers, l’une d’elles datant du XVIe siècle, ainsi que le chantier de charbonnerie, produisant toujours du charbon de bois. C’est là que l’on peut remarquer une cabane particulière, au tympan en forme de triangle (symbole du feu et de l’arbre), ornée aux quatre angles des signes propres à la Charbonnerie, en particulier les abréviations traditionnelles. Sur une diagonale les « paroles » propres aux adeptes : H:.V:.P:. pour « Honneur – Vertu – Probité », paroles du grade d’apprenti, et F:.E:.C:. pour « Foi – Espérance – Charité », paroles du grade de maître. Sur l’autre diagonale les paroles propres au métier : B:.C:.C:. pour « Bons Cousins Charbonniers », et R:.F:.O:. pour « Racines (ou ronces) – Fougères (ou feuilles) – Orties », mots sacrés des Charbonniers.

La Charbonnerie a-t-elle totalement disparu ? Pas si sûr ! On susurre que la forêt de Chaux serait toujours le théâtre d’initiations à cet ordre mystérieux…

Patrick Berlier pour Les Chroniques de Mars, janvier 2011.


(à suivre : le chêne à vœux de la forêt de Chaux).

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