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Entretien avec Georges COURTS // Suite à la sortie de son nouveau livre, l’auteur du Tome Un du Grand Manuscrit d’Alger, a bien voulu répondre à nos questions ce mois-ci pour le numéro 12 des Chroniques de Mars. Comme toujours avec Georges COURTS la « langue de bois » est volontiers laissée au vestiaire et c’est sans animosité aucune mais avec un certain piquant, non dénué d’humour, que l’auteur érudit, un des très rares spécialistes du Martinésisme opératif en France, a bien voulu nous livrer ses impressions du moment et répondre très volontiers à nos questions en toute liberté de ton.

Les Chroniques de Mars © – septembre 2013.

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Les Chroniques de Mars // Georges Courts, après quatre années pleines de rédaction ininterrompues, voici maintenant achevé le Tome 2, du Grand Manuscrit d’Alger ! Encore plus important que le premier volume, il est augmenté de 72 pages, ce qui en fait un volume vraiment imposant ! C’est un travail de recherches absolument énorme sur le corpus martinésiste qui commence à prendre forme ainsi grâce à vous… ! Mais avant de vous interroger sur ce tome second, un petit retour en arrière s’impose – Le Tome 1 du Grand Manuscrit d’Alger, publié au mois d’août 2009, fut d’une manière générale remarquablement bien accueilli, compte tenu de la qualité de recherches qu’il proposait et les différentes pistes novatrices qui étaient largement explorées, notamment sur Martinés de Pasqually, les sources du Martinisme, bien entendu la transcription du document et bien sûr votre magnifique découverte relative au scripteur lui-même du Manuscrit d’Alger, je veux parler de Pierre-André de Grainville ! Une telle débauche d’énergie associée à des recherches menées depuis plus de quarante années pour arriver à ce premier Tome aurait dû faire consensus dans le milieu martiniste ? Ce ne fut cependant pas le cas pour quelques uns et les reproches faits furent des attaques ad hominem, mais strictement rien sur le livre et sur la qualité du travail réalisé – Pourquoi un tel acharnement ? On voit bien avec le temps que votre livre est maintenant devenu incontournable ?

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Georges COURTS //
Pour ma part, je considère qu’un martiniste est guidé par la Providence, une Providence qui le mène à la finalité de ses projets : les épreuves sont là pour être surmontées, sans qu’elles soient voulues par les Maîtres du Passé, ou même par Dieu comme certains mécréants martinistes, qui n’ont rien compris, me le souhaitaient méchamment. Le domaine initiatique, où règnent aussi la contre-initiation et les ténèbres s’alliant aux visées personnelles, est parfois pire que le domaine profane. S’il fallait prêter l’oreille à ces commérages d’arrière-cour, j’étais prétendument « perdu spirituellement », couvert comme au temps de Papus par toutes sortes d’imprécations et de vociférations…

8-10.jpg Et l’adage « Aide-toi, le Ciel t’aidera » n’est pas pour ces gens-là, qui pervertissent la Vérité, transformant leur Ordre en secte, qui sont de la tribu des Caïns et qui infectent le domaine du Porche et du Temple. J’ajouterai aussi de la « porcherie » pour parodier l’un de mes comiques contradicteurs qui utilise aussi ce terme à mon égard et qui n’aime pas mes critiques, légitimes pourtant, sur Saint-Martin ou Robert Amadou, seuls détenteurs de la « Vérité ». Il faut savoir aussi faire la part des choses… Malgré les anathèmes saugrenus entretenus surtout par la mesquinerie jalouse de ceux qui profèrent de telles imbécillités, j’ai eu l’audace de faire front et de contester des opinions parfaitement contestables, dignes de Clochemerle. Mais je ne m’étendrai pas sur la question aujourd’hui. J’ai donc poursuivi patiemment le travail engagé sur le chemin de la recherche et de cette publication, très importante pour moi, mais aussi pour mes lecteurs, sans me préoccuper des aboyeurs spirituels, restant fidèle à mes engagements tout en prolongeant cette œuvre.

Ce qui nous amène ce jour à ce tome deuxième, et à une nouvelle étape franchie qui ne pourra que ravir les vrais chercheurs, ceux qui ne se soucient guère de ces querelles de clochers par quelques pervertis sectaires. Mais dans le fond, dites-moi où est le chemin nouveau qui ne passe pas sans les oppositions convenues des troglodytes ésotériques, des contradicteurs patentés, des idiots inutiles, lesquels sont totalement inaptes à faire œuvre nécessaire dans la réalité quotidienne après avoir fait de beaux discours sur la spiritualité religieuse et les valeurs qu’ils sont incapables de respecter, mais qu’ils désirent voir appliquer chez les autres, sous condition de soumission ? Je n’en dirais pas plus – pour l’instant.

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Les Chroniques de Mars //
Une des spécificités les plus importantes de votre discours – et ce depuis très longtemps – est de bien savoir déconnecter Saint-Martin de Martinès, « le Martinisme » du « Martinésisme », or finalement on s’aperçoit que l’homophonie des termes employés n’a fait en réalité qu’accroître au fil du temps la confusion et que sous le vocable bien commode de « martinisme » se retrouvent souvent des éléments très hétérogènes. Les apprentis cherchants n’ayant pas, comme vous le soulignez fréquemment, la possibilité de discerner justement ce paradoxe, voire même cette contradiction philosophique. Le Tome second est entièrement consacré à l’opérativité du Grand Manuscrit, et aux relations spéculations-opérations qu’il engendre naturellement ? Pouvez-vous aborder un peu ce sujet pour les lecteurs des Chroniques de Mars ? Nous parler de ce second volet, quelle en est sa spécificité ?


Georges COURTS //
Le second tome a pour sous-tire « Commençons à opérer ». Pendant des années, j’ai été martiniste et je comprends mal aujourdhui pourquoi avoir travaillé au début sur les lames du Tarot pendant deux ans à raison d’une réunion par mois, alors qu’une organisation comme le Bota, par exemple mais on pourrait en citer d’autres, fait un travail plus intense en trois mois de cours bien solides. A l’époque, Martinès a été donc pour moi un parfait inconnu, alors que le rituel parlait des Maîtres Passés, mais qu’en fait ces rituels n’étaient pas étudiés, restant aux mains des seuls Supérieurs Inconnus Initiateurs. Mais gare si vous êtes initié : les forces fatales vont se ruer sur vous, selon le rituel de Papus et l’univers se trouve être rempli d’incubes et succubes du bas astral… Fort peu ragoûtant n’est-ce pas ?

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Avec Rémi Boyer et les groupes étudiant vraiment Martinès enfin cet univers glauque a été dissipé pour du réel pratique et de la compétence. Une opération demande des heures de travail préparatoire. Je comprends alors qu’il est plus façile de faire de la spiritualité de salon et de discuter pour ne rien dire sur Saint-Martin. Saint-Martin, dans sa vision mortelle du monde des humains et de la nature, n’est guère inspirant. A la fin de sa vie, il s’exclut et exclut d’ailleurs tous les groupes qu’ils soient martinistes ou autres, puisqu’il suffit de prier Dieu et de fuir la société des hommes. J’en ai abondamment parlé dans le Tome 1, ce qui n’a pas fait vraiment plaisir à ceux qui se rangent sous la bannière d’Amadou et de Louis-Claude de Saint Martin ou d’une quelconque église pseudo catholique.

7-12.jpg L’opérativité donne un tour de main et les rituels de Martinès, qui ont été volontairement censurés, pour ne pas détruire un échafaudage un peu bancal des neo cohens (sic), sont d’une richesse exceptionnelle. C’est de la Maçonnerie, j’oserai dire : de la bonne Maçonnerie bien pensée, qui permet le travail collectif et surtout le travail individuel, validé d’ailleurs par un Frère plus avancé qui ne se targue pas ad vitam aeternam d’être Supérieur et Inconnu ou de faire partie d’un Ordre Martiniste, et encore moins, selon l’optique d’un Papus, « cherchant, trouvant et cachant bien profondément ce qu’il aurait trouvé ». Martinès a donné généreusement son savoir, contrairement à certains aujourd’hui qui se targuent d’avoir des enseignements secrets ou Amadouesques, réservés à des « Initiés de haut rang », ce qui flatte leur ego.

Le tome deux encourage donc un type de travail qui demande énormément d’attention et de recherches. Ce n’est plus du copié collé d’une bonne planche (qui a sans doute de bons mérites, vu le travail parfois effectué), mais c’est la mise en place d’un système qui va vers la régénération et la réintégration, ce que beaucoup de martinistes n’ont, ou jamais connu, ou volontairement délaissé, parce que d’apparence trop complexe. Pour tous les détails du livre, j’ai donné mon accord aux éditions Arqa pour mettre sur le site des « Chroniques de Mars » l’intégralité du sommaire du Tome 2, que vous pourrez ainsi consulter chapitre par chapitre.

Les Chroniques de Mars // Outre le Grand Manuscrit d’Alger, lors d’une conférence que vous aviez faite à la Société Théosophique, il y a quatre ans déjà, vous aviez abordé la présentation de certains documents connexes, comme le « De Circulo », divers « catéchismes », ou encore les « Instructions secrètes » – ces documents font ils partie du corpus martinésiste à part entière selon vous et lesquels ?

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Georges COURTS // Au fur et à mesure de mon travail, j’ai été intrigué aussi par la numérotation du manuscrit d’Alger, et de nombreux numéros manquants, ce qui laisse supposer un gros travail de reclassement et de copie fait par de Grainville, voire de mise à l’écart, le tout transposé peut-être sur un ou des documents plus complexes. D’autre part, des documents annexes comme le De Circulo s’insèrent parfaitement avec leurs numérotations visibles dans ce manuscrit.

Ces documents sont alors parfaitement incorporables et, à mon avis, incontournables pour vraiment comprendre le travail des Chevaliers Maçons Élus Coën de l’Univers.

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Les Chroniques de Mars // Martinès n’utilisait pas le terme de Magie, il utilisait le terme de « Cabale » ou « opération de Cabale », mais bien sûr il ne s’agit pas ici de Kabbale, encore qu’avec Martinès, bien des choses se « chevauchent » ! Vous avez aussi démontré que Martinès n’était pas juif, il apparaît aujourd’hui encore utile que vous signaliez à nouveau ce fait.

Georges COURTS // Robert Amadou, encore lui , a sans doute fait un excellent travail pour mettre sur le marché les ouvrages et la pensée de Saint-Martin, quoique des rationalistes de l’époque aient trouvé cette pensée morbide et insipide. Par contre, Amadou est à l’origine, dans un contexte de l’époque parfaitement antisémite, d’une ahurissante et volontaire suite d’affirmations, affirmations qui ont été généreusement reprises par la suite par des copieurs (juif, juif espagnol, kabbaliste, etc.). Il écrit dans Louis-Claude de Saint-Martin et le Martinisme Éditions du Griffon d’or, en 1946 ce qui suit : « Que dire de cette étrange figure de « thaumaturge » au XVIIIe siècle ? Un « métèque », juif espagnol croit-on, qui défigure le français dans ses lettres ou dans son Traité, au caractère irritable et inconstant, retient autour de lui, par ses séductions et ses promesses, les descendants de quelques-unes des grandes familles de France.

9-4.jpg Que dire de ce kabbaliste dont les élucubrations théosophiques enchantaient un groupe de jeunes hommes mondains et cultivés ? Que dire de ce prophète dont le Verbe subjuguait un marchand lyonnais ? »
Amadou déclare également que Martinès était le grand Souverain de l’Ordre des Chevaliers Maçons Elus Cohen de l’Univers » ou que Saint-Martin fut initié au rite des Elus Cohen en 1768 (page 32), entretenant une seconde confusion malheureuse liée au judaïsme. Avec Robert Ambelain et Amadou, le terme Cohen signifiait « prêtre juif », (là aussi s’agit-il d’un manque de rigueur de l’un et de l’autre ou d’une impasse volontaire) ignorant en fait que Martinès utilise le terme Coën (inconnu des dictionnaires classiques) qui signifiait : « la partie spirituelle de l’homme » et non le terme « Cohen » signifiant « prêtre ».
Mécontent sans doute de s’être trompé, Amadou rajoutera bien plus tard que Martinès est « marrane » : ce qui est une erreur de plus. L’histoire des juifs en Espagne catholique est malheureuse, puisque même les juifs reconvertis furent pourchassés après la grande Reconquista, puis vint l’Inquisition. Il n’y eu plus aucun juif en Espagne et les marranes ne durent leur salut qu’à la fuite en Europe, en Turquie et Asie.

A décharge cependant, tout étranger bizarre, érudit, avec un profil méditerranéen, avec un accent, était censé être « juif espagnol ou portugais ».

10-3.jpg J’ai parfaitement démontré en outre que Martinès ne pouvait pas être juif, ne serait-ce que par son état de Maçon, et de même son père était Maçon, et encore moins métèque, selon la règle des 5 B. Les juifs ne pouvaient pas encore faire partie de la Maçonnerie.

D’ailleurs sur le sujet Michèle Nahon et Maurice Friot ont publié le certificat de catholicité de Martinès ! Ce qui clôt tout débat sur la question me semble-t-il…

Quant à être kabbaliste juif, ce n’est que bien plus tard après la mort de Martinès que les Maçons se mirent à étudier l’alphabet hébreu, que l’on trouve chez Prunelle de Lierre en 1778. De plus le fait d’utiliser des Noms divins issus de la Bible ne confère pas le titre de « kabbaliste » qu’Amadou attribue à Martinès…

Sous toute réserve, je pense que Martinès utilise le terme « cabale » parce qu’il transforme les mots en nombres, le concept serait à développer…


Les Chroniques de Mars /
/ Vous dites dans ce Tome deux que le Rite de Martinès est à la fois temporel, mais aussi atemporel, pouvez-vous commentez cette perception du temps chez Martinès – Elle est très intéressante à vrai dire, car elle pose aussi le problème plus large, et jamais considéré en profondeur par aucun traité, celui de la « temporalité en Magie » ?

Georges COURTS // Dans certaines traditions, le temps n’est qu’un aspect fugitif d’un espace. Dans les ouvrages de Castaneda, Don Juan Matus démontre que le temps et l’espace ne sont qu’une vision personnelle et que cette vision peut totalement changer : ceci explique le vol chamanique ou la perception des mondes extraordinaires du Nagual face au Tonal ordinaire, chez les sorciers yaquis. En sacralisant cet espace, et en y incorporant des énergies personnelles et universelles, l’émule crée alors une sorte d’univers magique, où le temps peut s’accélérer ou se ralentir, et où l’espace peut se condenser et se transformer. Les Indiens disent que l’on excite alors un centre ou chakra qui s’appelle « Bindou », où temps et espace semble confondus, avec la perception de pouvoirs, au delà de la vision ordinaire. Par exemple, connaître le passé et le futur deviendrait possible, tout comme visiter d’autres mondes avec l’image de devenir infiniment grand ou infiniment petit. Chez Martinès, ce sont les esprits bons qui vont être appelés et qui vont donner cette connaissance, par évocation ou invocation.

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On peut également obtenir des délocalisations et des détemporisations, relativement perturbantes pour un esprit qui se veut logique. Les rêves donnent une idée presque parfaite de ce qui peut être vécu éveillé. Pour être plus clair, un rêve de quelques secondes peut permettre de vivre des moments de plusieurs heures, voire jours, dans plusieurs espaces et lieux totalement différents. Ce ne sont que des fonctions mentales que certaines drogues, ou certains rituels, ou certaines opérations magiques peuvent entraîner.

Les Chroniques de Mars // Pour les lecteurs des Chroniques de Mars, maintenant que ce tome deux est sorti, pouvez-vous nous donner quelques pistes de réflexions sur ce que sera le Tome 3, quels sujets allez-vous aborder ensuite ?


Georges COURTS //
Ce sera la surprise…. dans quelques années, mais la logique veut que cela soit la suite du Manuscrit, avec des compléments pour entrer encore plus dans l’opératif et les initiations. Évidemment, il y aura une comparaison avec le travail magique d’Ambelain inédit basé sur Abramelin le Mage et ce qui différencie totalement le travail des Élus Coën, basé sur Agrippa. Évidemment il y aura aussi une partie historique méconnue du Martinisme, avec une partie critique. Je m’attends donc – encore une fois – à des grincements de dents… Mais bon, je commence à y être habitué et puis comme dit un des rituels martinistes : « Le soleil déverse sur tous ses influences bénéfiques ». « La Vérité doit paraître ». Donc que la lumière soit faite et j’essaierai modestement, à mon niveau, d’y contribuer. Je crains fort aussi que cela soit un ouvrage aussi important en pages que le tome 2… au grand dam de mon éditeur.

Entretien inédit © Chroniques de Mars // Georges COURTS pour les Chroniques de MARS No 12 – Septembre 2013.


MARS EYE 2013

En 2013, Marseille est Capitale Européenne de la Culture, les éditions ARQA qui fêtent cette année leurs dix ans d’activités se devaient dans la continuité du travail déjà accompli de proposer à leurs lecteurs plusieurs ouvrages de qualité, avec des auteurs reconnus et surtout avec la présentation de nombreuses recherches et documents d’archives inédits. Avec les livres de Georges COURTS, Gino SANDRI et la Trilogie de Gil ALONSO-MIER sur les guérisseurs spirituels de la fin du XIXe siècle, Vignes, Schlatter, et Philippe de Lyon, voilà chose faite.

En souhaitant donc à tous nos lecteurs de très bonnes lectures !

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