Seraient-ils mille fois plus honnêtes qu’on le suppose, les hommes de Vichy n’en resteront pas moins jusqu’au bout prisonnier de l’armistice, c’est-à-dire d’une effrayante humiliation nationale. On dira qu’ils l’ont crue nécessaire, qu’ils s’y sont eux-mêmes sacrifiés. En ce cas ils auraient dû poursuivre le sacrifice, consommer l’humiliation, en assumer toute la honte au lieu de tenter d’y associer le pays, les vivants et les morts. L’absurde était de prétendre fonder l’union nationale sur la déroute et la popularité du maréchal Pétain sur le sentiment inavouable qui a été en 1940 –hélas !- celui d’un grand nombre de Français et qu’on pourrait exprimer ainsi : « C’est embêtant d’être battu, mais la guerre est finie. Ouf ! »


Georges Bernanos (1888 – 1948)

Volées par les nazis en 1940, puis récupérées par les soviétiques au moment de la défaite allemande, les archives de la franc-maçonnerie française, du XVIIIe siècle à la débâcle, viennent d’être retrouvées en Russie et rapatriées en France. C’est ce que nous raconte deux journalistes de Sciences et Avenir (1) qui, aux premières loges, assistèrent aux ouvertures des cartons d’archives, rue Cadet à Paris… Une épopée époustouflante sur les traces de l’historienne américaine Patricia Kennedy Grimsted qui la première, en 1992, mis la main sur ces documents d’une importance capitale, tant par l’ampleur que par la teneur.

De Benjamin Franklin à Voltaire, une mine de renseignements inédits, qu’il faudra des années à dépouiller et à analyser, des pans entiers et inconnus de l’histoire de la maçonnerie à Paris et en province, avant et après la Révolution, à découvrir et à redécouvrir.

Ce retour vers la mémoire (2) laisse augurer cependant bien des surprises, on peut le penser, tant les années noires furent bien scélérates pour les uns, endeuillées pour les autres…

« François Branier se faisait une tout autre idée d’une arrestation par la Gestapo : menottes, coups, ordres impérieux… Pourquoi cette politesse presque affectée, ce respect incompréhensible ? Ce qu’il croyait entrevoir lui tordait le ventre d’angoisse. Au moment de monter dans la Mercedes noire, le Vénérable leva la tête. Au troisième étage de l’immeuble en face, une fenêtre faiblement éclairée. Dans le coin gauche, un visage d’homme, derrière le rideau soulevé. Surpris par le regard de François Branier, le guetteur baissa brusquement le rideau, éteignit la lumière. Branier s’adressa au policier allemand qui, comme lui, avait observé la scène. Rien ne lui échappait.

-C’est celui-là qui m’a donné ?

-Exact .

-Qui est-ce ?

-Je ne sais pas, mentit l’Allemand, presque amusé. Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’il est franc-maçon. Il vous a rencontré dans une autre loge. Il nous a permis de retrouver votre trace. Montez.

Quand la voiture démarra, le Vénérable sut qu’il boirait le calice jusqu’à la lie. » (3)

G. d’A. – Arcadia, Mars 2003.

(1) Voir : http://permanent.sciencesetavenir.com
Sciences et Avenir, numéro 672, février 2003, les articles très complets de Bernadette Arnaud et Patrick Jean-Baptiste, on regrettera cependant quelques légendes hâtives.

(2) Voir aussi, De l’ombre à la lumière. Les archives françaises de retour de Moscou, Sophie Cœuré, Dominique Monier, parution en 2003. (Source S&A) Inventaire des fonds russes consultables sur :
http://www.archivesnationales.culture.gouv.fr/cac/

(3) Christian Jacq, Le moine et le vénérable, Robert Laffont ed. 1985.
(Photo FNDIR) Illustration en exergue :

La signature de l’armistice à Rethondes.