Quand on évoque l’apport spécifique de l’astrologie à l’astronomie ou si l’on préfère ce qui n’est pas en astrologie réductible aux seules données astronomiques, l’on pense aux diverses classifications des signes – notamment en trois et quatre groupes- aux domiciles des planètes en signes- voire aux divers aspects puisque l’astronomie ne saurait cautionner un intervalle plutôt qu’un autre. Un tel corpus n’offre pas un caractère tropicaliste, loin s’en faut, en dépit de certaines apparences.

Prenons le problème autrement, à quoi ressemblerait l’astrologie si elle était réellement tropicaliste, c’est-à-dire se référait explicitement aux saisons pour son ancrage astronomique ? Sachant que chaque saison est bien spécifique, des signes appartenant à des saisons différentes voire opposées ne sauraient être réunis au sein d’un seul et même groupe, reliés à un seule et même planète ; les planètes placées dans des signes relevant de saisons différentes ne sauraient davantage être considérées reliées par des aspects « harmoniques ». Or, un tel principe n’est nullement respecté, tout se passe, bien au contraire, comme si la référence saisonnière était parfaitement indifférente ou en tout cas subsidiaire, supplétive, secondaire. C’est ainsi d’ailleurs que dans la Tétrabible, l’on peut lire (trad. Nicolas Bourdin, 1640) ;: « Voilà donc les propres vertus des étoiles comme elles ont été observées par les Anciens ; mais il faut aussi considérer les saisons de l’année : le printemps,l’été, l’automne et l’Hiver »

Il est vrai qu’il nous aura fallu des décennies pour échapper à une certaine imposture, en tout cas à un manifeste contresens. Tout indique en effet que l’astrologie se sera construite dans le projet de se libérer du référentiel saisonnier et de se contenter de s’inspirer de certaines structures anciennes, tout en les transposant dans un tout autre contexte. Que l’astrologie ait emprunté au cycle soleil –lune et au cycle saisonnier est historiquement fort probable, cela a donné les 12 constellations et la division de l’écliptique en 4. C’est un travers fréquent que de réduire, de ramener un processus à ses sources sauf à signaler à quel point les dites sources ont été retravaillées, retouchées et vidées plus ou moins de leur substance de départ. Apparemment, bien des astrologues ont cru bon de recentrer l’astrologie sur ses sources, produisant ainsi un certain télescopage diachronique, historique. [1]

N’importe quel observateur non impliqué dans une pratique qu’il veut justifier à tout prix ne peut que reconnaître que si l’on prend par exemple les trois signes de quelque Elément que ce soit, deux d’entre eux se situeront inévitablement dans des saisons opposées : bélier et sagittaire (Feu), vierge
et capricorne (Terre),, gémeaux et balance, (Air), Cancer et poissons.(Eau)
Et quid des deux domiciles de Vénus, l’un en taureau (printemps) et l’autre en balance (automne). Idem pour les deux domiciles de Mars, l’un en bélier (printemps) et l’autre en scorpion (automne) ?

Mais le cas le plus remarquable, paradoxalement, est celui consistant à placer dans la même catégorie, comme le fait Ptolémée, dans la Tétrabible ; les deux signes équinoxiaux et dans une autre les deux signes tropicaux, ce qui relie ainsi des saisons et des secteurs diamétralement opposées : bélier/balance, cancer/capricorne.

Force est de constater qu’une telle présentation montre bien que l’astrologie, à ce stade de son développement, n’a cure du critère saisonnier, si ce n’est pour le dépasser et s’en démarquer.

Et l’on pourrait en dire de même pour la théorie des aspects qui dérivée du classement en trois et quatre signes, soit les trigones et les carrés, qui associe des astres dans le ciel, se situant dans des parties du zodiaque s’originant dans des saisons opposées ou en tout cas différentes. Même le sextile (60°) voire le semi-sextile peuvent relier des signes de saisons différentes. C’est dire à quel point le référentiel saisonnier, stricto sensu, était devenu secondaire, marginal en astrologie, n’ayant finalement légué qu’une certaine forme de numérologie, à base 4, tout comme les 12 mois lunaires auront conduits à une répartition des étoiles fixes en douze ensembles appelés constellations. A partir de là la précession des équinoxes n’est plus qu’un épiphénomène puisque l’astrologie n’a qu’un lien, symbolique et analogique avec les saisons. Rappelons que les /constellations, ce qui est logique quand il s’agit d’observer le ciel et de s’y retrouver.

La théorie des Grandes Conjonctions connut une fortune remarquable depuis l’approche de l’An Mil jusqu’au xVIIIe siècle la prophétie de Pierre d’Ailly pour 1789 fut saluée à l’époque, laquelle s’articule sur le dispositif des rencontres Jupiter-Saturne mais aussi sur un cycle de dix révolutions de Saturne (soit 300 ans), fonctionnait sur la base des trigones et des signes de même Elément puisque les conjonctions ont lieu à 120° d’écart tous les 20 ans. Cette théorie n’a aucun fondement tropicaliste si ce n’est qu’elle fut appliquée selon des coordonnées tropicales.

On se demandera pour quoi l’astrologie dont le dispositif n’était pas tropicaliste (cf supra) recourut à des coordonnées qui l’étaient. C’est un des points essentiels de l’Histoire de l’astrologie que ce retour au tropicalisme au niveau des calculs alors même que le savoir astrologique s’en démarquait. L’on devrait plutôt parler au départ d’un « atropicalisme » plutôt que d’un sidéralisme. Le problème, c’est que si l’on admet, comme nous le faisons, que les humains sont sensibles au passage de certaines planétes le long du zodiaque étoilé, les signaux concernant leur passage au niveau tropique nous semblent être de peu de signification. En tout état de cause, sur des périodes longues, le décalage sera d’une incidence mineure et cela n’affectera pas en tout état de cause le processus des conjonctions en tant que telles, si on ne tient pas compte des signes zodiacaux dans lesquels elles se forment…

Quant à une astrologie divinatoire axée sur le thème natal, en coordonnées tropiques, cela a encore moins d’importance, car on se situe sur un autre plan, qui est celui d’un codage sans lien avec la réalité astronomique.

D’aucuns ont cru pouvoir passer outre à la question zodiacale. Ce fut longtemps le cas d’André Barbault mettant l’accent sur les cycles planétaires (entre deux planètes) ou sur un indice de concentration planétaire, également indifférent au positionnement en tel ou tel signe, l’important étant qu’il y ait un rapprochement des planètes « lentes » dans une zone étroite de l’écliptique. Or, nos travaux ont montré qu’il était absolument crucial d’observer à quel endroit du zodiaque se trouvait notamment Saturne, sans le situer par rapport à d’autres planètes. La dialectique planète/étoile doit revenir au premier plan, tout se passant comme si l’on avait tenté de remplacer le partenaire stellaire de la planète par d’autres planètes, à commencer par la conjonction Jupiter-Saturne évoquée plus haut. En fait, le tropicalisme serait, quant à lui, un « astellarisme » tout comme en son temps le sidéralisme avait été un « atropicalisme ». On pourrait, au regard de l’Histoire de l’astrologie, en quelque sorte parler d’un phase évolutive allant du tropicalisme vers le stellarisme, suivie d’une phase involutive allant du stellarisme au tropicalisme. Le temps est probablement venu de repartir, au sein d’un nouveau cycle, du tropicalisme vers le stellarisme, comme le suggérait un Jacques Dorsan, en France, depuis les années 80. Mais l’apport de la présente étude est d’avoir montré que fondamentalement la plus grande part des dispositifs astrologiques se démarquèrent du carcan tropicaliste.

Jacques Halbronn

[1] On pense, entre autres, aux ouvrages de J. P. Nicola.