LA VILLE DES NEUF TOURS

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I – INTRODUCTION

Dans sa monographie « Saint Clair et la « ville » de Saillé », publiée en 1988 par l’A.P.H.R.N. (Association Préhistorique et Historique de la Région Nazairienne), Fernand Guériff, l’historien du Pays Guérandais, évoquait dans le chapitre titré « Légendes… » le souvenir nébuleux d’une Ville de Trénonant se dressant sur le coteau de Guérande (Loire-Atlantique). Un ensemble de « villas », proches les unes des autres, était encore ainsi nommé au XVIIe siècle, bien que l’emplacement fut déjà désert.

La ville de Trénonant apparaît, par son étymologie bretonne, comme la Ville des Neuf. Son nom n’est pas sans évoquer cette autre cité, Ville des Huit celle-là, l’Hermopolis de l’Egypte ancienne, cité du dieu Toth. Et c’est bien Toth/Hermès qui initie le chemin tracé par les piliers templiers de la Collégiale Saint-Aubin de Guérande…

Le nombre huit, ainsi que le démontre le chercheur Didier Coilhac, apparaît comme le nombre clef du règne de François Ier. Le roi fit venir Léonard de Vinci dès 1516 à Romorantin dans le Cher pour l’édification d’une nouvelle capitale ! Nous sommes au Centre de la France dans les marais de la Sologne, l’idée peut surprendre et pourtant Léonard dans les « Codex Arundel et Atlanticus », dresse les plans de la cité avec son Palais Royal et son pavillon de chasse octogonal. Les maquettes aujourd’hui réalisées alliées aux techniques de 3D, révèlent l’importance de la cité. Ces travaux devaient se conjuguer avec le grand projet Loire/Rhône qui devait permettre de relier ainsi la Méditerranée à l’Atlantique. De gigantesques travaux prennent forme mais ils vont brusquement cesser suite à la mort de Léonard de Vinci en 1519 au Clos Lucé. Cette perte tragique ne permettra pas la réalisation de l’œuvre. Le Maître italien n’étant plus là, ses élèves n’ont pas la compétence nécessaire pour poursuivre.

popo.jpg Faut-il établir une connexion entre la cité rêvée de François Ier et Trénonant la bretonne ? L’hypothèse est hasardeuse mais séduisante. Pour F. Guériff, Trénonant était : « La Ville aux 9 tours ! Nombre symbolique attribué aux anciennes cités. » La symbolique des neuf tours apparaît dans la castellologie. Les châteaux de Vincennes et de Pierrefonds en furent deux des plus beaux fleurons. Les « neuf tours » sont traditionnellement associées aux Neuf Preux : Josué, David, Judas Macchabée, Alexandre, Hector, César, Arthur, Charlemagne, et Godefroy de Bouillon.

La réunion tripartite des Neuf Preux apparaît pour la première fois sous la plume de Jacques de Longuyon en 1312, dans « Les Vœux du Paon », œuvre rédigée pour Thiébaud de Bar évêque de Liège. Symbole de la naissance, le nombre 9 est aussi celui des sphères célestes et des cœurs angéliques. Roger Facon et Jean-Marie Parent dans le livre « Château forts magiques de France », aux éditions Robert Laffont, notent au sujet de la symbolique de ce nombre attribué aux Preux : « Il symbolise aussi l’amour, d’où son importance dans les œuvres de Dante, dernier maître secret de l’ordre du Temple. »

Anne Salamon de l’université Paris IV – Sorbonne, dans son étude « Les Neuf Preux : entre édification et glorification » (Questes, N° 13), apporte de précieux éléments sur ce thème. À l’occasion de la mort de Philippe le Bon en 1467, Jean Molinet rédige un prosimètre « Le Trosne d’Honneur » dans lequel il raconte le dernier voyage du roi défunt : « Pour parvenir au trône, Philippe doit passer par neuf cieux où sont inscrites les neuf lettres qui composent son nom, Philippus, et où il est accueilli par une dame, allégorie d’une vertu qu’il a manifestée pendant sa vie et dont l’initiale correspond à chacune de ces lettres, et celui des Neuf Preux dont les actes ont le mieux illustré cette vertu. Ainsi, au premier ciel où est écrite la lettre P, Philippe est accueilli par Prudence et par Jules César « pour ce qu’il avoit tenu en grand honneur et chierté les preudhommes et saiges philosophes et lui meismes, par la gravité de son sens preadvisant choses futures, estoit parvenu a diademe imperial ». A l’issue de ce parcours, il est présenté par Vertu à Honneur, qui l’assoit à sa droite. Le texte construit un univers clos, permanent, par son architecture qui englobe tous les espaces (on songe aux neuf sphères du cosmos de Ptolémée) et toutes les vertus, dans lequel les Neuf Preux, figures exemplaires, constituent ainsi un échelon intermédiaire dans le processus d’abstraction, élevant l’homme mortel au niveau de l’allégorie qui représente, au-delà de la vie humaine, la permanence de l’honneur. »

Le thème des Neuf Preux, associé à celui de « Philippe », pourrait émerger dans l’aspect ésotérique de la Cité des Neuf, ainsi que semble le révéler cette énigmatique inscription visible au-dessus de la porte d’une maison du bourg de Mauron – Porte Nord de la forêt de la forêt de Brocéliande – œuvre d’un graveur du XVIIème siècle, dont le commanditaire fut assurément maître dans l’enseignement philippin. La Ville des Neuf y apparaît mais cachée, dans cette énigmatique inscription associant les thèmes arthuriens et celtiques, aux thèmes hébraïques de la Lumière, le tout marqué sous le sceau du M P ou Maître Peintre de la FF ou Fama Fraternitatis des R+C… Cette gravure pourrait venir, tout comme les autres pierres de réemploi apparaissant sur des maisons proches de l’église, du château aujourd’hui ruiné des Plessis-Mauron.

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Ruines du château des Plessis-Mauron (carte postale ancienne).

Mauron se situe dans le département du Morbihan, mais l’inscription semble se référer à une création dont l’un des pôles fut la région nantaise (en atteste le NAM… ?) et plus précisément la Presqu’île de Guérande.

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L’inscription de Mauron (restitution infographique).

L’énigmatique nombre 9 émergeant au-dessus du mot LAN (Au Gui l’An Neuf ou 9…) entre MAVRYE (1) et VERNE, révèlerait tout à la fois une date et un lieu. Très présent dans la toponymie bretonne, le mot LAN évoquait en vieux-breton une « terre sacrée », puis très vite un « monastère » de type celtique. Tout près de Guérande se trouve LANCLIS dont la seconde partie serait suivant Fernand Guériff une « déformation du breton Clez qui signifie ‘’fossé’’, ‘’retranchement’’ ». Cette fermeture (autre sens de Clez) est proche des mots Cleus, (mot se déclinant en Cleuser « creuset », « lampe à huile » et Cleuzenn, « creux », « caverneux » et « arbre creux »), auxquels il convient d’ajouter le Cleze, « épée » en breton, qui est peut-être la clef principale de cette énigme ainsi que le révèle l’inscription de Mauron.

Ancien site gallo-romain, Lan-Clis est une pointe sur laquelle le prince breton Pascweten éleva au IXe siècle un château. Au XIXe siècle Aristide Monnier sous le pseudonyme de P.-A. Monnier, de Nantes, publie le livre « Le Pays de Guérande » (Angers 1897). Il y évoque notamment les ruines d’habitations de Lan-Clis qui laissaient deviner d’épaisses murailles ainsi que la porte d’une chapelle ; vestiges suivant l’auteur d’un poste important que les Templiers auraient établis à l’emplacement du château. Lan-Clis, « pointe de terre d’une qualité stratégique certaine » ainsi que l’indique Fernand Guériff dans son livre « De poudre, de gloire et de misère – L’aventure maritime du Croisic » (Bellanger Nantes 1980), gardait l’accès du Coteau de Guérande.

F. Guériff dans ses écrits cite très souvent, avec réserve d’usage, son devancier Aristide Monnier. Des recherches à la médiathèque de Nantes me permirent de découvrir que cet auteur de la fin du XIXe qui usait, dans la signature de ses ouvrages, d’initiales propres aux Rose+Croix, est aussi le véritable auteur du livre hermétique « Clef des œuvres de Saint Jean et de Michel de Notredame » (31 août – jour de la saint Aristide ! -1871) réédité par les éditions ARMA ARTIS. Il signe ce livre sous le pseudonyme M. A. de NANTES, soit le Maître Anonyme de NANTES ou bien encore le Maître Artiste – au sens rosicrucien du terme – de NANTES. Il est également l’auteur d’un second livre se référant à Nostradamus.

Dans la « Clef… », Monnier écrit : « Les Nantais ne peuvent manquer de recevoir bientôt celui en qui doivent revivre le caractère et les vertus d’Henri IV et de saint Louis. » Il s’agit bien sûr ici du mythe du Grand Monarque. Il convient ici de rappeler que suivant la Philippide de Guillaume le Breton, et les consuls de Toulouse, le roi Philippe Auguste, dit Dieudonné, fut avant même sa naissance, annoncé comme le Verbe né de la chair de Louis VII. Les recherches de Gw. Le Duc ont par ailleurs montré que Guillaume le Breton ou l’Armoricain fut influencé pour les Gestes du roi Philippe, par le Livre des faits d’Arthur. Ainsi n’est-il guère surprenant de retrouver de façon voilée dans l’inscription de Mauron, quelque référence à l’univers du roi Arthur et aux mystères Philippins.

(1) : par commodité nous avons écrit MAVRYE, avec un Y, mais il semblerait qu’en réalité cet Y soit la lettre hébraïque Aïn.

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II – LA COLLEGIALE SAINT-AUBIN DE GUERANDE ET LA VILLE DES NEUF

Les chapiteaux de l’église de Monsieur Saint Aubin – et plus précisément le quatrième pilier – conservent peut-être le souvenir de cette énigmatique Ville des Neuf. Suivant Fernand Guériff (« La Collégiale de Saint-Aubin de Guérande ». Editions Jean-Marie Pierre), les huit piliers octogonaux de l’édifice seraient l’œuvre des Templiers. La scène 2 du quatrième pilier s’intitule « l’homme au listel. »

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L’homme au listel du 4e pilier de Saint-Aubin

Pour F. Guériff le tableautin représente : « peut-être l’architecte ou le maître-d’œuvre – qui a déroulé un listel (qu’il tient de sa main gauche), et montre de la droite l’inscription ou le dessin du document.
« Ce que l’on pouvait prendre pour l’ouverture de la botte, n’est que le bout retourné du rouleau de parchemin.
« Naturellement, aucun signe n’apparaît sur le listel, mais l’on peut supposer que le personnage montre soit le plan du monument à construire (l’église de Guérande en l’occurrence), soit une inscription ou un dessin initiatique – qui fait danser de joie le second personnage.

A la vérité le listel n’est pas si vierge qu’il y parait. Il y a notamment un cercle que la main du maître-d’œuvre semble désigner. Ce cercle pourrait être creux, si l’on en juge par la position des trois doigts repliés de la main droite (extérieur de la main dirigée vers le bas) qui ainsi positionnés, forment chez les bâtisseurs le nombre 9. Pour F. Guériff ce tableautin évoque la présentation par le maître-d’œuvre des plans de la future Collégiale de Guérande.

Le nombre 9 des bâtisseurs.

La scène de la présentation du Listel se prolonge avec la scène 4 du même chapiteau : « L’Enfoncement du Pieu », confirmant qu’il s’agit bien de l’édification d’un édifice… voire d’une ville ? Le second personnage représenté sur le tableautin danse de joie, en prenant connaissance du projet du Maître-d’œuvre. Ainsi que le démontre F. Guériff dans sa monographie consacrée à « Saint Clair et la « ville » de Saillé », l’étymologie du nom de l’ancienne « Ville de Saillé » évoque tout à la fois la danse (le saut) et le sel. Le second personnage, pourrait dans ce cas évoquer l’évêque saint Clair de Nantes, premier évêque de la cité et fondateur légendaire du primitif Prieuré Saint-Clair de Saillé, point d’orgue de l’évangélisation de la Presqu’île de Guérande. Détail d’importance, saint Clair missionné par le pape saint Lin vint en Bretagne accompagné du diacre Déodat ou Dieudonné, au nom prédestiné. Les deux hommes devaient rencontrer Drennalus, autre missionné de saint Lin, et disciple de l’apôtre PHLIPPE, envoyé par ce dernier auprès du Porteur du Graal, Joseph d’Arimathie établi en Grande-Bretagne.

Concernant la scène du Pieu, Agnès-Hélène Grange, écrivit pour la revue ATLANTIS, (dont l’un des collaborateurs fut F. Guériff) l’article « Guérande entre marais salants et Brière pour une traversée traditionnelle » (Atlantis N° 413) dans lequel elle précise :

« (…) Le Pieu est l’Omphalos, l’axe, le centre.

« Le Béthyl de Jacob (…) ‘’Tout ce qui est en haut es comme tout ce qui est en bas’’ Hermès.
Bien que les conclusions de l’auteur n’aillent pas dans la direction évoquée dans ce présent article, il parait intéressant de signaler que Jacob dressa son « Béthyl » à Béthel dont le nom ancien était Luz. On accédait suivant la tradition dans la cité souterraine de Louz par un amandier. Suivant la tradition rapportée par le Zohar, grand livre de la tradition hébraïque, la cité de Louz, dite aussi la Cité Bleue est coiffée par le nombre 9 ou lettre Teth.

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La collégiale Saint-Aubin de Guérande (gravure de 1840 et carte postale ancienne)

D’autres Cités Bleues existeraient en d’autres lieux de notre Terre, peut-être s’agit-il d’une seule et même cité, ou bien encore de cités satellites reliées par delà le temps à la primitive cité de Louz. Jean Ray/John Flanders, dans l’un de ses plus curieux romans « La vallée du sommeil », réédité en 1985 aux éditions CORPS 9, évoque une vielle légende anglaise racontant les derniers jours d’une ville souterraine bleue habitée par des Hommes Bleus, Géant venus d’Orient.

De curieuses légendes associées à quelques énigmes locales entourent l’histoire bien oubliée et, pour tout dire, inconnue, de la Ville des Neuf perdue dans les brumes ancestrales de la Presqu’île de Guérande. Il conviendra assurément de s’y arrêter dans la suite de cet article…

Michel BARBOT – Les Chroniques de Mars, numéro 11, juin 2013.