PRÉSENCE DE FULCANELLI

Arcadia : Jean Artero, vous venez de publier aux éditions Arqa, un ouvrage consacré à une approche biographique de l’Adepte Fulcanelli. Pour quelle raison cet ouvrage ?

Jean Artero : Bonjour, permettez-moi d’abord de me réjouir d’être avec vous ce jour en Arcadie… et de vous remercier par conséquent pour votre aimable invitation.

Est-ce que « Présence de Fulcanelli » est pour l’essentiel consacré à une approche biographique de Fulcanelli ? Voici une première question redoutable, mais à laquelle je ne compte pas me dérober. Je dirais plutôt que je pose les termes d’une équation biographique, au travers d’un examen certes subjectif et donc partiel et partial des sources et des textes sur et de cet alchimiste des XIXème et XXème siècles.

Oui, il est pour moi parvenu à l’Adeptat, c’est-à-dire qu’il a reçu ce don, cette grâce que Dieu réserve à une petite minorité de ses serviteurs, et qui reste avant tout celui du savoir suprême, mis à son tour au service de la charité ou charis.

Mais dans ce petit essai à la fois inspiré et imparfait, je tente surtout de cerner les contours de la signification de son œuvre, de sa dimension, de sa hauteur et de sa profondeur, qui est celle de la transmission d’une tradition, celle de l’alchimie, science pérenne dont Fulcanelli est un témoin privilégié, « dévolu » par la communauté des Adeptes au siècle, ou si vous préférez au temporel.

C’est une des raisons principales pour lesquelles j’ai commis ce petit pensum, car j’ai considéré que cette dimension là a été jusqu’alors largement sous-estimée. Fulcanelli nous présente en fait une somme historique et méta-historique de « la perfection du Magistère » alchimique.

Arcadia : Dans « Présence de Fulcanelli » vous vous êtes attaché à décrire l’adepte Fulcanelli, comme un personnage en « creux », en dépouille, pour nous indiquer de façon magistrale ce qu’il n’est ou n’était pas, plutôt que de raconter une énième version biographique de l’Adepte. Tel un sculpteur muni de ciseaux et maillet, vous avez dépouillé la pierre brute, pour arriver ainsi à un cœur qui somme toute bat bien plus fort. C’est la première fois qu’un tel procédé est employé pour la description de Fulcanelli. Pouvez-vous nous parler de ce processus de création littéraire et comment il s’est imposé à vous ?

Jean Artero : Ce que vous dites est profondément vrai, j’ai cherché à décrire le cœur de l’opus fulcanellien, tout en présentant Fulcanelli pour ce qu’il est également, c’est-à-dire un individu actuellement vivant, en esprit au moins. L’auteur du Mystère des Cathédrales et des Demeures Philosophales entre autres, est, a été et reste une personnalité exceptionnelle, dont j’ai essayé de dépeindre la pensée, mais aussi le caractère et jusqu’au physique, sans oublier les relations prestigieuses qui furent les siennes quand il était encore parmi nous.

Entreprise presque impossible, à l’image de la philosophie alchimique, et dont le résultat final pourra paraître inachevé, mais je crois qu’il était important que cette petite pierre pratiquement insignifiante sur le sentier de la connaissance fût posée en ces temps particulièrement troublés. J’ai donc choisi de prendre appui sur les travaux de mes prédécesseurs étrangers et français, et par conséquents cosmopolites, pour tâcher de tangenter une certaine réalité, voire une surréalité dont l’existence est pour moi une certitude.

Il ne s’agit donc dans ce livre que de faire un petit pas de plus vers le monde du merveilleux, qui nous entoure, qui nous contient, qui nous inspire et qui a été je crois le vrai moteur de mon travail poétique, ou comme vous l’exprimez si bien de création, voire de recréation.

Arcadia : Dans le cadre de vos recherches que vous avez entamées il y a plus de quarante années, je suppose que vous avez du évoluer grandement dans la vision qui se silhouette derrière Fulcanelli ? Pouvez-vous nous parler de ce cheminement, et des différents personnages qui se sont diffractés dans votre analyse ?

Jean Artero : Entre nous, la question de savoir qui est vraiment Fulcanelli à l’état-civil ne m’a jamais véritablement tracassé. Si on voulait absolument aller contre la tradition alchimique de l’anonymat des Adeptes, et contre la volonté de Fulcanelli et de son disciple Canseliet, ou encore contre celle d’Alleau, il serait aisé en parcourant Présence de Fulcanelli de se faire une idée assez juste du cercle de ses intimes et de ses proches, la famille Lesseps, Dujols, France, Grasset… Mais tout cela n’est-il pas vanité pure ?

Ce qui m’a surtout importé, dans ma démarche, et ce qui au début m’a semblé le plus difficile, est plutôt de parvenir à pénétrer dans le monde du symbole alchimique, ce monde où « ce qui est en haut est comme ce qui est en bas », où l’image est souvent plus parlante que l’écrit, et où finalement la lettre rationnelle doit être vivifiée par l’intuition, par l’imagination de l’esprit. Pour devenir à même d’adopter cette approche intellectuelle mais aussi spirituelle, qui diffère tant du logos quotidien, quelques décennies ne sont pas de trop, et voici pourquoi en alchimie l’oratoire précède le laboratoire, même s’il l’accompagne et si le laboratoire reste dans une certaine mesure le prolongement indispensable de l’oratoire.

Arcadia : A travers cette approche biographique de Fulcanelli, l’Alchimie est constante est présente tout au long de votre livre, comme un fil rouge, conducteur. Vous n’avez jamais quitté ce double sentier qui harmonise parfaitement et amalgame, entre souffle et mercure, l’Œuvre et l’Homme-Fulcanelli. Pour vous, Jean Artero l’Alchimie, en tant que science hermétique et sacrée, est elle immuable et intangible depuis la nuit des temps, ou évolue-t-elle avec les siècles, les Adeptes et leurs perceptions propres ?

Jean Artero : Votre expression « entre souffle et mercure » me semble très originale et me plaît particulièrement. Le mercure des « philosophes » ou alchimistes, source initiale et principale de la médecine universelle – ou mère cure – doit être animé par l’alchimiste qui pour cela reste obligé de compter sur les destins, sur l’apparition de ce Ruach Elohim que cite Fulcanelli, de ce souffle de Dieu devant lequel chacun se doit de rester humble… Sans la corporification de cet esprit divin, sans l’apparition et la maîtrise de ce feu que la divinité a mis et insère toujours dans la matière, on ne peut qu’aller de déconvenue en catastrophe.

Voilà pourquoi cette science est bien, comme vous le dites, sacrée et immuable dans ses principes qui sont ceux des causes premières. Pour autant, la nature à la fois divine et naturante évolue dans l’espace-temps, et la pratique alchimique est tenue de prendre en compte les effets de ces évolutions. Au surplus, chaque Adepte, de Valentin à Philalèthe, de Cosmopolite à Fulcanelli, entre autres, voile, dévoile et revoile à sa manière propre cette science de toujours qu’est l’alchimie, cette impossible philosophie de la Création et de la Vie.

Arcadia : Dans votre chapitre « Fulcanelli et le cryptologue » vous mettez en exergue à quel point ces deux courants hermétiques de l’antique Tradition, Alchimie et Cryptographie se trouvent mêlés, pouvez-vous nous donner quelques pistes de réflexion sur ce sujet ô combien passionnant ?

Jean Artero : Mais bien sûr, et d’ailleurs nous venons de l’exprimer à nouveau grâce à vous, l’alchimie est une authentique science, qui « n’est obscure que parce qu’elle est cachée. »

Et elle n’est cachée que parce que nous avons affaire ici à un savoir aristocratique, dont l’accès est réservé à une certaine élite…et donc, pourquoi ne pas en convenir ouvertement, à un ésotérisme. Cet ésotérisme de l’alchimie me semble justifié par le fait qu’in fine il conduit les rares Adeptes qui parviennent à réussir le Grand œuvre à l’omniscience, voire à une omnipotence au moins relative. « Les initiés inconnus gouvernent seuls », a prononcé Fulcanelli dans le synopsis de son ultime ouvrage, actuellement non publié en totalité.

Il n’est donc pas surprenant que leur enseignement reste crypté, et donc inaccessible au plus grand nombre. Il est aisé de constater au demeurant que bien des alchimistes, comme Trithème, Vigenère ou Porta, ont aussi été des cryptologues… Quelques rares écrits alchimiques ont ainsi été purement et simplement chiffrés, même si la plupart sont codés, et ce code ou plutôt ces codes, similaires dans l’esprit à ceux des monumentales « demeures philosophales » fulcanelliennes, s’offrent à nous comme une première voie d’accès possible à cet Art sacerdotal et royal à la fois que constitue l’Alchimie d’hier, d’aujourd’hui et de toujours.

Interview de Jean Artero – La Lettre de Thot – Juillet 2008.

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