Et le bon pasteur M. Martin, heureux et plein d’allégresse, a rêvé l’autre nuit que,

suivi de tout son troupeau, il gravissait, en resplendissante procession,

au milieu des cierges allumés, d’un nuage d’encens qui embaumait

et des enfants de chœur qui chantaient Te Deum,

le chemin éclairé de la cité de Dieu.

Alphonse Daudet (en réalité Paul Arène) : Le curé de Cucugnan

Une longue suite d’évènements, s’empilant les uns sur les autres par la malice du Dieu Hasard, m’a conduit à entamer une longue et assidue correspondance avec Roger Corréard, puis à le rencontrer et à devenir son ami. Comme je ne crois guère au hasard, je dirais que nous étions destinés à nous trouver mutuellement. Amoureux de la Provence, passionné par de nombreuses énigmes historiques, je ne pouvais que me sentir attiré par le mystère de Théopolis, cette introuvable cité mystique, et entretenir des rapports amicaux avec son « archiviste autoproclamé. » Il me faut ajouter qu’un lien subtil s’établit entre nous, entre mes recherches et les siennes, entre ma région d’origine, les monts du Pilat dans la Loire, et la Haute-Provence natale de Roger Corréard. Ce lien, qui le poussa à me contacter, est l’énigmatique Chartreux Dom Polycarpe de la Rivière. Je lui ai consacré un ouvrage (1), après avoir écrit divers textes à son sujet dès le milieu des années quatre-vingt-dix. Prieur de la chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez (Loire), dont l’histoire me passionne depuis des lustres, puis de la chartreuse de Bonpas près d’Avignon, Dom Polycarpe serait venu user ses sandales vers la fin de sa vie sur les terres de Théopolis, disparaissant en Auvergne sur la route du Mont-Dore pour reparaître en Provence sur celle du Dromon, ce qui par la grâce des anagrammes phonétiques est exactement la même chose.

L’énigme de l’introuvable cité de Dieu a fait l’objet de nombreux textes dans le passé, mais l’époque contemporaine devait se contenter d’articles ou d’entrefilets parus ça et là, au mieux de chapitres de quelques ouvrages consacrés à la Provence mystérieuse. Il manquait un vrai livre analysant solidement l’ensemble des données. Les éditions Arqa ont heureusement pallié à ce manque en publiant d’abord en 2007 le magnifique travail de Myriam Philibert Théopolis, la Cité de Dieu, avec une préface de Georges A. D. Martin et un complément « Théopolis – le dossier » réalisé par Thierry E Garnier. Il faut noter que le hasard est décidément malicieux, puisque bien avant de croiser la route de Roger Corréard j’avais croisé celle de Myriam Philibert au début des années quatre-vingt, époque où elle s’intéressa à l’archéologie forézienne en publiant l’un de ses tous premiers écrits, une étude très pointue sur les sites mégalithiques de la Loire (2), qui fait toujours autorité. Son livre Théopolis, la Cité de Dieu forme lui aussi un ouvrage de référence, dédié à une énigme trop souvent déconsidérée, justement parce qu’aucun travail sérieux, de type universitaire, ne lui avait été consacré. C’est chose faite désormais, grâce à cet ouvrage qui avec brio établit des liens solides entre Théopolis, son fondateur Dardanus, la Gaule romaine du IVe siècle autour d’Arles et de ses fastes, la Rome chrétienne de l’après Constantin autour de saint Jérôme et saint Augustin, et qui in fine s’ouvre sur la perspective d’une Théopolis Jérusalem céleste.

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Aujourd’hui les éditions Arqa apportent un contrepoint à ce livre savant, œuvre d’une docte archéologue et préhistorienne, en publiant Théopolis, Gîte secret du Lion qui est le témoignage d’une quête vécue par Roger Corréard, un chercheur amateur certes, mais ce mot ne signifie-t-il pas d’abord : « qui a une prédilection pour une chose et qui s’y connaît » ? Après une carrière militaire où rien ne l’avait prédisposé à s’intéresser à l’histoire et à l’archéologie, il s’est pris de passion pour cette énigme centrée sur les terres de son enfance. Roger Corréard n’est pas un universitaire, pas même un modeste enseignant, c’est juste un honnête homme, un de ces « chercheurs parallèles » qui, comme l’assurait Jimmy Guieu, sont capables de percevoir des réalités passant inaperçues aux sens du commun des savants. Le geste impossible que fait la main de saint Clair, sur le tableau de Notre-Dame des Groseilles accroché en 1642 dans l’église de Saint-Geniez, n’indique-t-il pas que la clair-voyance – comme dirait Roger – est à la portée des plus humbles ? Tel ce saint Genis, autre personnage du tableau, qui fut évêque mais jamais saint, si ce n’est dans les croyances du bon peuple, et que le peintre Guitard Pingo a représenté avec une étrange oreille, comme pour montrer qu’il possède bien le don d’entendre ce que d’autres ne perçoivent pas.

Après avoir conté par quelle longue suite d’empilements du hasard il est venu à s’intéresser à Théopolis, Roger Corréard laisse avec humilité la plume aux auteurs savants des siècles précédents, et à leurs approches du mystère de la Cité de Dieu, non sans révéler à leur sujet quelques anecdotes croustillantes. Mais il finira par nous livrer sa propre analyse, dont le bon sens certain est le fruit de l’expérience indispensable d’un homme de terrain, doublée de celle d’un enfant du pays. Le tout dans son inénarrable et lyrique style d’écriture, qui sait cependant élargir son champ de pensée et donner à la Cité de Dieu la dimension enchantée d’un Gîte secret du Lion, ou jeter des passerelles, graciles mais tangibles, entre l’énigme de Théopolis et celle, beaucoup plus médiatisée, de Rennes-le-Château.

Roger Corréard est par ailleurs un aficionado du problème Ovni, certains ne manqueront pas de lui reprocher ce qu’ils considèrent comme une dérive. Qu’importe ! Le mystère de Théopolis est lié au mystère des Ovnis, qu’on le veuille ou non, quel que soit le regard que l’on peut porter sur ce phénomène de société. Saint-Geniez, le Dromon, la montagne du Trainon, comme beaucoup de « lieux magiques », sont régulièrement le siège d’énigmatiques manifestations aériennes, phénomènes naturels rationnels mais mal perçus pour les uns, incursions de visiteurs d’outre espace pour les autres. L’enquête sur la « boule de feu » du 18 mars 1972 se révèle comme l’un des fils conducteurs du livre de Roger Corréard, un filigrane qui réapparaît au fil des pages, en évoluant et progressant. L’évènement reste inexpliqué, mais il a amené l’auteur à rencontrer de nombreuses personnalités qui l’ont aidé dans sa quête. Toujours les empilements du Dieu Hasard… Roger Corréard a ainsi été conduit à cultiver une amitié certaine avec de nombreux ésotéristes ou spécialistes de l’étrange, comme Guy Tarade ou Jimmy Guieu, qui devait consacrer aux mystères de la Cité de Dieu, et à son Veilleur, l’une des cassettes vidéo qu’il réalisa dans les années quatre-vingt-dix (3).

Le chemin de la Cité de Dieu possède désormais deux guides, qui l’éclairent chacun d’une lumière différente : les deux livres que les éditions Arqa consacrent aux mystères de Théopolis. Oui, deux guides proposant deux cheminements, deux modes de pensée, deux cultures, totalement dissemblables et par là même totalement complémentaires. On pourra opposer le professionnalisme universitaire de Myriam Philibert à l’amateurisme exalté et émerveillé de Roger Corréard, mais chacun des deux auteurs, à sa manière, sait nous conduire sur ce chemin que Dardanus et son épouse Nevia Galla « ont donné au lieu nommé Théopolis », pour nous apporter, sur un coussin de soie mordorée, les clés des portes de la Cité merveilleuse.

Roger Corréard et moi avons-nous aussi suivi deux voies convergentes, nous sommes entrés chacun de notre côté dans le vortex théopolidien pour nous retrouver à mi-chemin, et suivant la trajectoire inverse du coruscant ovni du 18 mars 1972 nous nous rencontrons aujourd’hui régulièrement au pied des Alpilles, où Roger et son épouse Solange possèdent un modeste arpent de terre, dont ils ont fait une petite parcelle de Paradis terrestre. Théopolis m’a conduit à devenir l’hôte des Opies, montagnes pittoresques dont le nom doit se prononcer – si l’on ne veut pas passer pour un citadin ignare – « aoupi. » On y a vu une variante patoisante du nom « Alpilles », pour Roger il signifie bien autre chose, mais ceci est une autre histoire. Là, dans le frais cabanon caché sous les néfliers du Japon, nous partageons en une communion philosophique le pain et le vin de la Connaissance. Dans ce Jardin d’Eden perdu en Provence, Roger Corréard cultive avant tout le bonheur de vivre, et cela transparaît avec évidence dans son ouvrage.

Patrick Berlier – Arqa édition © Préface du livre de Roger Corréard, Théopolis – Gite secret du Lion, Arqa édition 2008.

Photo Roger Corréard – Patrick Berlier ©

Voir également les articles de Roger Corréard sur La Lettre de THOT en Juillet et Août 2003.

(1) Patrick Berlier, tome I de La Société Angélique, Arqa édition 2005.

(2) Myriam Philibert, « Le Mégalithisme dans la Loire », in Hommage au père Jean Granger, ouvrage collectif publié par l’association OPUS, Saint-Étienne 1983.

(3) Théopolis, la Cité oubliée, film de Jimmy Guieu et Olivier Sanguy, dans la série Les Portes du Futur, une production Dimension 7.