L’idée que Judas ait joué un rôle majeur sur le plan initiatique était déjà connue et commentée par les exégètes. Voilà maintenant cette idée toute métaphysique, rattrapée au vol par une vérité scientifique et paléographique incontestable.

Or, indépendamment de tout contexte religieux ou dogmatique il semble intéressant de se poser la question :
– La véritable personnalité de Judas est-elle bien celle que l’église catholique a voulu nous tracer ?
Surtout à une heure où la remise en cause du christianisme historique et primitif a le vent en poupe et où il semble bien que cette renaissance programmée sonne une vingt-cinquième heure rougie aux feux des forges millénaristes.
Cette résurrection de Judas – tout comme celle de Marie-Madeleine récemment (voir la LdThot No 31 & 32) – nous montre en tout cas une voie à suivre dans l’infra, pour le profane comme pour l’initié, une trace souterraine parsemée d’embûches et de chausse-trappes, mais si vivifiante parfois qu’elle en demeure à son terme une oasis vivante de mille palmiers étoilés.

A nous d’en tenir compte et de savoir apprécier, au-delà des préjugés saumâtres, ces fanaux dans la nuit.

Arcadia – La LdT – Mai 2006

L’Evangile de Judas

Après avoir disparu pendant près de 1.700 ans, la seule copie connue de l’Evangile de Judas, rendue publique jeudi, révèle les relations de celui-ci avec Jésus sous un jour différent du traître l’ayant vendu aux Romains.

Le manuscrit de 25 pages en papyrus, écrit en copte dialectal, révélé par la revue américaine the National Geographic, a été authentifié comme datant du 3e ou 4e siècle. C’est une copie d’une version plus ancienne rédigée en grec.

Contrairement à la version des quatre Evangiles officiels, ce texte indique que Judas était un initié ayant trahi Jésus à la demande de ce dernier pour assurer la rédemption de l’humanité.

Le passage clé du document est attribué à Jésus disant à Judas : « Tu les surpasseras tous. Tu sacrifieras l’homme qui m’a revêtu ».

Selon les exégètes, cette phrase signifie que Judas contribuera à libérer l’esprit de Jésus en l’aidant à se débarrasser de son enveloppe charnelle.

« Cette découverte spectaculaire d’un texte ancien, non-biblique, considéré par certains experts comme l’un des plus importants mis au jour depuis les 60 dernières années, étend notre connaissance de l’Histoire et des différentes opinions théologiques du début de l’ère chrétienne », a souligné Terry Garcia, un des responsables de la revue américaine.

L’existence de l’Evangile de Judas avait été attestée par le premier évêque de Lyon, la capitale des Gaules (France), Saint-Irénée, qui l’avait dénoncé dans un texte contre les hérésies vers le milieu du IIe siècle.

« La découverte étonnante de l’Evangile de Judas comme de ceux de Marie-Madeleine et de nombreux autres de ces documents dissimulés pendant près de 2.000 ans bouleverse notre compréhension de l’aube du christianisme », a estimé Elaine Pagels, professeur de religion à l’université de Princeton et l’une des grandes spécialistes mondiales des évangiles gnostiques.

« Ces découvertes font voler en éclat le mythe d’une religion monolithique et montrent combien le mouvement chrétien était réellement divers et fascinant à ses débuts », a-t-elle ajouté.

Le document bordé de cuir a été découvert dans les années 70 dans le désert égyptien près de El Minya.

Il a ensuite circulé parmi les courtiers en antiquités pour se retrouver d’abord en Europe puis aux Etats-Unis où il est resté dans un coffre d’une banque à Long Island (New York) pendant 16 ans avant d’être racheté en 2000 par l’antiquaire suisse Frieda Nussberger-Tchacos.

Inquiet de la détérioration du manuscrit, l’antiquaire l’a confié à la fondation suisse Maecenas en février 2001 afin de le préserver et de le traduire.

Après avoir restauré le document, le travail d’analyse et de traduction a été confié à une équipe de coptologues dirigée par le professeur Rudolf Kasser, un retraité de l’Université de Genève.

Celui-ci a dit ne jamais avoir vu un manuscrit en aussi mauvais état. Des pages étaient manquantes, le haut des pages où figuraient les numéros s’était brisé et il y avait près d’un millier de fragments.

Pour reconstituer « le puzzle le plus complexe jamais créé par l’Histoire », le professeur Kasser a été épaulé dans sa tâche par le conservateur du papyrus, Florence Darbre, et l’expert en copte dialectal Gregor Wurst de l’université d’Augsburg (Allemagne).

Le document, appelé « Codex de Tchacos », sera remis à l’Egypte et conservé au musée copte du Caire.

Le National Geographic y consacre un long article dans son numéro de mai et ouvrira une exposition le 7 avril à son siège à Washington où le public pourra voir des pages du manuscrit.

La revue, en collaboration avec la fondation Maecenas, présentera aussi aux Etats-Unis un documentaire de deux heures sur sa chaîne de télévision cablée le dimanche 9 avril.

Le manuscrit a été traduit en anglais, allemand et français et fait aussi l’objet de deux ouvrages.

Judas Traître ou Initié

Parlant des évangiles, Celse, vers 180, écrit dans le Discours vrai :

« La vérité est que tous ces prétendus faits ne sont que des mythes que vous-mêmes avez forgés sans seulement parvenir à donner à vos mensonges une teinte de vraisemblance, bien qu’il soit de notoriété que plusieurs parmi vous, semblables à des gens pris de vin qui portent la main sur eux-mêmes, ont remanié à leur guise, trois ou quatre fois et plus encore, le texte primitif des évangiles, afin de réfuter ce qu’on objecte. » (C. Celse, 11.27)

Moins suspect d’hérésie que Celse, Saint-Irénée (vers 140 – 2o2/203) est connu surtout comme adversaire des gnostiques. Il adjure les copistes de faire attention à ce qu’ils transcrivent (H. E., V. 20.2). Il se plaint de ceux qui, dans la traduction d’un texte, s’estimant plus habiles que les apôtres, ne craignent pas de les corriger (Adv. omn. haer., V, 2.3).

Mais c’est surtout saint Jérôme au IVe siècle qui se plaint des malversations que les textes ont subi. Chargé par le pape Damase d’établir sur le texte grec une version latine correcte, saint Jérôme signale comme première pierre d’achoppement à l’établissement du texte primitif la pratique des harmonisations :

« … bien des erreurs se sont glissées dans nos manuscrits. Sur le même sujet, un évangile est plus long, l’autre, jugé trop court, a subi des additions. Ou bien encore, quand le sens est le même, mais différente l’expression, telle personne, lisant d’abord l’un des quatre évangiles, a jugé bon de corriger tous les autres d’après celui-ci. Il en résulte que chez nous tout est mélangé; qu ‘il y a chez Marc bien du Luc et du Matthieu; chez Matthieu bien du Luc et du Jean et ainsi de suite (Praef. in quarto E., P. L., XXIX, 526-527).

L’harmonisation des textes devait tenir compte de données difficiles à concilier comme la théologie des judéo-chrétiens avec celle des pauliniens; cela n’a pas effacé les traces des rivalités entre Pierre et Paul ni les contradictions. L’Apôtre écrit que l’évangélisation des incirconcis est confiée à Paul et celle des circoncis à Pierre par les notables de Jérusalem (Gai. 27-9).

D’après les Actes Dieu a choisi Pierre pour que la Bonne Nouvelle soit annoncée aux païens (Ac 15.7) etc.

La tentative de concordance des textes devait surmonter une autre difficulté.

L’incompréhension de l’entourage de Jésus, l’abandon et la fuite des apôtres, la passion et la mort de Jésus, le Vivant par excellence, rien n’annonçait la gloire inopinée du Ressuscité. Comment ménager la transition? Un texte important, le livre d’Isaïe, vint au secours des rédacteurs évangéliques. Les poèmes d’Isaïe célèbrent le passé douloureux et l’avenir glorieux d’Israël sous la figure du Serviteur de Yahvé. La captivité d’Israël et les tribulations qui en résultent sont un juste châtiment de Yahvé contre les fautes de son peuple. Mais Yahvé n’oublie pas sa promesse : Je suis ton Dieu et tu es mon peuple. Il châtiera les oppresseurs idolâtres, détruira Babylone, édifiera une Jérusalem éternelle et le peuple élu régnera sur les nations et connaîtra une jubilation sans fin. Le Serviteur de Yahvé assume les maladies et les souffrances de son peuple, il est transpercé par les iniquités des siens, broyé par leurs péchés et il donne sa vie en rançon avant d’être merveilleusement glorifié.

Les esséniens ont vu dans le Serviteur de Yahvé la figure et l’annonce prophétiques du Maître de Justice. Un siècle plus tard, les chrétiens à leur tour y verront la figure et l’annonce prophétiques de Jésus de Nazareth. Paul montre dans ses écrits comment Jésus, en venant réaliser les prophéties, se substitue dans son sacrifice au Serviteur de Yahvé : II a été livré à cause de nos fautes (Rm 4.25), correspond à Isaïe (53.12) : Dieu l’a livré pour nous tous. Romains (8.22) se rapporte à Isaïe (53.6) etc.

En définitive, pour que se réalisent les prophéties messianiques, le peuple élu ne fit que changer de maître. Renan l’avait déjà signalé : Le christianisme, écrivait-il, c’est le second Isaïe, ressuscitant à six cents ans d’intervalle…, il est de beaucoup le livre qui a le plus fourni au christianisme. Il a passé presque tout entier dans la prédication et la liturgie de l’Église (Histoire du peuple d’Israël, œuvres complet. VI, p. 1038).

Quant à l’imminence du jugement dernier, elle trouve son inspiration et sa justification dans les livres de Daniel et d’Hénoch. Jésus fut identifié au Fils de l’Homme qui devait venir sur les nuées du ciel pour juger les vivants et les morts. Les juifs continuèrent à refuser de voir en Jésus de Nazareth le Messie attendu. C’est pourquoi le judaïsme fut livré à l’encan par les chrétiens. Après les esséniens, ils crurent qu’ils représentaient la Nouvelle Alliance. La rupture avec le judaïsme s’accompagna d’une appropriation de l’Ancien Testament et d’une réinterprétation en fonction du Ressuscité qui marquait le début de la réalisation des prophéties, d’où les additions et les remaniements multiples qu’ont eu à subir les textes évangéliques. Dans son ouvrage La Genèse des Dogmes chrétiens, Louis Rougier écrit : jusqu’à la fixation du Canon du Nouveau Testament dans le dernier quart du ne siècle, les textes ont été exposés à des multiples périls : étourderies des copistes, malice des hérétiques, zèle pieux des orthodoxes, remaniements des harmonisateurs, interprétation des exégètes. Au fur et à mesure que les croyances évoluaient, les mêmes mots, les mêmes expressions changeaient de sens. Une accumulation de couches rédactionnelles venait grossir et amplifier des recueils de paroles ou de récits à l’origine très rudimentaires. Les rédacteurs travaillaient de seconde main (p. 252). Luc n’a pas procédé autrement; il l’écrit lui-même : (1.1-3) Puisque beaucoup ont entrepris de composer un récit des événements qui se sont accomplis parmi nous, tels que nous les ont transmis ceux qui figurent dès le début, témoins oculaires et serviteurs de la Parole, j’ai décidé, moi aussi, après m’être informé soigneusement de tout depuis les origines, d’en écrire pour toi l’exposé suivi, illustre Théophile.

(à suivre…)

Emile GillabertJudas Traître ou Initié (extrait) – © Dervy ed. 1989