« Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous. »

Paul Eluard

VALFLEURY

Ce modeste village du département de la Loire est niché au cœur des Monts du Lyonnais, à une cinquantaine de kilomètres au sud-ouest de Lyon, et à une quinzaine de kilomètres au nord-est de Saint-Étienne. Il doit sa célébrité au sanctuaire marial qu’il abrite, fondé suite à la découverte miraculeuse d’une statue de la Vierge aux alentours de l’an 800 (13). C’est Franck Daffos qui dans son livre Le puzzle reconstitué attire l’attention sur ce site et établit un lien avec l’affaire de Rennes-le-Château. Lien qui se tisse par le dénommé Jean Jourde, un Père Lazariste en poste à Notre-Dame de Valfleury de 1891 à 1899, après avoir occupé la même charge à Notre-Dame de Marceille, de 1880 à 1890, et avant d’y retourner à partir de 1900. Il ne fut d’ailleurs pas le seul de sa congrégation à passer d’un sanctuaire à un autre, comme nous le verrons bientôt. À la différence de son homologue audois, resté dans la paroisse de Limoux, le sanctuaire de Notre-Dame de Valfleury fut érigé en paroisse, en 1809, par le cardinal Fesch, archevêque de Lyon que nous avons vu être à l’origine de la venue des Dames de Saint-Michel dans sa ville.

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Ce sont les Lazaristes, installés à Valfleury depuis le XVIIIe siècle, où ils ont succédé aux Bénédictins, qui ont relancé un pèlerinage un peu tombé dans l’oubli. Le curé de la paroisse était désigné par le diocèse de Lyon, et choisi parmi les membres de leur communauté. Généralement c’était son supérieur. Le succès du pèlerinage doit beaucoup à James Lugan, supérieur des Lazaristes et curé de la paroisse, qui à partir de 1840 passa 28 ans de sa vie à Valfleury. Authentique aristocrate languedocien, originaire des environs de Montauban, le comte James Lugan fit construire la nouvelle église, s’adressant à celui qui allait devenir le maître d’œuvre de Notre-Dame de Fourvière à Lyon, le « prince des architectes », Pierre Bossan. C’est le style néogothique, alors très à la mode, qui fut adopté pour la nouvelle église ; Pierre Bossan en était l’un des spécialistes, et avait déjà réalisé dans ce style, quelques années plus tôt, l’église Saint-Georges à Lyon. Sur ce nouveau chantier, il fut secondé par l’architecte lyonnais William Léo.

La première pierre fut bénite le 22 mai 1853. Le devis prévisionnel se montait à 35 000 Francs. De cette somme, rien ne fut demandé ni à la commune ni au département, mais le devis s’avéra très vite dépassé. « Je croyais que les ressources, que Dieu mit entre ses mains, auraient suffi », écrivait le Père Lugan le 14 juillet 1854, en sollicitant l’aide du Préfet de la Loire. « Le pays se trouve en une disposition si extraordinairement difficile qu’il faut payer le double de tout ce que l’on peut prévoir », précisait-il pour se justifier. Le Père Lugan ajoutait : « J’ai dépensé trente sept mille francs, il en faut encore vingt », avouant ainsi avoir investi à titre personnel toute sa fortune dans l’entreprise. Son appel à la générosité ne rencontra semble-t-il aucun écho du côté du département. Il ne trouva pas la totalité des 20 000 Francs manquants. Faute de crédits, les travaux finirent par s’arrêter. Quand le Père Lugan quitta Valfleury, seuls l’abside et le chœur étaient achevés.

Son successeur Antoine Nicolle, qui devait finir ses jours dans l’Aude, obtint en 1860 du pape Pie X le couronnement de la Vierge de Valfleury, insigne honneur accordé aux statues miraculeuses, qui relança la piété et favorisa de nouveaux financements. Le Père Nicolle en avertit la Préfecture de la Loire par un courrier en date du 22 décembre 1860, pour la forme car pas un centime n’était demandé au département. Le Préfet y répondit favorablement cinq jours plus tard, l’autorisant à ouvrir une liste de souscription. Toutes les grandes familles d’industriels de la vallée du Gier et du bassin de Saint-Étienne y adhérèrent : les Marrel et les Fleurdelix à Rive-de-Gier, les Granjon et la famille de Boissieu à Saint-Chamond, les Balaÿ et les Giron à Saint-Étienne, pour ne citer que les principales d’entres elles. Le Père Nicolle supervisa la construction de la nef et de la façade, et pour les sculptures il fit appel bien entendu à Joseph-Hugues Fabisch. L’église fut consacrée en 1866. Parallèlement, le Père Nicolle avait créé l’Œuvre de la Sainte-Agonie, archiconfrérie qui se répandit dans le monde entier et comptait au début du XXe siècle plus d’un million d’adhérents.

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Joseph Courtade, qui lui succéda de 1871 à 1873, s’occupa des aménagements intérieurs, les boiseries en particulier. C’est donc probablement lui qui fit installer le chemin de croix dont il sera bientôt question. Le Père Courtade devait ensuite être nommé supérieur de Notre-Dame de Marceille de 1887 à 1891. Son successeur M. Naudin, le seul à ne pas avoir de liens avec Notre-Dame de Marceille ou le département de l’Aude, établit en 1873 à Valfleury une communauté des Filles de la Charité, ordre fondé comme les Lazaristes par saint Vincent de Paul.

Il fallut attendre 1880 pour voir commencer à s’élever le clocher, et 1885 sa haute flèche en pierre terminée. On doit ces travaux à Pierre Souchon, supérieur de Notre-Dame de Valfleury et curé de la paroisse de 1880 à 1888, qui devait être nommé à la tête de Notre-Dame de Marceille en 1892 – 1893…

Enfin, pour un dernier chassé-croisé entre les deux sanctuaires mariaux des Lazaristes, on peut évoquer Pons Bélot, qui après Valfleury passera à Notre-Dame de Marceille de 1894 à 1899, où en qualité de supérieur il transmettra 126 demandes de messes à Bérenger Saunière. Il finira sa vie à Notre-Dame de Montolieu près de Carcassonne (Aude) où Jean Jourde lui succèdera de 1915 à 1930. Montolieu a connu une destinée semblable à celle de Valfleury : fondé vers l’an 800, le sanctuaire fut d’abord tenu par les Bénédictins, puis par les Lazaristes qui le cédèrent en 1869 aux Filles de la Charité.

P_Berlier_-_Co_Auteur_de_L_ABC_de_RLC.jpg À Valfleury, les travaux se poursuivirent en réalité jusqu’en 1899. Entre temps, en 1872, Pierre Bossan avait démarré le chantier de Fourvière, puis sa santé l’ayant rapidement amené à quitter Lyon pour la Ciotat, où il devait décéder en 1888, c’est son disciple et successeur Sainte-Marie Perrin qui acheva la construction de Fourvière et de Valfleury. Pour Franck Daffos, Jean Jourde a servi d’intermédiaire entre Bérenger Saunière et Sainte-Marie Perrin, véritable concepteur, à distance, du domaine de l’abbé à Rennes-le-Château, dont le terrain a dû être remblayé pour s’adapter au plan, et non l’inverse.

Dans cette hypothèse, on pourrait tout de même s’étonner du fait que ce travail effectué par Sainte-Marie Perrin pour l’abbé Saunière, via les Lazaristes de Valfleury, et qui n’a pas dû être gratuit, n’ait pas éveillé l’attention du conseil de fabrique. Avant 1905 et la séparation de l’Église et de l’État, ces conseils composés de clercs et de laïcs étaient chargés, dans chaque paroisse catholique, de vérifier sa bonne gestion. Supprimés pendant la Révolution, ils furent rétablis en 1802 en même temps que le culte. Mais à Valfleury, d’une part le conseil de fabrique n’avait été constitué qu’en 1890, suite aux demandes pressantes du Ministère des Cultes, d’autre part il n’avait quasiment jamais fonctionné, en raison du décès de deux de ses membres. En 1894 l’archevêque de Lyon demanda à ce que cette situation exceptionnelle fût maintenue, au motif que les Lazaristes étaient propriétaires de leur église et de leur mobilier. Quelques années plus tard, il fallut l’intervention du ministre des Cultes, qui diligenta une enquête via la préfecture, pour rétablir la situation normale. Mais on s’aperçoit que les comptes du conseil de fabrique pour les années 1897 – 1899 ont été établis sur des documents pré-imprimés prévus pour les années postérieures à 1900. Ils ont donc été réalisés a posteriori et antidatés.

Ainsi les Lazaristes restèrent seuls maîtres de leur gestion durant toutes ces années…

Patrick BERLIER – Extrait de // Reflets de Rennes-le-Château en pays lyonnaisChroniques de Mars, juillet 2011 – Numéro 5.