De la découverte du nom de l’auteur.
Le manuscrit d’Alger fait place au Manuscrit de De Grainville

Les premières interrogations.

Le document était intriguant, tant dans la forme que sur le fond. Les bribes de textes qu’il fallait mettre en relation avec d’autres textes furent l’objet de nombreuses interrogations. L’auteur restait parfaitement inconnu.

Pour ma part, peu à peu s’imposa l’évidence de l’édition du Manuscrit d’Alger, mais accompagné d’autres textes destinés à expliquer le fond et la forme. Cela devint le projet d’éditer un Grand Manuscrit, car une allusion à un Grand cayer vert faisant penser qu’il existait. Il s’agissait de présenter ainsi un panorama recoupant différentes informations proches, à partir de la transcription dudit manuscrit et de textes similaires.

Ces nombreuses pages ou folios, souvent guère lisibles, ou encore « cahier vert » ou « registre vert des Élus Coën », faisaient référence à des documents qui semblaient plus complets, tels que les livres ou cahiers bleu, blanc, de parchemin, ou encore le Grand cahier vert, et le registre des Tracés (introuvable pour le moment, sauf quelques feuilles), ainsi qu’à divers documents auxquels je me suis référé, accumulant petit à petit des documents de divers endroits, Ordres ou groupements disparus. D’autres versions différentes du Manuscrit d’Alger existent, ce qui suppose un ensemble important. Mais il reste aussi et encore des éléments à découvrir, disparus peut-être, ou qui ressurgiront un jour par un quelconque heureux hasard, comme ce certificat de Réaux Croix de l’élu coën Collas de Mauvignié (1), découvert en 2005 (2), de même facture que celui déposé à la B.N.F. Richelieu concernant Willermoz (3).

Enfin de nombreuses ratures, annotations, ou repentirs faisaient penser à un émule ayant en main directement des sources nombreuses qu’il consultait étant parfaitement au courant des notions des élus Coën du temps de Martinès.

L’idée de notes condensées où l’auteur inscrivait au fur et à mesure certaines rubriques fit son chemin, l’auteur ayant indiqué « pour moi » sur l’une des feuilles, tout en s’adressant à un destinataire, par le terme « voiés » pour « je vous renvoie à ». Ce terme « pour moi » fut le déclencheur d’une recherche de signes dans le texte, à partir de l’idée que le graphisme des schémas ou plans ne concernait que l’auteur, alors que le texte était plus général. Je recherchais alors toute trace permettant d’identifier l’auteur et les dates certaines, et éventuellement un ou plusieurs destinataires…

(…)

Mes recherches ; voir documents publiés dans le Grand Manuscrit d’Alger me permirent d’identifier un scripteur : André Pierre de Grainville.).

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Sur de Grainville

L’auteur du manuscrit acheté par une amie de M. Ambelain et diffusé sous le manteau ou sous plus ou moins le secret dans les cercles des élus Cohen (sic pour coën), dans les Ordres martinistes, divulgué à des amis intimes, est désormais connu et parfaitement identifié, comme le Réaux-Croix André Pierre de Grainville.

Officier du régiment de Foix, au même titre que Louis-Claude de Saint-Martin, Champollon, ou Caignet Joseph, il fut en Allemagne en 1757, à Saint-Domingue en 1762-1763, où il est officier ordinaire, puis jeune capitaine de grenadiers en 1765, major en 1772, lieutenant-colonel en 1774.

Pierre André de Grainville, Réaux-Croix dans l’Ordre des Élus Coën de Martinès de Pasqually passait ses quartiers d’hiver avec le Maître De Champollon Gaspard, Adrien Boner du Louvat, ce dernier né le 19 janvier 1738, à la paroisse de Jujuvieux (et non Guvieux comme l’indique Gérard van Rijnberk) en Bugey. En fait, plus exactement, il est né à quelques kilomètres de ce village, dans le château familial des Combes, qui existe toujours.

Champollon fut lieutenant dès 1755, puis capitaine en 1762 (Note de ses supérieurs : jeune capitaine commandant en 1766 et très bon capitaine en 1769). Il sera dans le régiment de Foix, avec d’autres officiers, des futurs élus Coën.

Le manuscrit fut vraisemblablement écrit aussi après 1770, date où l’on trouve par exemple les deux signatures sur les lettres adressées à Willermoz (Champollon et Grainville) voire 1772, où Grainville recopie des extraits de lettres de Martinès, dans son cahier ou registre, ou cahier vert : il s’agit de notes destinées à être communiquées à un tiers (voyez, dit-il).

La lettre de 1774 traduit déjà une évolution dans l’écriture qui s’élargira. Les écritures de Grainville sont significatives :

L’écriture qui nous intéresse validée par la seconde signature (Grainville R+) sur la lettre de 1770 est bien celle de De Grainville. C’est la même écriture sur le manuscrit qui est bien celle de De Grainville, le véritable auteur du manuscrit.

De Grainville est secrétaire de Martinez de Pasqually. Il fut parmi les pionniers du mouvement de Martinès, et des premiers Élus Coën. En 1768, il déclare que ceux qui faisaient partie de la loge de son régiment (vingt-cinq au départ, sans doute de la loge militaire ambulante dite de Josué) ne sont plus que trois. En 1768, le 15 décembre, il déclare que Louis-Claude de Saint-Martin vient d’être reçu comme Commandeur d’Orient. La lettre est contresignée par Martinès, Grand souverain. De Grainville est déjà Réaux-Croix.

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En 1769, il signale le Tribunal Souverain ambulant du Régiment de Foix auquel la loge de Libourne devrait écrire. En 1770, de Longwy, il correspond avec Willermoz et déclare recevoir les instructions de Martinès, décidé à prendre de ce dernier toutes ses instructions. En 1770, il est à Lorient en Bretagne, où il est en semestre. En mai 1770, à Longwy, il est malade de la fièvre. On voit d’ailleurs des tremblements parfois dans son écriture. Fin 1770, il est à Saint-Omer, seul, M. de Champollon étant en semestre. En 1772, il est à Aix, puis en novembre à Lorient, où il copie depuis six mois le Traité de la réintégration (voilà qui serait intéressant de retrouver dans un marché aux puces ou ailleurs …) et qu’il promet aussi à Willermoz, « si on ne vous l’envoie pas ». Encore un autre exemplaire à découvrir ?

En 1774, il envoie un paquet de deux grades demandés à M. Marduel, envoyé à Willermoz. Ses courriers témoignent d’une intense activité, activité qu’il ne relâchera jamais. En septembre 1776, de Toulouse, il se rend à Lyon où il sera rejoint par de Champollon en hiver, ce qui prouve les liens solides entre ces deux secrétaires du Grand Souverain, même après la mort de Martinès. De Grainville fut aussi trésorier et membre du Tribunal Souverain à Paris.

Toutes ces informations résultent des correspondances conservées au fonds de la bibliothèque de Lyon sous des cotes diverses [Ms 5861 (E…), 5425].

Selon la correspondance de Willermoz aux frères du temple de Toulouse, le 10 juillet 1781 (Fonds Dubourg III, 1, Willermoz),  » le Puissant Maître de Grainville, l’un des plus anciens R + de l’Ordre ayant obtenu sa retraite du régiment de Foix est venu fixer sa résidence à l’orient de Lyon, pour quelques années, où il avait déjà fait ci-devant un séjour de dix-huit mois… « .

Georges Courts © (extraits)- Le Grand Manuscrit d’Alger, pour les Chroniques de Mars, février 2011 – (à suivre…).

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Notes

888-3.jpg (1) Les ordinations au sein de la Grand Loge-Mère de France à Bordeaux furent délivrées à Pierre Collas de Mauvignié (Mauvignier), natif de Gornac, sans doute peu avant son départ aux Amériques Françaises. Il fut un proche de Martinès, lequel épousa Mlle Marguerite Angélique Collas, fille d’Anselme Collas. Le mariage de Martinès eut lieu le 27 Août 1767 à Gornac.

(2) Fonds Gilbert Tappa. Ce certificat doit être publié dans les Feuillets d’Hermopolis. Il a été publié dans le Bulletin de la société Martinès de Pasqually n° 16, page 35, 2006 Un mystérieux document par Michelle Nahon en collaboration avec Georges Courts et Gilbert Tappa.

(3) Diplôme de Réaux-Croix de J.B. Willermoz de mai 1768 (B.N.F. Paris réf. MSS – FM5 516), présenté par Alice Joly dans les Cahiers de la Tour Saint Jacques II, III, IV, H. Roudil 2e, 3e, 4e trimestres 1960, p. 216 à 226 (Les diplômes coëns de J.B. Willermoz), et par René Le Forestier dans La Franc-Maçonnerie Templière et occultiste, publié par Antoine Faivre, Aubier-Montaigne 1970. Ce dernier document avec trois sceaux en plomb numéroté VIII laisse supposer que d’autres diplômes/certificats ont été décernés, selon un ordre chronologique numérique. L’étude avec une loupe permet de trouver qu’un grattage a été fait à l’époque sans doute pour remplacer le terme « Maçons » par « sages philosophes » ou par « Élus Coën ».
L’année précédente, Willermoz, âgé de 36 ans, a été reçu et ordonné « Apprentif, Elu, Coen, Grand Architecte, chevalier et commandeur d’orient et d’occident », le 23 mai 1767. Le diplôme (sous la cote BNF – MSS – FM 515) est signé Don Martinès Depasqually, Grand Souverain, Bacon de La Chevalerie, Le chevalier de Balzac, R , inspecteur général du Tribunal souverain, et Antoine de Cerley, Commandeur d’Orient, secrétaire général du Tribunal souverain siégeant à Paris. Les deux cachets plombés portent un numéro illisible. Selon le même parchemin, Willermoz est également ordonné inspecteur général de l’ordre des Élus Coen de l’univers. Le certificat de Mauvignier de Chevalier Élu Coën a été enregistré sous le numéro 28 en Mai 1768.

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