Certes, les vacances sont une bonne occasion de voyager et de découvrir moultes contrées aux charmes gastronomiques et culturels, mais elles sont aussi pour peu que l’on s’en donne la peine, une fantastique occasion de lire durant plusieurs heures d’affilée, sans dérangements ni interruptions de toutes sortes. Il est donc possible d’aborder des ouvrages un peu plus riches ou complexes que les courts moments de lecture de la vie courante nous empêcheraient de savourer à leur juste mesure.

J’ai donc emmené dans ma valisette, « La révolution de l’imprimé » d’Elizabeth Eisenstein qui porte sur l’impact sur la société de la renaissance de l’invention de l’imprimerie au XVe siècle. Je dois avouer que j’avais gravement surestimé la difficulté de lecture : en fait, l’auteur étaye ses opinions de façon simple, claire et étape par étape ce qui permet de le lire petit bout par petit bout sans vraiment perdre le fil. Mais bon, la lecture ininterrompue d’un chapitre entier est un régal que seules les vacances peuvent nous offrir, alors autant en profiter.

L’auteur commence d’abord par dissiper quelques idées reçues. Tout d’abord elle note que durant les cinquante premières années de l’imprimerie, l’époque des incunables, les livres édités ont surtout été des textes datant de l’antiquité classique ou du haut moyen âge. Bien peu d’auteurs de l’époque ont vu leurs travaux édités au XVe siècle. De plus, elle note que si la diffusion des idées de l’humanisme a certes été favorisée par l’imprimerie, ces idées datent d’un siècle environ avant la production industrielle du livre et qu’elles ont pu se diffuser à travers toute l’Europe sans le support typographique, simplement avec la production en chaine de copies manuscrites par « pecia » qui existait déjà depuis le XIIIe siècle. De plus, la production en masse de livres imprimés n’a pas servi qu’à la Réforme, elle a aussi grandement été utilisée par l’église catholique officielle pour uniformiser les idées et les pratiques dans tous les recoins du monde chrétien, chaque prêtre pouvait avoir en main exactement le même texte que celui du village voisin, ce qui aurait été impensable à l’époque des copistes vu le nombre important d’erreurs de copie que sous entendait la production en masse de livres manuscrits.

Elizabeth Eisenstein passe ainsi en revue les différentes périodes de l’évolution de l’édition de livres typographiés et analyse en regard les grands changements de la société de la Renaissance, depuis l’évolution forcée de la religion et de l’état jusqu’aux cercles érudits, et l’utilisation qu’ont faite les différentes strates de la société de ce nouvel outil qui leur était donné. Elle remet constamment dans le contexte des connaissances de l’époque toutes les évolutions qu’elle décrit, nous permettant ainsi de mieux comprendre les réactions des personnages de l’époque qui autrement nous paraitraient parfois complètement absurdes. Elle montre l’impact des éditions religieuse, qu’elles soient vaticanes ou réformées mais aussi le début des éditions de livres « scientifiques » qui firent beaucoup pour la diffusion de la connaissance technique et le subséquent déclin de la religion. Elle explique par le menu les querelles entre certains érudits prônant une impression en latin ou grec exclusivement pour préserver la pureté des textes et d’autres intellectuels préférant la publication la langue « vulgaire » afin de rendre les connaissances plus accessibles à toutes les couches de la société même les moins instruites.

Mais ce qui m’a le plus frappé à la lecture de ce livre, c’est l’extraordinaire concordance des temps (comme dirait Jean Noël Jeannenet, ancien directeur de la BnF faut-il le rappeler) entre cette époque d’il y a cinq siècles qui vit naitre l’imprimerie et la nôtre qui voit naître l’internet. Même explosion des possibilités d’accès de tout un chacun à une foule de connaissances, même nécessité de pouvoir faire le tri entre les sources innombrables desquelles il est parfois difficile de trier le bon grain de l’ivraie, mêmes querelles sur les problèmes de droits d’auteur, de plagiat et de copie illicites, mêmes tentatives des pouvoirs en place de réguler et de tenter de prendre un contrôle plus ou moins strict de la diffusion de ces connaissances, mêmes idéologies de laisser faire complet et de libre copie (cf certaines associations de hackers), mêmes tentations de censure et d’éliminations de certaines informations (cf l’interdiction de détention et de diffusion d’informations à caractère pédophile), j’en passe et des meilleures. A chaque fois que vous lisez le mot « imprimerie », remplacez-le par internet (1), à chaque fois que vous lisez « religion » remplacez le par « autorités morales » et laissez « état » tel quel, vous serez étonné des concordances incroyables entre les humains d’il y a cinq siècles et ceux d’aujourd’hui.

Un vrai bonheur de lecture à savourer sans modération.

>[ZE BLOG]

(1) Avec toutes les déviances notoires et actuelles que l’on peut aisément observer sur le Web – que n’en eût dit un Jean-Paul Sartre revisitant son « existentialisme » en commentant la nécessité de l’existence du troll par la calomnie, la diffamation, la perversion d’informations sous pseudonymes, etc., voir pour exemples nos posts les plus récents du 21/8/2011 & 1/9/2011.

Elizabeth L. Eisenstein – « La révolution de l’imprimé, à l’aube de l’époque moderne » – Collection Pluriel, Hachette littérature, 9,20€ seulement !

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