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F_3.jpg Il nous faut préciser en quoi tous ces carnets – dits de « l’abbé Saunière » – pourraient éventuellement amener une quelconque compréhension des agissements financiers de ce curé à son époque. Pour pouvoir comprendre, il est nécessaire de situer les obligations que pouvait alors avoir un curé de campagne quant à la tenue de sa comptabilité privée, notamment concernant d’éventuelles intentions de messes par lui reçues…

Pour mes explications, je me référerai, comme à mon habitude, à l’ « Abrégé de Théologie dogmatique et morale, avec les notions les plus importantes de droit canon, de liturgie, de pastorale, de théologie mystique et de philosophie chrétienne » par l’abbé J. Berthier, M.S. (La Salette par Corps, Isère, 1892) qui faisait autorité incontestée à l’époque des faits. Destiné aux prêtres qui se voyaient confier une paroisse, il leur servait de vade-mecum afin qu’ils y trouvent immédiatement toutes les réponses aux nombreuses questions et problèmes qui pouvaient se poser durant leur ministère.

Au sujet des messes, le Droit Canon est explicite et clair. L’abbé Berthier le commente ainsi dans son article 963 :

« Il est défendu par l’Église de faire métier de ramasser à dessein des honoraires de messes, et il n’est pas permis de coopérer à ce trafic. »

Les textes sont très clairs et désignent formellement de tels agissements comme un « trafic », canoniquement comparable au pêché de simonie, à rapprocher donc de l’article 3124 (h) :

« Ceux qui sont coupables de simonie réelle, dans les bénéfices quels qu’ils soient, et leurs complices, sont frappés d’excommunication. »

D’autant plus que Saunière avait cumulé en la matière les manquements graves : il encaissait plusieurs honoraires pour une seule messe dite (du temps encore où il les disait), en contradiction totale avec l’article 960 :
« Cependant, quand un prêtre célèbre deux messes le même jour, il ne peut recevoir un honoraire que pour la première … »

A fortiori donc quand il cumulait, jusqu’au 05 septembre 1893, 3 honoraires pour une seule messe dite, comme nous le prouve son carnet de messes ! Ce jour là d’ailleurs, il devait dire des messes reçues le 09 janvier précédent, 8 mois auparavant donc, soit en totale contradiction avec l’article 966 :

« D’après une décision de la Sacrée Congrégation du Concile, on ne peut jamais différer au delà de six mois l’acquittement des messes (B. 238). »

Au passage, on voit donc que l’abbé Saunière, convaincu par sa hiérarchie, d’avoir commis un trafic caractérisé de messes n’a pas été, quoi qu’on en dise, lourdement châtié le 05 décembre 1911, lors de sa condamnation définitive par cette sentence de l’Officialité au terme d’un quatrième jugement :

« …Condamnons Bérenger Saunière à une suspense a divinis d’une durée de 3 mois, laquelle suspense, d’ailleurs, continuera jusqu’à ce qu’il ait opéré la restitution des biens par lui détournés. Cette sentence étant portée par contumace et sans appel. »

La peine aurait du logiquement être l’excommunication. Une « suspense à divinis » (c’est à dire la privation temporaire de ses prérogatives sacerdotales) de 3 mois paraît à côté une sentence bien légère. À méditer donc par ceux qui soutiennent que l’abbé Saunière ne profita jamais d’aucune mansuétude de son Évêché…

Tout cela pour prouver que l’Église Catholique et Romaine avait depuis longtemps extrêmement bien codifié tout ce qui touchait au ministère de ses prêtres, fussent-ils d’obscurs curés de campagne au fin fonds de la haute vallée de l’Aude.

Que préconisaient donc les textes canoniques quant à l’organisation particulière d’un prêtre en charge d’âmes concernant la réception d’intentions de messes ? Réponse sans ambiguïté pour le père Berthier dans son article 965 :

« Il est donc bien important que tout prêtre ait un registre sur lequel il note très exactement toutes les messes qu’il reçoit, et toutes celles qu’il acquitte, afin que s’il venait à être surpris par la mort, ses héritiers pussent faire célébrer par d’autres celle qui n’auraient pas été acquittées. »

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Ce « registre », nous l’avons, du moins en partie : il est constitué par deux carnets, le premier (dont nous reparlerons) toujours en possession des Corbu-Captier, et que j’ai disséqué dans mon livre « Le puzzle reconstitué », et le deuxième qui hélas avait été « pris en otage » par l’ancienne municipalité de Rennes-le-Château pour agrémenter le petit musée du presbytère sur place.

Le fondement imposé de l’organisation personnelle d’un prêtre par les textes canoniques est donc principalement ce registre de messes. Mais cela ne valait que pour un prêtre classique qui, soit de la part de son Ordinaire, soit de la part de proches paroissiens, recevait de temps à autre quelques messes dont la rémunération fixée par l’Évêché (article 961 : « L’honoraire légitime est celui qu’à fixé l’Évêque ; tous, mêmes les réguliers, doivent « sub gravi » s’y conformer »).

Saunière, qui s’était lancé dans une véritable entreprise de captation d’intentions de messes dut, pour s’y retrouver, mettre au point une véritable organisation interne. Il eut alors recours à des « carnets de correspondance », bien pratiques pour lui permettre de savoir où il en était de son faramineux courrier (des dizaines de milliers de lettres aussi bien envoyées que reçues !), et des « carnets de comptabilité » indispensables pour s’y retrouver dans les nombreux flux financiers générés par l’envoi de messes puisque, je l’ai déjà dit, les banques à cette époque n’envoyaient pas de relevés de compte.

Il apparaît donc indiscutable que dans le cas de l’abbé Saunière, le registre des messes, les carnets de correspondance et les carnets de comptabilité sont étroitement liés. C’est l’étude de cette corrélation entre eux qui va nous permettre de nous prononcer quant à l’éventualité que la comptabilité apparaissant dans les carnets de comptabilité dont s’est occupé M. Octonovo, ne soit qu’une fausse comptabilité, « remontée » par Saunière lui-même en vue d’une hypothétique présentation au tribunal de l’Officialité de Carcassonne, qui ne manqua pas d’ailleurs de la réclamer à maintes reprises.

Première constatation, et non des moindres, il apparaît dans le premier carnet du registre des messes que j’ai pu consulter dans le fonds Corbu-Captier (grâces leur soient encore rendues pour leur gentillesse !), que l’Évêché de Carcassonne, en propre, à travers des gens qui lui sont très proches: les abbés Gustave Cantegril, Joseph Théodore Lasserre, ou bien à travers des institutions dépendant de lui (« Le Refuge », le couvent Notre-Dame), se positionne jusqu’en 1899 (c’est à dire jusqu’à ce que Saunière décide de passer à la vitesse supérieure et de prospecter toute la France grâce à des annuaires ecclésiastiques) comme l’un des tous premiers pourvoyeurs de messes pour Saunière !

On ne peut donc qu’en conclure que l’Évêché était parfaitement au courant de la finalité du projet en préparation à Rennes-le-Château, et donc en gros, parfaitement conscient des montants financiers nécessaires à une telle réalisation.

On peut parfaitement démontrer les solides attaches des deux prêtres que je viens de citer, les abbés Cantegril et Lasserre, avec l’Évêché de Carcassonne, pour peu que l’on étudie leur parcours respectif.

1. L’abbé Gustave Cantégril (1837-1919), fut, entre autres affectations, vicaire à Saint-Martin de Limoux du 1er juin 1861 au 11 mars 1867. On le retrouve d’octobre 1874 à août 1879 aumônier du couvent Notre-Dame à Carcassonne, puis curé de Quillan, Saint Just à Narbonne, pour enfin être nommé le 25 septembre 1896 Vicaire Général honoraire de l’Évêché de Carcassonne ; il en deviendra le Vicaire Général en titre le 1er janvier 1897. Ce sera lui qui présidera ensuite le tribunal de l’officialité chargé de juger Saunière à partir de 1910, et qui rédigera sa condamnation définitive le 05 décembre 1911 (l’ABC de RLC, Arqa éditions, page 92). Or nous retrouvons Gustave Cantegril comme pourvoyeur de messes de Saunière. Lorsque quelques années plus tard il eut à entendre et juger le curé de RLC, il était donc bien placé pour savoir à quoi s’attendre quant à certains montants financiers …

2. L’abbé Joseph-Théodore Lasserre (1833-1897), que nous retrouvons comme par hasard vicaire à Saint Martin de Limoux du 09 juin 1863 au 1er mars 1876, date de sa nomination à la cure d’Alet (>ABC de RLC page 162). Il fut donc à Saint Martin, de 1863 à 1867, en compagnie de Gustave Cantegril ! Devenu curé d’Alet, on sait qu’il accueillit en 1879 un jeune vicaire nommé Bérenger Saunière. Mais ce que l’on sait beaucoup moins, c’est que l’abbé Lasserre avait été, le 21 septembre 1876, nommé par Mgr Leuilleux bénéficier de premier ordre du Chapitre de l’Église Cathédrale de Carcassonne, ce qui en faisait un des ecclésiastiques les plus importants du diocèse et donc un très proche de l’Évêché.

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Force est de constater que nous retrouvons toujours les mêmes hommes aux mêmes moments stratégiques et aux mêmes endroits : Cantegril, ancien aumônier du couvent Notre-Dame et ami de Lasserre ; Lasserre copropriétaire de N-D de Marceille, et à plusieurs titres proche de Monseigneur ; Lasserre toujours, qui avait fait son Grand Séminaire à Saint-Sulpice à Paris, tenu par les Lazaristes, et qui les fit venir en 1872 à Notre-Dame de Marceille, pour remplacer le chanoine Henri Gasc qu’il avait bien entendu très bien connu, ainsi que son prédécesseur Gaudéric Mêche qui, hasard, dota richement l’église Saint-Martin de Limoux avant sa mort en 1864, c’est à dire exactement au moment où les deux jeunes vicaires étaient Cantegril et Lasserre… eux-mêmes alors formés par l’archiprêtre du lieu, l’abbé Destrem. Ce même abbé Destrem dont le RP Vannier, alors supérieur des Lazaristes de N-D de Marceille, et qui connut Gasc les trois dernières années de sa vie, tenta de se servir comme prête-nom auprès de sa hiérarchie pour financer en 1883 une maison des Filles de la Charité à Limoux…

Le chanoine Mêche à Notre-Dame du Cros avait eu, lui, un jeune vicaire du nom de Henri Boudet. Ce même Boudet que l’abbé Lasserre encensa et appela à son secours en 1891 dans sa notice historique sur N-D de Marceille alors dans les affres d’une vente judiciaire… Boudet, une fois installé curé des Bains de Rennes-les-Bains, n’a eu rien de mieux à faire que d’installer aux murs de son église 2 tableaux : un entièrement d’Henri Gasc, et l’autre, de réemploi, bien retouché par lui !

Cantegril, on le retrouve Vicaire Général du diocèse de Carcassonne en 1909, et surtout président du tribunal de l’Officialité en charge de juger un certain Bérenger Saunière (ancien vicaire de Lasserre) pour un trafic de messes plus que supposé puisque lui-même y avait participé !

Le Lazariste Jean Jourde enfin : arrivé à N-D de Marceille en 1880, du temps du Père Vannier, il avait été l’élève, au séminaire Saint-Sulpice à Paris (lui aussi) de 1874 à 1880 du RP Fulcran Vigouroux, connu pour avoir vulgarisé le Codex Bezae qui servit à créer un certain Petit Parchemin… Jourde connut bien Henri Gasc, puis fut ami avec le curé de la paroisse Saint-Vincent à Carcassonne, l’abbé Dariez, que l’on retrouve, lui aussi, pourvoyeur de messes pour Saunière ! Ce même abbé Dariez avait amené jusqu’à la prêtrise un jeune de sa paroisse : l’abbé Joseph Rescanières (1878-1915), qui fut ensuite formé comme missionnaire diocésain à Notre-Dame de Marceille par… Jean Jourde, et que l’on retrouvait, hasard (?) en 1914 comme successeur d’Henri Boudet à la cure de Rennes-les-Bains !

Même le plus grand scénariste de films n’aurait jamais eu l’idée réunir un tel plateau ! Cela donne parfois le tournis… Et encore, je me suis arrêté aux années Saunière. Si l’on devait suivre le chassé croisé entre certains Lazaristes passés par Notre-Dame de Marceille, on aurait le vertige !

Franck Daffos © – L’AFFAIRE des Carnets, Réponse à M. Octonovo.


Texte extrait de L’AFFAIRE des Carnets – Arqa éditions


Photos © Thierry E Garnier // Antoine Captier pour les carnets de l’abbé Saunière – Archives Arcadia.

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