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Les Chroniques de Mars // Patrick Berlier, vous publiez aux éditions Arqa un nouveau livre sur votre thème favori : « la Société Angélique ». Après deux autres volumes déjà publiés sur ce même thème en 2004, ce nouvel opus après huit autres années de travail est-il un tome III, la suite de votre travail précédent ?

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Patrick BERLIER
// Non, sûrement pas. Il serait même une introduction aux mystères de cette société secrète et surtout un complément indispensable avec de très nombreux documents inédits, certains d’entre eux sont publiés pour la première fois lors de la sortie de ce nouveau numéro des « Chroniques de Mars »! Je veux dire que ce nouveau livre ne constitue en rien une « suite » aux deux premiers, mais plutôt un commencement, dans la mesure où il apporte un éclairage différent, une approche différente, sous la forme d’une chronique historique du XVIe siècle à Lyon. On y trouvera une masse d’informations et de documents d’archives jamais dévoilés sur cette incroyable société secrète, documents inédits que j’ai pu puiser à la source c’est-à-dire dans les archives lyonnaises…

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Les Chroniques de Mars // Une époque fabuleuse, apparemment ?

10-2.jpg Patrick BERLIER // On peut le dire ! Le XVIe siècle lyonnais a vu fleurir les arts de la Renaissance, sous l’influence des nombreux Italiens – banquiers ou commerçants – installés dans la cité. C’est l’époque des guerres d’Italie, menées par les rois successifs Charles VIII, Louis XII et François Ier. Des guerres qui curieusement sont financées par les Italiens de Lyon, lesquels vont évidemment y trouver leur intérêt, en faisant rétablir les foires internationales, qui feront de la ville un centre incontournable de commerce et de banque…

Tout cela va générer une fortune considérable pour Lyon : ces foires voient affluer de nombreuses marchandises d’origine étrangère. Parmi elles de nombreux livres, qui attireront à Lyon des imprimeurs étrangers, lesquels feront de la ville la capitale de l’imprimerie. Parmi ces livres est le célèbre Hypnerotomachia Poliphili, qui sera publié en France en 1546 sous le titre Le songe de Poliphile. On sait que ce livre constitue une véritable « bible » pour certaines sociétés secrètes, car il en expose toute l’organisation, degrés et grades, sous forme cryptée bien sûr, ce livre constituant aussi un modèle du genre.

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Voilà pourquoi c’est à Lyon, et nulle part ailleurs, que va se constituer la branche française d’une organisation, disons « angélique », préparée en Italie – particulièrement à Venise – et véhiculée par les puissants artisans graveurs, les fameux Gilpins, Saint-Gilpins ou Saingilles.

Les Chroniques de Mars // On retrouve dans votre nouveau livre le personnage de Nicolas de Langes, déjà largement évoqué dans les deux autres tomes comme étant le fondateur de la Société Angélique.


Patrick BERLIER
// Je crois qu’on peut dire qu’il est plutôt le fédérateur de groupes antérieurs, tous unis par le même mot d’ordre : la liberté de pensée. Ces groupes voulaient transmettre et maintenir une certaine philosophie, fondée sur l’élitisme intellectuel. Nicolas de Langes apporte son nom, prédestiné, sa fortune et ses terres, sur lesquelles se réuniront les érudits, humanistes et imprimeurs, en toute tranquillité et dans la quiétude qu’offre la colline de Fourvière.


Les Chroniques de Mars
// Vous n’écrivez plus « Langes » avec un S final. Pourquoi ce changement d’orthographe ?

8-6.jpg Patrick BERLIER // Lange, sans S, est la bonne façon d’écrire ce nom, comme le prouvent en particulier les plaques « Montée Nicolas de Lange » apposées à chaque extrémité de cette rue en pente, montant à Fourvière par sa face nord. Mais sa propre fille, dont j’ai retrouvé les écrits, emploiera les deux orthographes, le « S » final lui donnant sans doute un peu plus de noblesse ! Curieusement, comme j’ai pu le retrouver et cela n’avait jamais été vu par quiconque auparavant la famille est originaire du village de Lange, sur le commune de Saint-Parize-le-Chatel, en Nivernais ; il existe d’ailleurs également une « rue Nicolas de Lange » à Nevers ! … ça peut paraître incroyable ! Je publie pour la première fois le portrait de Nicolas de Langes ! C’est émouvant lorsque l’on retrouve pour la première fois un portrait de ce type et surtout mettre un visage sur un nom et une personnalité sur laquelle on a cherché toute sa vie, pour ainsi dire…

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Les Chroniques de Mars // On sent que pour préparer ce livre vous avez, durant huit ans, eu de la documentation de premier choix, enfin publiée – il y a 120 documents d’archives dans votre livre qui illustre votre étude.


Patrick BERLIER
// Oui, on peut le dire ! Je voudrais d’ailleurs rendre hommage à une de mes lectrices, des deux premiers tomes, qui a initialisé ces recherches. Elle se nomme Patricia, et a consacré les quelques loisirs que lui laissent son métier, elle est médecin, à chercher tout ce qu’elle peut sur Nicolas de Langes. Elle tenait à retrouver en particulier sa maison rue Saint-Jean, dont je ne fais que supposer l’emplacement dans le tome II. C’est elle qui a fait les premières recherches en archives et elle a réussi à me communiquer sa passion… Je n’ai fait que reprendre le flambeau et j’ai continué à tirer le fil dans cette voie « angélique »…, pour au final enfin déterminer grâce au cadastre où se trouvaient ses différentes demeures… Un gros travail de recherches en archives qui a finalement payé.

Le fait que je me présente comme un chercheur spécialiste de cette période et du sujet précisément m’a ouvert les portes de la Bibliothèque municipale de Lyon. Le conservateur m’a autorisé non seulement à consulter les archives mais aussi à en prendre des photos, ce qui m’a permis de les étudier à loisir et pour cela mes études en paléographie on fait le reste, ainsi que mes connaissances en latin et grec. Je vous laisse imaginer mon excitation à tenir entre mes mains des feuillets écrits par Nicolas de Lange en personne, presque cinq siècles plus tôt. Dans ce mémoire il raconte l’histoire de sa famille, en donnant des détails dont personne n’avait vraiment saisi l’intérêt… ! Les mêmes archives comprennent aussi les écrits de sa fille Louise de Lange, l’épouse de Balthazar de Villars (qui devait succéder à son beau-père à la tête de la Société Angélique), avec là encore des détails inédits sur son histoire. Et mieux encore, j’ai trouvé dans ce carton les chartes de mariage de Nicolas de Lange et de son père, également prénommé Nicolas, datant de 1565 et 1521 ! Ce sont des documents inédits, publiés ici pour la première fois pour « les Chroniques de Mars » et je les commente dans mon livre car ils donnent une filiation historique familiale de permier intérêt. C’est toujours important pour un chercheur de mettre pour la première fois la main sur une telle mine d’or…

La bibliothèque possède aussi le cahier, tenu patiemment par Balthazar de Villars, au fil des années sombres des guerres de religion, dans lequel il avait consigné ses discours mais aussi recopié certains documents ou courriers, comme la lettre écrite par le roi Henri IV à sa femme Marguerite de Valois, la fameuse « reine Margot », pour lui annoncer la dissolution de leur mariage. Et ce cahier comprend aussi un portrait de Balthazar, le seul que l’on ait encore de lui ! Je le publie également. Comme vous le voyez, ces années d’études et de recherches en archives m’ont permis d’avancer considérablement sur le mystère de cette ténébreuse société secrète, et je dois dire que c’est un réel plaisir d’offrir autant de documentation à mes lecteurs…

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Les Chroniques de Mars // À propos de portrait, vous avez retrouvé aussi, comme vous venez de le signaler, celui de Nicolas de Lange… ! C’est le seul connu à ce jour, et c’est par vos recherches et bien peu par le « hasard » que vous avez réussi ce tour de force !


Patrick BERLIER
// Oui, tout à fait, il s’agit d’une médaille, frappée en 1603. L’homme a alors 78 ans, et il mourra trois ans plus tard. Nous savions qu’un exemplaire de cette médaille était conservé à Lyon, mais où ? Avec de la patience et de l’abnégation Nicolas de Langes est venu jusqu’à nous…

Les Chroniques de Mars // Vos lecteurs auront plus d’une surprise en lisant votre livre, c’est certain, mais les lecteurs au fait de l’énigme de Rennes-le-Château auront, eux, sans doute la surprise, mais il faut dire aussi que le sujet vous passionne puisque vous êtes aussi co-auteur de L’ABC de RLC – d’y retrouver un certain… Théodore de Bèze, à l’origine des fameux parchemins fondateurs du mythe !

7-5.jpg Patrick BERLIER // Disons d’une certaine manière, au plan symbolique – mais pas seulement, qu’il n’y a là rien d’étonnant de retrouver mêler la ville de Lyon à l’affaire Saunière, de nombreuses passerelles sont possibles ! J’ai d’ailleurs consacré un ouvrage « Reflets de Rennes-le-Château en pays lyonnais », qui fait le point sur ces corrélations et intersignes, en me servant pour exemple de l’architecture néogothique de la tour Magdala. C’est une étude à la périphérie de l’affaire mais qui ne manque pas de questionner, je vous prie de le croire ! Pour en revenir à votre question, on oublie parfois que ces parchemins étaient primitivement conservés à Lyon, en l’église Saint-Irénée. Lorsque les Protestants se sont emparés de la ville, en 1562, ils ont commencé par s’en prendre à ses églises les plus emblématiques… Théodore de Bèze faisait partie de ces protestants modérés qui, à l’inverse du sinistre baron des Adrets, ont cherché à protéger certains trésors, comme ces textes qui constituent une version rarissime du Nouveau Testament.

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Les Chroniques de Mars // Pour connaître aussi bien Lyon et son histoire, il faut sans doute que vous soyez originaire ce cette ville ?


Patrick BERLIER
// Pas vraiment, non… En réalité je suis originaire de Saint-Étienne ! Une ville voisine qu’une vieille rivalité datant de l’an mille oppose aux Lyonnais… Mais il y a prescription dirons-nous, et puis c’est surtout en tant que guide de Pilat que la région dont je suis natif prend toute son importance. C’est une région extraordinaire qui comme pour la Provence avec la Sainte Beaume de Marie Madeleine, le Verdon Templier, ou le Bugarach audois, possède un patrimoine de contes et légendes ancestraux qui sont la mémoire vivante de nos traditions populaires et qui nous permet de comprendre – pour peu que l’on se donne la peine – l’Histoire par la Géographie… ! En vérité rien ne vaut mieux que d’arpenter le terrain… !

Entretien avec // Patrick Berlier pour Les Chroniques de Mars, numéro 8, avril 2012.

Illustrations // Photos de Patrick Berlier © – Documents inédits – Portrait de Nicolas de Langes et Chartes de Mariage.

Voir aussi les extraits du livre de Patrick BERLIER – « Chroniques de Mars, numéro 8 ».


Patrick BERLIER – La Société Angélique – Documents inédits #2

Patrick BERLIER – La Société Angélique – Documents inédits #3

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