La plupart des astrologues que nous connaissons semblent ne pas souhaiter placer les fondements de l’astrologie dans le champ du culturel. Ils se méfient de toute tentative allant dans ce sens, car ce serait, dans leur esprit, reconnaitre que l’astrologie serait comme bâtie sur du sable. D’où vient une telle conviction et qu’est-ce qu’elle révèle quant à la motivation de se lancer dans l’astrologie ?

Dans un livre intitulé « L’animal est-il une personne ? »[1], Yves Christen note (p. 216) que « la volonté si communément répandue de séparer le biologique du culturel parait (…) totalement injustifiée. A l’évidence, le second ne peut qu’être secrété par le premier (…) Contrairement aux objets inertes, les objets culturels et biologiques proviennent du vivant. Ils sont fondamentalement de même nature. » :

Nous nuancerons cependant un tel propos. Nous ne souscrivons pas à la thèse selon laquelle la culture ne serait somme toute que la sécrétion de la nature car nous accordons au récepteur un rôle créatif fort par rapport à l’émetteur. Certes, le récepteur est limité par ce que l’émetteur a à lui offrir mais il opère une sélection, un tri. On peut certes jouer sur les mots : mais évitons les sophismes. Dans bien des cas ce que le récepteur emprunte se fait à l’insu de l’émetteur et ne concerne qu’une part infime de l’émetteur, ne retenant que des fonctions minimales qui ne sont même pas propres au seul émetteur. Dans le cas de l’astrologie, il est assez patent que ce qu’elle prend des astres est assez dérisoire au regard de l’astronomie et de l’astrophysique.

Mais la question qui se pose est la suivante : est-ce que l’opération engagée par le récepteur et qui serait de l’ordre de la culture, a une réalité comparable à celle de l’émetteur. Car à propos de l’astrologie, soutenir, comme nous le faisons, que celle-ci a instrumentalisé certaines données célestes, parfois apparentes, souvent incomplètes, n’est-ce pas reconnaître qu’elle n’existe que du fait d’une transmission culturelle, ce qui la rendrait dépendante du bon vouloir des sociétés à lui concéder quelque importance ? Il semble que ce soit dans un tel « piège » que les astrologues, dans leur majorité, s’efforcent de ne pas tomber. Mais s’agit-il réellement d’un piège ?

Voilà qui nous renvoie à la (non) pertinence du clivage nature/culture.

Prenons le cas du langage : nous ne naissons pas en sachant telle ou telle langue mais en étant capable d’apprendre n’importe quelle langue. Cette faculté d’apprentissage est héréditaire mais elle doit être nourrie, cultivée. L’enfant ne fabriquera pas de lui-même une langue.

Aux yeux de la plupart des astrologues, l’astrologie est quelque chose qui s’impose à nous, qui ne dépend pas de notre éducation. Quelque chose en quelque sorte d’animal, d’instinctif, d’atavique, de subconscient et surtout que nul n’échappe à son pouvoir, ne puisse s’y soustraire, où qu’il se trouve sur cette terre.. Que vaudrait une astrologie qui agirait dans tel pays et pas dans tel autre, pour telle personne mais non pour telle autre ? Or, le propre de la culture n’est-il pas son cloisonnement, ses limitations dans le temps et dans l’espace ?.

Or, dans l’ouvrage d’Yves Christen, cité plus haut, il est montré que les animaux eux-mêmes, au sein d’une même espèce, dépendent de leur environnement, ce qui leur confère un certain accès à la culture, à des acquis fournis par leur entourage. Certaines aptitudes ont pu se développer en vue précisément d’accéder à certaines informations…

On butte toujours, en fait, sur la question des caractères acquis. En refusant cette possibilité, on se trouve devant le dilemme suivant : soit il faut compter sur le milieu, soit il faut que tout ait été programmé dès l’origine. Pas de milieu entre ces deux extrêmes. Or, il nous semble assez évident que l’humanité a, dans son Histoire, progressé, du moins jusqu’à un certain point en modifiant l’inné au moyen de l’acquis, non pas certes à l’échelle de quelques générations mais d’un grand nombre. Autrement dit, la culture finit par constituer comme une « seconde nature ».

Dans le cas de l’astrologie, même sous sa forme la plus simple, il importe que le récepteur qu’est l’homme soit en mesure de capter, de repérer certaines informations/signaux astronomiques sans avoir été nécessairement initié et il est clair que du point de vue du thème natal, la réactivité du nouveau –né ne saurait être passée par un vecteur culturel. En revanche, dans une perspective cyclique, l’on est davantage en mesure de suggérer une forme de familiarisation avec certaines configurations s’effectuant sur plusieurs années.

Tout se passe comme si l’être humain était programmé pour associer certaines configurations astrales avec un certain mode de comportement, à commencer par la présence ou l’absence de lumière, la présence ou l’absence de chaleur. Il est possible que le dit être humain soit également sensible au cours des rapports soleil-lune dans la mesure où la vie sociale autour de lui en dépend. Même quand il y a un certain décalage, du fait des divers calendriers, le rapport n’en resterait pas moins manifeste, à quelques jours près. On ne se situe point là dans l’hyperprécision du thème natal mais dans un continuum marqué par une alternance assez marquée de phases. Dans le cas des rapports entre certaines configurations planétaro-stellaires et la vie sociale, concernant des périodicités plus longues, comme dans celui du passage de Saturne sur la chaîne constellationnelle zodiacale, il semblerait que l’être humain finisse également par établir psychiquement des corrélations de façon plus ou moins empirique, en observant ce qui se passe autour de lui et pas seulement ni spécialement en lui-même. Ce serait en fait le vécu existentiel au sein d’une société donnée qui éveillerait une certaine conscience cyclique de la même façon que le fait d’entendre parler autour de lui va éveiller chez l’enfant (littéralement celui qui ne parle pas) les facultés de compréhension et d’expression orale, innées en lui.

En conclusion, nous dirons que la mise en évidence du rapport de l’Homme aux astres change radicalement selon que l’on cherche à rendre compte du thème natal ou que l’on s’intéresse avant tout à la condition cyclique de l’Humanité. Les défenseurs du thème natal, dont nous ne sommes point, posent à l’épistémologie de l’astrologie des problèmes beaucoup plus complexes à gérer que ceux qui se contentent, si l’on peut dire, de valider l’existence d’une cyclicité parallèle entre les hommes et les astres. Comme nous l’avons dit, à maintes reprises sur le présent Journal de Bord d’un Astrologue (en ligne sur teleprovidence.com), l’astrologie thémique, celle du thème natal, est un système d’appoint, visant à appréhender ce qui vient perturber le cours normal cyclique. A ce titre, elle se place à l’extérieur du modèle car un modèle n’intègre pas les éléments extérieurs aléatoires qui peuvent l’affecter. La diversité même des facteurs pris en compte par le thème astral révèle assez clairement une démarche visant à deviner ce qui pourrait venir interférer. C’est comme si l’on cherchait à savoir ce qui pourrait arriver à telle ou telle voiture au sein d’une chaîne de centaines de milliers. C’est là le travail du dépanneur qui envisagera – il y a des logiciels pour cela, un nombre considérable de données susceptibles de venir détraquer le bon fonctionnement du véhicule. C’est aussi celui du médecin généraliste qui, comme son nom l’indique, va couvrir un champ considérable d’hypothèses, métier qui se distingue absolument de celui de l’anatomiste qui cherche à mieux comprendre le fonctionnement normal du corps humain. L’astrologie de dépannage, aussi utile soit-elle, est une expression ambiguë puisqu’il s’agit de comprendre, par divers procédés, le dysfonctionnement du système astrologique et non de se servir de l’astrologie pour diagnostiquer les dysfonctionnements. Cette astrologie de dépannage nous parait s’assimiler à une forme de voyance. S’il y a complémentarité, nous dirons que l’astrologie cyclique est masculine et l’astrologie de dépannage est féminine, c’est celle du grain de sable qui vient bloquer les rouages. De facto, il existe une symbiose entre ces deux plans et c’est bien sous cet angle symbiotique, donc duel, que nous engageons l’astrologie et l’histoire de l’astrologie à se placer.

>[Jacques Halbronn]