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Ou comment un auteur français de romans d’aventures destinés à la jeunesse au 19ème siècle s’impose progressivement aujourd’hui comme un champion de l’anticipation voire de la clairvoyance. Au point de surpasser les grands noms du passé et de l’époque moderne en termes de prospective scientifique…

Un institut de recherches mutualisé, créé en 2011 et empruntant son nom, consacré aux technologies avancées de production, s’est même fixé l’objectif de réindustrialiser la France ! Rien que cela.

Jules Verne (1828-1905), bien que non scientifique de formation (études de droit), fut, pour beaucoup d’entre nous à l’adolescence, le principal inspirateur de vocation pour la Science. Il avait entrepris d’en écrire le roman, sous forme « idéaliste » avec ses héros néophytes épris de justice, ses savants fous et les espoirs mis en elle et souvent déçus.

En extrapolant l’existant, en supputant sur l’impossible de l’époque, en osant déborder l’épure technologique en composition, il inventa des utopies qui préfiguraient le futur, son futur et notre présent, mais il alla aussi au-delà.
Doué d’une imagination débordante qu’on a pu comparer à celles de Léonard de Vinci et d’Arthur C. Clarke, il fut aussi littéralement un maître ès science-fiction, mais une SF qui s’apparente plutôt à la prospective qu’au space opera du réalisme fantastique.

UN PRÉCURSEUR SCIENTIFIQUE

Si, comme on l’a souligné, la SF a été incapable de prévoir à 60 ans de distance les automobiles, les avions et les téléphones portables rendant l’homme quasi télépathe, Jules Verne peut se targuer d’avoir décrit, par anticipation, le sous-marin, l’hélicoptère dans Robur le Conquérant (1886)], le disque (obsolète aujourd’hui), la télévision, la bombe atomique et les capsules interplanétaires [De la Terre à la Lune (1865)] mais pas la fusée ! comme le fit Hergé en 1950, inspiré, il est vrai, par les sinistres V2 allemandes. On verra que, peut-être là, il n’a fait là que zapper une étape.

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Belle performance, si on y ajoute le fax et les transports souterrains (métro) mentionnés dans son livre de jeunesse « retrouvé » et intitulé : Paris au 20ème siècle (ouvrage « dystopique », donc là aussi largement prémonitoire), que son éditeur Hetzel, de son vivant, n’avait pas publié parce qu’il ne croyait pas en ses prophéties.

C’est surtout dans le domaine de la conquête spatiale qu’on peut trouver matière à nous extasier (sans sombrer dans le chauvinisme béat car Jules Verne a aussi commis des erreurs) sur la faculté de prévision – de (clair)voyance, pourrait-on dire – de l’écrivain qui, dès lors, s’inscrit au rang de Nostradamus de la Science si ce n’est pas lui faire injure.

SYNCHRONICITÉ OU PRÉMONITION ?

Comme je l’écrivais déjà il y a 35 ans dans mon livre La Face cachée du Ciel (collection Les Chemins de l’Impossible, Albin Michel, 1979), le parallèle qu’on peut relever entre les péripéties de la mission Apollo 8 circumlunaire et le roman De la Terre à la Lune de Verne, à 103 ans de distance, est proprement stupéfiant.

Au point de fournir une sorte de « synchronicité » du même calibre et beaucoup plus lointaine que celle de Morgan Robertson (1861-1915) qui, dans une nouvelle de fiction publiée en 1898, , racontait le naufrage d’un bateau géant nommé « Titan » qui, après avoir heurté un iceberg quelque part dans l’Atlantique Nord, s’abimait dans les flots en une sorte de vision annonciatrice, 14 ans à l’avance, de la dramatique fin du fameux Titanic survenue en avril 1912 . Précisément au mois d’avril et avec le même handicap, pour le sauvetage des malheureux passagers, d’un nombre insuffisant de canots disponibles. Les deux navires n’avaient-ils pas été considérés tous les deux comme insubmersibles ?

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Mais c’est dans l’espace que se concrétisa surtout le génie de Jules Verne quand il décrit de façon tout aussi prophétique à plus d’un siècle d’intervalle le voyage vers la Lune avec d’autres coïncidences vis-à-vis du réel d’une mission lunaire américaine Apollo qui le consacrent définitivement en une qualité de visionnaire inspiré.

DE LA TERRE Á LA LUNE

« Comme Apollo 8, le « wagon spatial » imaginé par Jules Verne avait trois passagers à son bord. Sa forme « cylindro-conique » ne s’applique-t-elle pas à la capsule du 20ème siècle ? Il décolla de Floride, à moins de 200 km de Cap Canaveral. Le mois du lancement était décembre dans les deux cas. La vitesse du projectile expédié par le canon/obusier/mortier Columbiad était de 40 000 km/heure contre les 38 700 de la capsule Apollo. L’un des membres de l’équipage inventé par Verne était le Français Michel Ardan tandis que le major William A. Anders faisait partie de l’équipage Apollo 8. La longueur de l’obus de la Columbiad était de 4 mètres, exactement comme la capsule spatiale. De même pour le volume habitable. Le projectile de Verne était un tube en acier doublé d’aluminium, la capsule aussi ! Le poids de l’obus était de 5540 kilos, celui de la capsule 5614 ! L’orbite de contournement lunaire empruntée par l’obus était juste inférieure à celle du module lunaire américain. »

La relecture de ce merveilleux roman permet de constater que tous ces rapprochements, signalés il y a près de 20 ans par l’Associated Press, étaient largement incomplets. En effet, Verne, met en scène, au début de son livre, un certain Tom Hunter du Gun-club (association d’artilleurs désœuvrés en temps de paix !) « chauffant ses jambes de bois dans la cheminée du fumoir » et s’écriant, nostalgique : « Où est le temps où le canon vous réveillait chaque matin par ses joyeuses détonations ! ». Or, cette déclaration du Tom Hunter de Jules Verne peut surprendre aujourd’hui, retenons son nom.

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Bien sûr, Verne n’a pas toujours eu raison et certains se sont ingéniés à traquer ses bévues, notamment sur le principe d’Archimède dont il aurait sous-estimé la force pour son Nautilus. Une revue des années 1950 qui prétendait « tout savoir » ne parlait-elle pas même de ses « mensonges » mais en devant concéder que certains étaient devenus des vérités suggérant (sic) qu’ils auraient pu être faits à l’insu de son plein gré. Jules Verne n’a pourtant pas la réputation d’avoir fait de l’écriture automatique.

Concernant le vol habité Terre/Lune, réalisé par un gros obus de canon, ne va-t-il pas falloir aussi rectifier le tir si j’ose dire en retirant la solution de J. Verne du rang des utopies ? L’idée d’utiliser un canon géant pour envoyer un vaisseau spatial sur la Lune, qui a paru un temps « baroque et étrange » par rapport à la sophistication technologique de la fusée à étages (Saturn V), n’est-elle pas une alternative qui verra le jour dans le futur mettant un terme au gaspillage exorbitant des fusées à combustibles ?

TIRER LA LUNE

L’idée de remplacer les fusées actuelles, coûteuses, consommatrices d’énergie car il faut transporter la charge utile plus la masse de carburant, non réutilisables, par un canon ou une catapulte tirant depuis le sol terrestre est depuis longtemps dans le tuyau de ceux qui étudient les solutions économiques de satellisation et de vols spatiaux. Et là, il ne s’agit pas du prolongement des canons allemands longue portée, de sinistre mémoire, tel que le Pariser Geschütz, dit « Grosse Bertha », qui bombarda Paris depuis la Rhénanie en passant par la stratosphère.

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En cours d’expérimentation dans les années 1990, il y eut tout d’abord les canons magnétiques (rail guns) qui, au moyen d’un tube long de 1 km, devaient permettre d’accélérer, par induction, une charge de 400 kg jusqu’à 4,5 km/s soit un quart de la vitesse d’éjection du boulet de la Columbiad. Le problème résidait dans le stockage de l’énergie dans de gigantesques condensateurs. Mais qu’en est-il aujourd’hui ?

Une autre famille de lanceurs en développement fut celle des canons à gaz dont un prototype en 1995 a permis d’atteindre 15,6 km/s mais avec un projectile plus petit. Cette voie fut considérée comme tellement prometteuse qu’elle fut à l’origine du projet SHARP (Super High Altitude Research Project) du Lawrence Livermore National Laboratory près de San Francisco, qui, à l’horizon de l’an 2000, était sensé lancer des petits satellites en orbite terrestre à moindre frais (1/20ème du prix actuel). Nom du canon lanceur (3 km de long, 10 fois plus que la Columbiad !) : JVL (Jules Verne launcher). De quoi pérenniser le « génie vernien » !

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Sans d’autres connaissances que celles de son cerveau, cet auteur aurait su intuitivement éviter certaines impasses technologiques dans laquelle nous nous sommes engouffrés et dont il nous faut sortir. Les lobbies d’ailleurs sont-ils à l’œuvre pour en différer l’application ?

Génie doué d’une lucidité extraordinaire Jules Verne, quand on apprend que le physicien américain, à l’origine du projet SHARP, s’appelle John Hunter ! Comme le chasseur désœuvré du Gun-club ! Il fallait le faire. Certes le projet SHARP a été officiellement clos il y a 20 ans, mais on en reparle régulièrement lorsqu’il s’agit notamment de disposer d’un vecteur moderne de mise en orbite des satellites artificiels terrestres. En mai 2013, John Hunter encore vivant intitulait son intervention à un congrès : Starship : Jules Verne 2.0. Le canon à hydrogène première partie de la feuille de route interstellaire. Preuve que son projet a été ajourné mais pas le germe de l’idée héritée de Jules Verne qui reste implanté dans l’esprit humain !

Qui sait si nos descendants ne seront pas un jour réveillés par les détonations des canons cracheurs de satellites ou de sondes spatiales plutôt que par le bruit du canon de belligérants toujours plus probables.

En tout cas, si cela se produit, nous pourrons crier un joyeux : cocorico !

Michel GRANGERles CHRONIQUES de MARS © No 17, Solstice d’été – juin 2015. © Michel Granger/Michel Moutet, 2015.

Une version courte fut publiée dans Dimanche Saône & Loire du 6 avril 1997.


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