Notre civilisation est marquée par la gestion du handicap et ce à tous les niveaux. En ce sens, l’on peut parler d’un nivellement par le bas. Ce qui ne va pas sans quelque effet pervers.

La divination est le moyen de connaître ce qui peut entraver le cours normal des choses, de prévoir ce qui n’a pas été structurellement prévu dans la mesure où un phénomène peut devoir passer par des phases connues par avance : la nuit alterne avec le jour et ainsi de suite. En ce sens, nous dirons qu’elle est concernée par ce qui tire vers le bas, c’est-à-dire ce qui fait obstacle, ce qui correspond à des ratées, ce qui ne suit pas le mouvement.
Mais à force de s’intéresser aux cas particuliers, aux accidents de parcours, est-ce que l’on ne finit pas, du fait d’une certaine saturation, par perdre de vue le dessin/dessein d’ensemble ? C’est ce qui semble s’être produit pour l’astrologie, où d’aucuns en arrivent à penser que la vocation de l’astrologie serait cette dimension divinatoire consistant à distinguer entre des objets en apparence identiques. Deviner, c’est percevoir une différence derrière ce qui parait identique. Par exemple, je cache un objet dans une de mes mains, il faut deviner laquelle. Deviner, c’est donc distinguer, capter une différence, par quelque détail infime. Que l’on songe aux cartes à jouer, d’un côté, elles sont toutes identiques, de l’autre, elles diffèrent toutes. Qui ne souhaiterait voir la face cachée, la dévoiler ? En ce sens jouer aux cartes relève de la divination tout autant que tirer les cartes… Ce qui explique leur ambivalence, comme dans le cas du Tarot.

Le problème avec les astrologues, c’est qu’ils débattent autour de termes qu’ils ne prennent même pas la peine de définir, que ce soit pour les revendiquer ou les rejeter. Il est de bon ton de dire que l’astrologie est ceci mais qu’elle n’est pas cela. C’est la consigne. On se donne le mot mais on ne sait plus qui a fixé la consigne….On prévoit mais on ne prédit pas, mais un astrologue n’est pas un voyant, l’astrologie n’est pas un art divinatoire. Que vaut un tel cloisonnement sémantique et qui est actuellement capable d’en rendre compte ? Il est vrai que l’astrologie est largement une affaire de « on dit » : tel signe du zodiaque est comme ceci et comme cela, telle planète veut dire ceci ou cela. Et l’on répété, ressasse inlassablement le même catéchisme sans très bien comprendre ce qu’on dit.

Il existe assurément une astrologie divinatoire et on bascule très vite dans le divinatoire à partir du moment où l’on entend la spécificité d’une personne par rapport à d’autres. A contrario, une astrologie qui reste dans les généralités n’est pas divinatoire. Le seul fait de dresser un thème pour une personne mais aussi pour un pays, ce qui le distingue des autres pays – relève de la démarche divinatoire et cela inclut bien entendu l’astropsychologie.

D’aucuns nous demanderont : mais où est cette astrologie qui ne serait pas divinatoire ? Le simple fait de poser la question trahit un désarroi. Cela fait penser au Dr Knock qui déclarait que « toute personne bien portante est un malade qui s’ignore ». L’astrologue ne sait plus parler de la normalité collective et il a inventé la normalité personnelle, ce qui est une contradiction dans les termes.

C’est pourquoi nous disons que l’astrologie est l’étude de l’être humain, comme la gynécologie est l’étude du corps féminin. Une science, quelle qu’elle soit, traite d’abord de généralités avant d’aborder des cas d’espèce. Avant de parler du destin de la France, il faut parler du destin du monde. Les astrologues d’aujourd’hui collectionnent les thèmes de naissance d’à peu près n’importe quoi et d’ailleurs ne savent pas/plus faire sans.

On nous objectera que cette astrologie générale ne vaut pas pour les individus. Quel contresens ! La plupart des individus relèvent du cas général. Il est vrai que les clients de l’astrologue semblent le plus souvent constituer des cas particuliers mais le monde ne fonctionne pas avec les cas particuliers mais bien par les comportements de masse. L’astrologie serait donc condamnée au ghetto de la marginalité, de ceux qui ne suivent pas, qui ne sont pas dans la course. On est là dans ce que nous appelons l’astropathologie, c’est une branche particulière de l’astrologie mais en aucune façon le cœur du métier. A force de traiter des cas particuliers, l’astrologie ne cesse de faire la démonstration qu’elle n’est plus capable de traiter du cours normal des choses, des phases par lesquelles l’humanité doit normalement passer. En cela, elle trahit sa vocation première. D’ailleurs, dans bien des cas, les clients ont surtout besoin qu’on leur rappelle un certain nombre de lois générales et non que l’on s’attache à leur cas particulier. A force d’ignorer ce qui est normal, on finit par tout percevoir comme anormal, comme extraordinaire, même ce qui ne l’est pas.

Comme nous le disions, au début de notre article, cette pente n’est nullement propre à la seule astrologie. Les exemples sont légion de telles dérives. On invente des béquilles, des machines, des produits pour des populations ayant des particularités, des empêchements, des carences et au bout du compte, tout le monde finit par y recourir. Dès son plus jeune âge, l’enfant apprend à utiliser un ascenseur, à circuler en véhicule, à consomment des aliments de substitution, des succédanés réservés aux situations de pénurie, de manque, d’urgence. Il est presque à la naissance programmé pour être un assisté. La gestion du handicap est devenue un art de vivre. Des expédients pour dissimuler des infirmités ou des manques sont considérés comme le fin du fin, en matière de cuisine, d’habillement, de culture/ D’ailleurs, en période de pénurie, l’on remarque moins ceux qui sont anormaux, en hiver, la différence entre les gens bien portants et les malades décline du fait que la nature est elle-même alors handicapante pour tous. L’astrologie a sa place dans cette façon de placer le handicap au centre, de rechercher la particularité, la faille, derrière les apparences de la similitude. Le fantasme de certains astrologues serait que personne ne serait normal. C’est là tout un programme – on en conviendra… La normalité serait suspecte, presque insupportable. D’ailleurs, et la boucle est bouclée, ne suffit-il pas de dresser le thème de quelqu’un pour constater précisément ses anomalies ?

Le basculement est alors totalement accompli : on ne dresse plus le thème en cas de maladie, d’accident. Le thème serait inhérent à la personne et on le dresse d’office, comme si la maladie devenait le postulat de travail de l’astrologue. On passe ainsi de l’astropathologie à l’astropsychologie, qui implique en fait une pathologie inhérente à la naissance, une sorte de « péché originel ».

Nous évoluons vers une société où la normalité de départ n’intéressera plus personne. A quoi bon de la « bonne « viande, de « bons « fruits puisque l’on dispose de méthodes pour transformer les viandes et les fruits les plus infâmes en quelque chose de consommable ? A quoi bon des êtres normalement constitués puisque l’on dispose de moyens de gérer tout être humain, aussi impotent serait-il, en lui greffant quelque puce, en le dotant de quelque instrument qui donne le change ?

Quelle est l’alternative à une telle évolution qui fait que le remède est pire que le mal ? Que dire de l’eugénisme, que dire de la sélection ? Ce sont là des voies bannies alors même que l’humanité a passé des millénaires à rechercher l’excellence en toute chose ? On est là dans un monde post-darwinien pour qui le progrès consiste dans le nivellement par le bas. L’excellence devient un luxe dont on peut se passer sous la houlette d’une hypertechnologie qui n’est pas sans nous faire songer à Matrix…

C’est pourquoi le débat autour de l’astrologie est crucial car le fait de faire reculer l’astropathologie pourrait être le signe d’un ressaisissement. Certes, l’Humanité doit beaucoup à la gestion de la maladie, de la pénurie, elle a dépensé des trésors d’ingéniosité et nos hôtels étaient d’abord des hospices, des hôpitaux, nos vêtements servirent d’abord à masquer des infirmités. Mais face à « Matrix », un autre film fait référence, « Avatar » de John Cameron. La voie empruntée actuellement par l’Humanité n’est-elle pas celle de la tentation faustienne, prométhéenne ? Celle d’un « bien » qui est peut-être un « mal ». C’est bien là tout le problème !

>[Jacques Halbronn]