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IN MEMORIAM

 

« Nous étions partis dans la Résistance en sachant que peut-être nous allions mourir, mais le plus atroce était de mourir asphyxiés, impuissants devant une mise à mort que nous aurions accepté plus volontiers si elle avait été plus brutale, plus violente, plus héroïque. »

Le Train de la Mort -Témoignage recueilli par Christian Bernadac.

 

« Si l’écho de leurs voix s’éteint, nous périrons… »

Paul Eluard

 

 

* * *

 

 

Chapitre X (extrait).

 

Après la prison de Fresnes, Emmanuel Garnier est envoyé au Frontstalag 122, encore appelé camp de Royallieu, à Compiègne (Oise), qui est un campement de transit qui fut administré par les nazis jusqu’en août 1944. Emmanuel Garnier y séjournera, lui, jusqu’au 2 juillet 1944.

Ce même 2 juillet, un dimanche, sur le quai de la gare de Compiègne, une troupe de prisonniers hagards, en longue file, immobilisés deux par deux, s’observe et s’inquiète. Il est 6 heures 30 du matin, 2 162 prisonniers viennent de quitter le campement sous bonne escorte. Certains sifflent en sourdine « la Madelon »…

8-13.jpg Un train entré en gare, le 7909, va maintenant acheminer le plus important nombre de détenus jamais vu sur le site français, vers Dachau en Allemagne, un camp de concentration mis en place par le régime nazi en 1933. Ironie du désespoir, le mois dernier, le 6 juin 1944, l’opération Overlord était lancée par les Alliés, pour envahir la Normandie et créer une tête de pont inviolable en Europe. 156 000 soldats anglo-américains, et d’autres nationalités, débarquaient sur les plages de France, pour venir combattre sur l’ancien continent et abattre dans les dernières batailles sanglantes l’aigle nazi. Sur le quai avec ses camarades, un homme, un pêcheur sablais, Emmanuel Garnier, a la satisfaction modeste d’avoir contribué, à sa manière pour les raisons que l’on sait, à son niveau, à la longue chaine de transmission insoumise qui a permis ce débarquement de forces alliées.

Les détenus loqueteux, démoralisés, patientent maintenant sur le quai et, quand ils le peuvent, en toute discrétion s’interrogent fébrilement. – Où allons-nous ? – Vers quelle destination ? – La Résistance aura-t-elle le temps d’intervenir ? – De faire dérailler le convoi avant l’Allemagne ?

La tension est palpable et le désespoir laisse place parfois à la résignation. Au passage des prisonniers, un petit bouquet de fleurs fraîchement cueilli, jeté de la fenêtre d’une façade, atterri au sein de la colonne de détenus. Au loin, derrière les grilles, quelques français téméraires jettent un « – courage les gars ! » et de rares membres de familles isolés recherchent du regard un parent, un conjoint un frère ou un ami. Dans le fracas des sirènes hurlantes, des sifflements rauques, des aboiements de chiens de garde, des admonestations cruelles, les hommes résignés s’accrochent comme ils le peuvent, chacun à sa manière, à une dernière lueur d’espoir. Mais le convoi partira. Malgré le débarquement. Malgré la résistance.

En bordure du quai quelques chuchotis sont échangés, Emmanuel Garnier est alors approché en catimini par deux anciens amis en partance, eux aussi, pour les camps de la mort. Des connaissances sablaises, des hommes de confiance : le préfet de la Vendée Stéphane Moreau et le juge d’instruction René Lemoine qui connaissent bien Garnier pour l’avoir régulièrement côtoyé dans la Résistance ces dernières années. Ils ont pour l’heure du mal à reconnaître le marin pêcheur sablais, le visage tuméfié, déformé, la santé altérée fortement diminuée par les multiples tortures subies dans les prisons de Poitiers et de Fresnes, de sinistres mémoires. Ils invitent tous deux Emmanuel Garnier à venir les rejoindre dans leur wagon. Une fois de plus, et pour la troisième fois – ce sera la dernière – le destin qui a la possibilité à nouveau de sauver Emmanuel Garnier, après les deux propositions faites par les bureaux de Londres de le rapatrier en Westland Lysander, se manifeste. Les deux hommes Moreau et Lemoine feront, eux, partie des 1629 survivants qui seront enregistrés au camp de Dachau les 5 et 6 juillet 1944. Ils témoigneront en 1945, auprès de Louise Garnier, veuve d’Emmanuel Garnier, des dernières heures de celui-ci, juste avant l’embarquement de Compiègne.

Pour l’heure, sur le quai de la gare, Emmanuel a décidé de se rebeller et s’il le peut de s’évader. Il se rapproche d’un petit groupe de jeunes officiers mariniers qu’il connait bien et qui ont eux aussi des projets d’évasion. Mais le groupe est rapidement repéré par les nazis et ils seront enfermés dans le noir – à part – dans un wagon plus surveillé que les autres, le wagon numéro un, le seul wagon du convoi entièrement métallique, sans aucune possibilité d’évasion. À 9 heures 15, sous un soleil de plomb qui s’annonce de mort, le train numéro 7909 quitte à très faible allure la gare de Compiègne en direction de l’Allemagne. Il y a là trente-sept wagons de marchandises, dans vingt-cinq d’entre eux, les SS ont entassé quasiment une centaine d’hommes par wagon !

A 10 heures 05, le train passe à Soissons, à 11 heures 05 la Résistance française s’emploie, un premier sabotage de la voie sans conséquence l’amène à stopper à quelques kilomètres de Reims, puis repart sous un soleil fatidique à 14 heures 20. À 14 heures 35, le train entre en gare de Reims, les nazis comptabilisent les premiers décès de détenus, morts littéralement asphyxiés par la chaleur suffocante et le manque d’eau. À 15 heures 10, le train repart mais il est rapidement arrêté par un nouveau sabotage de la résistance. De ce fait, en absence de la locomotive qui git sur la voie, le train rebrousse chemin vers Reims grâce à une locomotive de remplacement. Le convoi empli de cadavres qui jonchent le sol des bétaillères restera-là, stationné en plein soleil jusqu’à 20 heures. Fernande Pierre interrogée à la Libération, en février 1945, déclarera : « J’ai porté secours à de nombreux trains de déportés. Je n’en ai vu aucun qui ait été un tel spectacle d’épouvante et d’horreur. Morts, mourants, et fous y étaient entassés… ».

Les détenus à bout souffle obtiennent des SS que l’on entrouvre, à peine, quelques portes pour respirer un peu. S’ensuivra encore deux longues épouvantables journées de trajet à petite vitesse, trajet au cours duquel les prisonniers devenus incontrôlables, mêlés parmi les cadavres en décomposition, agonisaient peu à peu. Lorsqu’ils ne se battaient pas entre eux, les prisonniers s’étranglaient mutuellement pour abréger leurs souffrances. Le train maudit arrivera le mercredi 5 juillet, à 15 heures, en gare de Dachau. « – Raus ! – Schnell !… ». Les cadavres empilés les uns sur les autres, parfois jusqu’à mi-hauteur des wagons, sont sortis sans ménagement puis transportés directement aux crématoires pour être brulés sans être seulement enregistrés.
« Ils nous ont enfermés là-dedans pour nous faire crever. Ils vont nous balader jusqu’à ce qu’on y passe tous. A Compiègne ils nous ont mis cent par wagon. Ici nous ne sommes que trois rescapés et dans les autres wagons ils sont peut être tous cuits. Ils l’ont fait exprès. Ils ont voulu qu’on se bagarre. Ils ont voulu qu’on manque d’air. Moi, je dis : ce train, c’est le train de la mort. Pas un de nous n’en échappera. Vous entendez : le train de la mort… ».

Ces paroles prononcées à l’agonie sont celles d’un compagnon d’infortune d’André Gonzalès resté anonyme, elles ont été consignées après la guerre, grâce au témoignage de celui-ci, qui sera le seul rescapé du wagon numéro un. Emmanuel Garnier partageait ce wagon plombé avec ses amis et est mort justement au côté d’André Gonzalès. Autant dire que ces paroles-ci auraient pu être les dernières paroles d’Emmanuel Garnier.

L’historien Christian Bernadac dans un livre poignant, « Le train de la mort » publié aux éditions France Empire, en 1970, a enquêté auprès des survivants de ce train, il a comptabilisé les rescapés, et a nommé la liste des disparus, il s’est interrogé aussi sur les responsables de ces forfaits barbares et a dressé une histoire parfaitement reconstituée, heure par heure, de ces quatre jours de juillet 1944, journées absolument innommables. Il s’agissait pour les allemands d’empêcher à tout prix, juste après le débarquement allié, que les prisonniers français ne viennent grossir inconsidérément les effectifs de la Résistance. Il était donc urgent, malgré le débarquement de juin 44, de continuer ces voyages hallucinants de cruauté vers les camps de concentration nazis.

C’est ainsi que 536 cadavres seront tirés du dernier convoi de déportés parti de France vers les camps de concentration, la température extérieure, en plein été, était de 34 degrés – ce qui laisse imaginer ce que pouvait être la température intérieure, dans ces wagons à bestiaux en lattes de bois et métal, presque hermétiquement clos, ou quasiment cent hommes pouvaient à peine se mouvoir, durant le trajet de Compiègne à Dachau, dans une odeur pestilentielle. Quatre jours sans boire – à part, pour certains, leurs propres urines – sans aucune commodité, dans un air vicié, où un gaz carbonique mortifère stagne dans la partie basse du wagon. De temps en temps les SS scrutent les bras décharnés des prisonniers qui sortent péniblement de quelques anfractuosités, entre les lattes de bois des wagons, les soldats SS tirent alors à la mitraillette sur les détenus pour faire entrer aussitôt les membres décharnés. La folie collective a gagné le train de la mort, les derniers arrivés à Dachau, n’ont d’humains que le nom…

Mais leurs bourreaux le sont-ils seulement ?

Thierry Emmanuel GARNIER – (extrait).


LIRE LA PRÉFACE de ROLAND MORNET

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Aux Éditions ARQA
// Publication du livre :

« Emmanuel GARNIER (1894-1944) – Soldat de la Grande Guerre – Héros de la Résistance » au mois de juin 2014.


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COMMANDE du LIVRE sur le site CATALOGUE

 


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Soldat de la Grande Guerre – Héros de la Résistance

Préface de Roland Mornet
(auteur de 100 ans d’Histoire du port
des Sables d’Olonne XIXe – XXe)

PREMIÈRE PARTIE – L’APPEL DE LA MER

I – 1199-1777 – Du nom de Garnier

II – 1789-1830 – La lignée rebelle.

III – 1830-1894 – Quand la mer se venge.

IV – 1894-1909 – Les années d’enfance.

V – 1914-1918 – La Grande Guerre.

VI – 1919 – Blocus dans l’Adriatique.

VII – 1919-1929 – Patron pêcheur, syndicaliste et sauveteur.

VIII – 1790-1939 – Le canot de sauvetage.

IX – 1935 – « L’affaire du Touille ».

X – 1929-1939 – Entre syndicalisme et humanisme.

CAHIER ICONOGRAPHIQUE – 120 documents, photographies et archives.

DEUXIÈME PARTIE – L’ANKOU – « Le passeur d’âmes ».

XI – 1939-1944 – Les années de Guerre.

XII – 1941 – Un sous-marin anglais, le « Tigris ».

XIII – 1942- La Résistance vendéenne – Le réseau « Manipule ».

XIV – 1943 – Mission « Westland Lysander ».

XV – 1944 – Le Hafenkapitän Harken.

XVI – 1944 – Une lettre manuscrite d’Emmanuel Garnier.

XVII – 1944 – Mort pour la France.

XVIII – 1945 – La Libération.

XIX – In Memoriam.

XX – Remerciements.

CHRONOLOGIE

Index Nominum

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