FRÈRE DE LA ROSE-CROIX

Kiesewetter descendant du dernier imperator de la Société de la Rose-Croix dans un de ses articles écrit : « Des papiers de mon arrière grand-père il résulte […] que les derniers véritables Rose-Croix se renfermèrent dans une paix contemplative, vivant dans une théosophie chrétienne enthousiaste. Il parait que l’intrusion d’éléments illuminés et maçonniques avait disjoint la veille structure de l’Ordre ; c’est pourquoi, à ce qu’apprend encore un mémorandum de mon bisaïeul, il fut décidé en 1792 de relever les frères du serment (Juramenti et Silenti) et d’annuler la bibliothèque et les archives. »

Comme il vient d’être signaler ; avec la Rose-Croix d’Or, ses neuf grades et sa tendance néo-maçonnique nous sommes devant une dégénérescence annonçant la dissolution du courant hermétique dû au matérialisme du siècle des Lumières. Le courant originel se définissait par l’enseignement de maître à disciple, et le statut de Rose-Croix n’était obtenu que par la connaissance du modus operandi, et l’obtention de la pierre philosophale. Le Comte de Chazal peu connu en France, et rendu fameux dans le monde anglo-saxon par deux ouvrages de A. E. Waite sur l’histoire des mouvements rosicruciens, fut sans aucun doute membre d’une des dernières filiations issue de ce courant originel. J’espère que bientôt sera révélé une partie des documents et correspondance du Comte de Chazal actuellement détenue dans des archives privées, clarifiant ainsi l’histoire de cette filiation française.

Le fameux alchimiste Fulcanelli dans une note de son livre Les Demeures philosophales désigne le comte de Chazal comme adepte c’est-à-dire possesseur de la pierre philosophale, ainsi que l’initiateur du docteur Sigismund Bacstrom.

Fulcanelli semble avoir eu moins d’informations que le génial écrivain surréaliste Malcom de Chazal, descendant de l’adepte, qui nous livre une partie de ses recherches sur son ancêtre dans son admirable livre Pétrusmok, même si les assertions de Guénon sur une filiation avec le comte de Saint-Germain sont sans fondement. La plupart des documents que nous ayons sur le comte de Chazal nous vient à l’origine de son disciple ; docteur, naturaliste, voyageur, peintre et alchimiste, Sigismund Bacstrom, dont la biographie n’a pas encore été faite et dont la vie est fort mal connue, alors qu’il fut un des alchimistes les plus actifs de son époque et sans doute un des traducteurs du XVIIIe siècle de textes alchimiques en langue anglaises les plus prolifique.

Malgré certaines inexactitudes au niveau des dates, et l’usage du nom de Louis de Chazal ou de Chazel qui semble être des erreurs des copistes ou peut être un des moyens de détourner l’attention du vrai de Chazal, les copies des documents de Bacstrom ont leur validité. Comme le grand Fulcanelli, il semble que « l’état d’adeptat » rende insaisissable historiquement, le biographique. A lire absolument sur ce sujet le savant ouvrage de Jean Artero Présence de Fulcanelli.

C’est Frederick Hockley occultiste et propriétaire d’une bibliothèque riche de nombreux et rares manuscrits et livres qui fit l’acquisition de l’original du texte d’admission de Bacstrom dans la société de la Rose-Croix ; nous trouvons à cet égard une entrée dans la List of books chiefly from the library of the late Frederick Hockley (1887); 1833 Journal d’un Philosophe rosicrusien … [comme 1829], [et] Copie d’Admission du Dr. Bacstrom dans la Société de la Rose Croix par le Comte de Chazal en l’île Maurice 1794.

Dans une lettre du 12 août 1874 à son ami Irwin, il écrit posséder aussi le manuscrit Anecdotes sur le Comte de Chazal FRC. Ces documents originaux malheureusement furent détruits à la fin du XIXe siècle lors d’un incendie au siége de la société Théosophique, il nous reste cependant des copies.

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Le docteur Bacstrom nous narre dans le manuscrit « Anecdotes sur le Comte de Chazal FRC » les circonstances de sa rencontre avec le comte. C’est par l’intermédiaire du docteur Philippe Petit-Radel, chirurgien français auteur célèbre de l’époque, fuyant la révolution, né à Paris en 1749, mort en 1815, qu’il est présenté en 1793 à l’île Maurice à François de Chazal de la Genesté (25 août 1731 à Montbrison – décédé à Montagne longue le 13 octobre 1795).

Après avoir conversé de nombreuses fois de la théorie du Grand Œuvre, au vu des connaissances en hermétisme de Bacstrom le comte l’initie, et le reçoit dans la société de la Rose-Croix le 12 septembre 1794 et lui signifie que lui-même fut reçut à Paris. François de Chazal démontre son statut d’adepte à Bacstrom en faisant dans son laboratoire démonstration de son pouvoir de transmutation ; il produit d’abord 30 carats d’un or excessivement cassant, vingt-quatre carats d’un or encore plus resplendissant et ductile, de l’or d’une couleur encore plus radieuse quelque peu plus lourd que le dernier. Dans une lettre datée du 16 mars 1804 à son disciple Alexander Tilloch, Bacstrom révèle que la bibliothèque de Chazal comprenait plus d’un millier de volumes, en toutes les langues et l’adepte possédait aussi un laboratoire et un ensemble d’appareils, comportant des instruments d’astronomie et de mathématiques.

Dans un ouvrage édité par la famille de Chazal comprenant la correspondance des principaux membres de cette famille, se trouvent les instructions de la veuve de Régis de Chazal à ses enfants, le 15 mars 1787 elle leur précise le commandement de ne pas oublier les livres, les nouvelles, et tout ce qui sera curieux et extraordinaire dans les nouvelles découvertes de science, chimie, magnétisme etc. pour leur oncle François. Dans une autre lettre il souscrit à la commande d’une série d’ouvrages de l’alchimiste et cartomancien Aliette, mais aussi il recherche des récits de voyages, des livres de naturalisme, de botanique, de minéralogie… A ces lectures, on ressent un homme curieux de tout, universel dans sa quête de savoir, utilisant sa connaissance au profit de la communauté, il introduit d’ailleurs des plantes utiles dans son île, et fait évoluer l’agriculture. Bacstrom nous confirme qu’il gardait les traces de ses expériences magiques et des soins qu’il avait réalisés au moyen du magnétisme animal, de l’électricité, du galvanisme, …toutes choses qui furent confirmées par les gens les plus respectables de l’île. Il fut admis au Conseil supérieur de l’île de France, Maire et Electeur de Port Louis. En 1772 il est second conseiller.

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Colonne Liénard

En 1789 il reçoit du roi un brevet de conseiller honoraire. Son nom est inscrit sur la colonne élevée par M.Lienard au Jardin de Pamplemousse, comme un bienfaiteur de la colonie. Bacstrom lui prête le pouvoir d’observer les événements à distance (avec l’œil de l’esprit), le Comte tenait dans un journal le compte-rendu de tout ce qui se passait à Paris au moment de la Révolution française, même si toute communication physique était interrompue entre Maurice et la France à cette époque. On dit qu’il a éduqué une centaine d’orphelines et qu’il les a dotées d’une somme d’un million de piastres, et ses autres actes charitables moins visibles étaient aussi nombreux. La correspondance de sa famille montre un parent aimant, généreux et protecteur. Il n’utilise pas sa position pour s’enrichir au détriment de la communauté, Adrien d’Epinay dans son ouvrage « Renseignements pour servir à l’histoire de l’île de France (1890) » dit en parlant de François de Chazal ; « Monsieur de Chazal est un des rares conseillers qui se soit maintenu en dehors des coteries financières de son époque. Il laisse aux archives coloniales le nom le plus pur. » Il semble suivre l’idéal des anciens Rose-Croix d’aider les plus vulnérables, notifié dans les règles transcrites dans le certificat d’admission de l’ordre ; « je consacrerai une part importante de ma fortune (obtenu par le grand œuvre) à des œuvres charitables privées, à des personnes âgées et dans le besoin, aux enfants et par-dessus tout à tous ceux qui aiment Dieu et agissent honnêtement. »

Cet homme était sans doute un des derniers Frère de la Rose-Croix, le XVIIIe siècle ayant vu s’occulter les dernières filiations vraies de cet ordre. François de Chazal n’était pas un « aventurier » à la manière d’un Saint-Germain ou d’un Cagliostro, mais un homme sincère et honnête cherchant humblement les secrets de la nature, cherchant un chemin vers Dieu, utilisant son savoir pour faire évoluer la société, sauvant son prochain des écueils du destin.

Puissions nous avoir la chance, que des hommes comme lui viennent éclairer les générations futures.

Au-dessus du titre : sceau philosophique de la société des rosicruciens tiré de la Copie d’admission du docteur Bacstrom dans la Société de la Rose-Croix – The real history of the Rosicrucians par A. E. Waite (London: George Redway, 1887)

FGR © Article inédit pour la LdT – juillet 2008

Remerciements à monsieur Tristan de Chazal pour la permission d’utiliser ses armoiries familiales.