« Les Arcana Arcanorum »

Toute discussion sur les AA se révèle vite confuse.

Car cette expression désigne quatre choses différentes.

I – Le cahier du Rite de Misraïm.

Remis le 8 octobre 1816 au Grand Orient de France, un abrégé des quatre derniers grades du rite de Misraïm est présenté le 20 novembre 1816 aux cinq membres d’une commission d’examen. Rédigé en italien, il a pour titre Arcana arcanorum. Ces Arcana Arcanorum furent apportés d’Italie, vers 1816, par les frères Joly, Gaborria et Garcia (rivaux des frères Bédarride) (1), qui les avaient reçus en 1813. Ils furent introduits dans le Rite de Misraïm. Cet abrégé clôt les rituels du rite de Misraïm tel qu’il fut pratiqué au XIXe siècle.

II – Le cours de Rombauts et Mallinger.

En 1930, une lignée belge des rites maçonniques égyptiens professait un cours préparé par Armand Rombauts. Ce cours était composé de secrets oraux. Trois syllabi reprirent et commentèrent le cahier du Rite de Misraïm décrit dans le paragraphe précédent, également publié par Jean-Marie Ragon. Une part de ces commentaires fut rédigée par Jean Mallinger (1904-1982) (2).

III – Des « Arcana arcanissima » de Maïer au « Secreto Secretorum » de Cagliostro.

En 1614, le médecin et alchimiste Michael Maïer (1568-1622) avait intitulé son premier livre Arcana Arcanissima. Cet ouvrage était dédié au médecin anglais William Paddy, ami de Robert Fludd. Des ouvrages d’alchimie allemands des XVIIe ou XVIIIe siècles sont titrés Arcana arcanorum. Au XVIIIe siècle, l’expression Arcana arcanorum se rencontre dans la littérature rosicrucienne et alchimique, par exemple dans les Symboles Secrets d’Altona, publiés en 1785 et 1788.

Michaël Maïer, dans ses « Arcana Arcanissima », explique que la mythologie antique servait à véhiculer des enseignements hermétiques, essentiellement alchimiques. Historiquement, ce n’était pas le cas. Mais les auteurs de la Renaissance réinterprèteront effectivement les mythes antiques en termes de procédures alchimiques.

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C’est ce que fera Cagliostro dans son Rite de la Haute Maçonnerie Egyptienne. Le mot « Égyptien » désignant à l’époque le Proche-Orient. Il recourra aux imageries biblique, grecque et romaine pour transmettre en mode maçonnique ses enseignements (3).

Au cours de ses pérégrinations à travers l’Europe, Cagliostro réunit des enseignements alchimiques et théurgiques. Ceux-ci furent puisées dans deux sources principales : L’Ordre allemand de la Rose Croix d’Or d’Ancien Système et l’École de Naples issue du prince Raimondo di Sangro di San Severo (1710-1771) (4). Suivant l’adage alchimiste emprunté à saint Bernard Ora et labora, ces cercles s’attachaient à l’étude de deux domaines en interrelation permanente :

888-2.jpg Un système d’invocation du saint Ange Gardien ou d’une pluralité d’anges. Les invocations de l’Ange Gardien et celles de sept anges (Cagliostro utilisait cette dernière approche) étaient les plus fréquentes. Une pratique des alchimies internes. Attention à ce que désigne ce terme. Il s’agit d’ingestion d’élixirs spagyriques prescrits par Paracelse, puis de « grains de Matière Première » préparée alchimiquement. Pour cette dernière, L’approche et le procédé de Cagliostro sont similaires à ceux de l’antique tradition rosicrucienne, bien que Cagliostro n’ait pas eu recours à l’imagerie christianisante de cette tradition (il préféra une imagerie judaïsante, mêlée aux mythologies grecque et romaine) (5). Cagliostro ne parle pas « d’Arcana arcanorum », mais de « Secreto secretorum » (le Secret des secrets). Dans l’histoire, l’expression AA. n’a jamais désigné cette approche.


IV – Les A. A. factices.

En 1988, Jean-Pierre Giudicelli de Cressac Bachelerie publiait son : « Pour la rose rouge et la croix d’or ». Il évoquait les AA maçonniques en leur donnant le sens que leur attribuait une organisation hermétique italienne, la Myriam de Giuliano Kremmerz. Les petits maîtres de la franc-maçonnerie furent pris de panique… Les AA maçonniques, auxquels personne ne prêtait d’intérêt jusque-là, se trouvaient soudainement à la mode. Chaque obédience « égyptienne » les ajouta sur son papier à lettres. Compte tenu de l’intérêt limité des véritables AA maçonniques, les obédiences durent avoir des AA répondant aux critères du livre de Giudicelli. Certaines se contentèrent de laisser croire qu’elles possédaient ces documents si secrets. On avançait de grade en grade en passant progressivement de la position de dupé à la position de dupeur.… D’autres obédiences s’en servirent de fourre-tout, y collant pêle-mêle rituel d’interrogation astrologique, oracle supposé de « Cagliostro », recettes alchimiques à base d’antimoine ou de cinabre venues d’ailleurs et qui devenaient soudainement « maçonniques »…

Denis Labouré © // « Les Chroniques de Mars », février 2011.


Pour introduire cette rubrique consacrée aux sociétés initiatiques et secrètes nous avons demandé à Denis Labouré – dix ans après son texte publié dans la revue Arcadia, sur le même sujet, de faire le point sur les A.A. encore appelés « Arcana Arcanorum », considérés par d’aucuns comme les ultimes degrés de la Franc-maçonnerie Égyptienne. Cette publication jugée pour le moins provocatrice à l’époque – publication que beaucoup d’ailleurs auraient voulu garder sous le boisseau – nous avait valu, à Denis Labouré et à nous même, exactement les mêmes retours. À l’heure où nous récidivons sur le Web, dans ces « Chroniques de Mars », et avec les mêmes convictions, il nous apparaît à nouveau fortement utile, à une heure où la modernité entend se conjoindre patiemment, non avec l’apparence des convents mais avec la recherche historique dûment avérée, de renouveler notre laïus incitateur, de manière à ce que l’auguste voyageur puisse, en parfaite connaissance de cause, trouver sa voie légitime vers l’Étoile internelle, sans pour autant s’enliser désespérément dans les sables de Memphis.

T E Garnier


Notes

(1) Joly et Gabboria avaient affirmé au Grand Orient de France qu’un rite similaire au leur était pratiqué en Égypte. Le Grand Orient avait refusé de les croire. En effet, dans sa séance du 27 décembre 1817, le Conseil de l’Ordre du Grand Orient de France n’accepta pas de reconnaître la validité du « rit Mizraïm » et déclare notamment que « l’origine et l’authenticité de ce rit ne sont point prouvées » et qu’il n’est pas « permis d’ajouter foi à [l’assertion] de la pratique actuelle de ce rit à Alexandrie et au Grand Caire, où l’existence publique et avouée d’une semblable institution ne saurait être ignorée du Grand Orient si elle était réelle ». Cette phrase date de 1817, année où les loges de la « Société Secrète Égyptienne » de Drovetti – qui pratiquaient le Rite Égyptien de Cagliostro – étaient effectivement en activité à Alexandrie et au Caire. S’il y a lien entre Gabboria et le Rite Égyptien de Cagliostro, il se trouve là.

(2) Ces quatre cahiers forment les AA. de la lignée italienne du Grand Sanctuaire Adriatique (qui les avait reçus de la lignée de Mallinger, par l’intermédiaire de Gerosa).

(3) Aucune trace de mythologie égyptienne, pas plus que dans le Rite de Misraïm par exemple. Pas plus que dans aucun rite « Égyptien » élaboré avant la campagne d’Égypte de Napoléon.

(4) Ses connaissances en médecine spagirique provenaient de l’Ordre de Malte.

(5) Il n’existe aucun rapport entre les procédés d’alchimie interne pratiqués par Cagliostro et ceux pratiqués par les milieux kremmerziens italiens. Ni pour les substances utilisées, ni dans la façon d’y recourir (ni la tradition rosicrucienne ni celle de Cagliostro n’ont ingéré des substances brutes).

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Bibliographie succincte concernant le cahier
« Arcana Arcanorum » du rite de Misraïm :

J’ai publié ce cahier dans la revue « L’Esprit des Choses » n°12, 1995. Je l’ai ensuite publié dans « Secrets de la franc-maçonnerie égyptienne ».

Bibliographie succincte concernant le cahier du rite de Misraïm et les quatre syllabi de Armand Rombauts et Jean Mallinger : En 1989, Michel Monereau publia des extraits des quatre syllabi dans « Les secrets hermétiques de la franc-maçonnerie et les rites de Misraïm et Memphis », Axis Mundi, Paris. En 1994, Serge Caillet publia l’intégralité du cahier n°4 dans « Arcanes et rituels de la Maçonnerie égyptienne », Guy Trédaniel, Paris. Enfin, les quatre syllabi furent publiés en intégralité par mes soins dans la revue « L’Esprit des Choses », numéros 13 à 18, CIREM, Guérigny. Ils sont reproduits dans « Secrets de la franc-maçonnerie égyptienne ».

Publications de Denis Labouré abordant la question des « Arcana Arcanorum » :

« Cours Pratique d’Alchimie » (chapitres « Le secret de Cagliostro » et « L’alchimie appliquée à l’être humain », chez l’auteur. Disponible sur www.spiritualite-occidentale.com.

« Cagliostro et la tradition hermétique », chez l’auteur (www.astrocours.fr).

« Testament Maçonnique », Rafaël de Surtis, Cordes-sur-Ciel, 2008.

« Le Christianisme secret », Le Mercure Dauphinois, Grenoble, 2009.

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