J’avais à peine fini de m’expliquer sur le « geai » qu’Hérold manifestait la plus vive surprise.

Il eut très vite fait de me la faire partager et elle restera de celles qui comptent dans ma vie. Il m’apprit, en effet, que la veille il se trouvait avoir acquis un ouvrage nouvellement paru, intitulé Gérard de Nerval et les doctrines ésotériques et qu’en frontispice le volume présentait un portrait de Nerval encadré d’inscriptions de sa main, assurément des mieux faites pour m’étonner, qu’Urne décrivit. (Mais, puisque j’ai pu me procurer le livre depuis lors, autant dépeindre ici la page de visu.) Le portrait, vérification faite, ne m’était pas inconnu : il figure en effet, mais sans ses marges, dans l’ouvrage d’Aristide Marie : Gérard de Nerval. C’est de lui que, le 1er juin 1854, le poète des Chimères écrit à Georges Bell : « Je tremble de rencontrer ici aux étalages un certain portrait pour lequel on m’a fait poser, lorsque j’étais malade, sous prétexte de biographie nécrologique. L’artiste est un homme de talent, mais il fait trop vrai ! Dites partout que c’est un portrait ressemblant mais posthume, je veux me débarbouiller avec de l’ambroisie, si les dieux m’en accordent un demi verre seulement. »

Au reste les inscriptions, dans leur ensemble inédites jusqu’à ce jour, étaient bien autrement agitantes. Elles se composent, en effet, des mots suivants: en marge supérieure, à gauche « Cygne allemand », au centre « feu G rare », la dépendance de la lettre G et de l’adjectif étant soulignée par un petit signe de liaison. Le passage du G au geai, comme dans ma dédicace, est clairement spécifié, à droite, par le dessin sommaire d’un oiseau en cage (i). Partant de ce G, je ne puis, quant à moi, m’empêcher de relever dans le portrait la curieuse position de l’index méditativement appuyé au menton et qui, dans la planche, tombe juste au-dessous de la lettre.

Mais je doute que les familiers de l’œuvre de Rimbaud découvrent sans frémissement, en marge inférieure, les mots « Je suis l’autre » précédés d’un point d’interrogation et comme signés d’un hexagramme à point central (c’est tout pour les signes cabalistiques dont Aristide Marie veut que le portrait soit «agrémenté»). Le fameux « JE est un autre » de la « Lettre du Voyant » prend du coup un recul auquel rien ne faisait s’attendre et pose un problème de source qui appelle une complète élucidation.
L’ouvrage qui m’était parvenu par des voies si détournées, si anormales (et peu après que dans un texte intitulé: « Devant le rideau », je me fusse préoccupé ouvertement de « cabale phonétique ») me ménageait, au demeurant, une autre surprise non moins bouleversante. De même que, fin 1940, un long reportage de journal inspiré des pires haines de l’heure, était venu m’avertir que l’itinéraire prêté dans Paris aux « vengeurs des Templiers » se confondait avec celui qu’inconsciemment j’avais suivi avec Nadja, je n’eus, guidé par l’exégèse de M. Jean Richer, aucune peine à me convaincre qu’ici, sur le plan symbolique pur, j’avais cheminé avec Nerval le long du sillon doré. Mélusine, Esclarmonde de Foix, la reine de Saba, Isis, la Versesuse du Matin, les très belles dans leur ordre et leur unité m’en resteront les plus sûres garantes.

La jeunesse éternelle. « 1808 = 17 » : Naissance de Nerval. – Publication de Théorie des Quatre Mouvements et des Destinées générales.

Ma seule étoile vit…

Paris, 1er – 3 mai 1947.
André BretonArcane 17 (extrait) – Jean-Jacques Pauvert ed. 1965.

André Breton ou la transparence

« J’insiste sur le fait que le surréalisme ne peut historiquement être compris qu’en fonction de la guerre, je veux dire – de 1919 à 1938- en fonction à la fois de celle dont il part et de celle à laquelle il retourne. »

(1942) Situation du surréalisme entre les deux guerres.

Arcane 17 est la plus complexe, la plus achevée des proses de Breton. Le livre renonce aux documents photographiques, mais non aux va-et-vient, aux parenthèses, au développement en spirale, au passage insensible du mythique au perçu.

Mais, comme on progresse dans la lecture, les difficultés s’amenuisent. Sauf celle qui procède de la référence assidue au symbolisme de la dix-septième lame du Tarot. Cependant, pour qui connaît les emblèmes de cette carte, et leur interprétation, le mystère d’Arcane 17 ne se dissipe pas. Il recule. Il était rébus, devinette, il se situe désormais à son juste étiage, celui de la poésie.

Le jeu de tarot fréquemment utilisé par les voyantes, relève de l’ésotérisme traditionnel. Ses lames comportent toutes une interprétation symbolique et initiatique. Certains interprètes y voient même représentées les opérations, tant matérielles que spirituelles, de l’alchimie traditionnelle, de l’Hermétisme.

On sait d’ailleurs, — puisque Breton se félicite dans ses dernières pages d’ajours d’avoir débrouillé ce qui lie ses poètes de prédilection à l’harmonie, à l’attraction sur lesquelles se fonde le socialisme de Charles Fourier auquel il avait dédié sa longue Ode de 1945, — quel intérêt l’auteur d’Arcane 17 porte à l’Hermétisme. Il lui rattache toute poésie authentique, fondée, comme la Haute Magie, sur l’analogie, ou ce que Baudelaire, à la suite de Swedenborg, nomma « Correspondances » (1).

Intituler le livre de l’espérance, Arcane 17, c’est dès d’abord prendre position en faveur de la magie qui — avec des réserves expresses quant à ses postulats idéalistes — va requérir de plus en plus l’attention de Breton, le faire se lier d’amitié avec René Alleau, auteur de Aspects de l’alchimie traditionnelle (Édition de Minuit, 1953) et le pousser à composer sa grande étude sur L’Art magique.

L’Arcane 17, c’est l’Étoile et son sens symbolique traditionnel est l’espérance.

Michel Beaujour – Postface à Arcane 17 (extrait), dans l’édition 10/18, 1971.
(1) On parlera plus volontiers aujourd’hui, à cet égard, de « synchronicité ». (NdlR / Arcadia)

Le Tarot de Marseille

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A signaler pour les véritables amoureux du Tarot de Marseille, la formidable exposition actuellement à Marseille, au musée de la Vieille Charité, dans le quartier du Panier. Outre les dessins originaux du Tarot d’André Breton avec les figures symboliques que l’on connaît, de Freud, Baudelaire, Masson, Max Ernst etc., et les attributs coupe, bâton, épée, denier remplacés par l’étoile, la roue, la serrure, la flamme ; on portera surtout notre attention sur la donation Camoin, dernier Maître Cartier de la ville phocéenne.

On découvrira autour de cette collection de bois gravés et de jeux de cartes unique en France et au monde, des premiers jeux datant de 1372 jusqu’à ceux, tout récent, d’Alessandro Jodorowski, une exposition exceptionnelle digne des plus grands musées, où l’on apprendra également à discerner toute l’évolution de la fabrication des cartes, de l’ébauche à la vente. Les matrices, les pochoirs, les emballages, les moules, les tampons, les presses, tout est là, préservé sous nos yeux, dans leurs «jus» comme disent les collectionneurs. Un voyage initiatique, son baluchon sur l’épaule, s’impose donc, dans le sud, pour les inconditionnels.

Un reproche toutefois, si l’aspect iconographique et historique est dignement traité, l’aspect divinatoire reste lui réduit à la portion congrue.

Absent totalement de l’exposition, c’est à la fois regrettable et très représentatif de l’époque dans laquelle nous vivons, écartelés que nous sommes entre un rationalisme psychorigide et un spiritualisme exacerbé.

Ici les commissaires de l’exposition ont choisi leur camp, on l’a bien compris.

Arcadia – la «LdT ».
Le Tarot de Marseille, la donation Camoin du 9 avril au 19 septembre 2004.
En illustration : Moule de Tarot, bois de poirier gravé, Nicolas Conver 1760.