La Vallée des Merveilles… !

Un nom enchanteur pour un site qui ne l’est pas moins. Une vaste zone archéologique, dans les Alpes du sud, riche de dizaines de milliers de gravures rupestres remontant à l’âge du bronze, soit en gros une époque comprise entre 3000 et 2000 avant Jésus-Christ. Ce n’est que dans les années 70 que le grand public commença à en avoir connaissance, suite aux travaux du professeur Lumley, mais curieusement l’information fut surtout relayée par des ouvrages de nature « néo-ésotérique », très à la mode en ces temps-là, voyant dans les gravures préhistoriques les plus étranges de la planète des témoignages de la visite d’extraterrestres ! Des thèses développées par des auteurs comme Erich Von Däniken, ou en France par Guy Tarade, qui marchait sur les mêmes brisées. C’est ainsi qu’une certaine publicité fut faite à la Vallée des Merveilles. Étant moi-même en ces années 70 passionné par ces sujets — Ah ! Jeunesse ! — je fus inévitablement séduit par cette vallée des mystères que je découvrais dans ces livres. Diable ! Enfin des gravures mirifiques sur le sol français, après celles répertoriées au Sahara ou à l’autre bout du monde.

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L’envie me prit d’aller les contempler de mes yeux. Le projet se réalisa en 1976, et surtout en 2004. Je vais vous raconter tout cela en détails, mais auparavant il me faut quand même faire un rapide historique du site et de ses découvreurs.

LÉGENDES ET HISTOIRE DES MERVEILLES

La Vallée des Merveilles est une vallée glaciaire d’altitude, étagée entre 2100 et 2400 m, dans le Parc National du Mercantour, non loin de Tende et de la frontière italienne. Ce n’est d’ailleurs que depuis 1947 que le site appartient à la France, après avoir été italien pendant des siècles. Ses pâturages n’ont guère été fréquentés, durant plusieurs millénaires, que par des bergers et leurs troupeaux. On le sait aujourd’hui, l’homme préhistorique était déjà sensible à l’esthétisme. L’extraordinaire beauté des lieux ne le laissa pas indifférent, pas plus que les phénomènes météorologiques effrayants qui s’y déroulaient. Pour les bergers de l’âge du bronze, un tel site ne pouvait être que la demeure de ces dieux qui vivaient environnés d’éclairs. Il convenait de leur rendre hommage, en gravant sur les surfaces rocheuses polies par les glaciers de multiples images censées attirer leur protection. Images de bestiaux, de troupeaux, d’attelages, d’enclos. Images d’armes aussi, poignards, haches, hallebardes, que le bronze, cet alliage né du cuivre et de l’étain, métaux découverts en abondance par la grâce des dieux, rendait plus solides et plus coupants. Images d’hommes enfin, chefs de tribus ou sorciers, intermédiaires entre les dieux et les bergers.

Avec l’arrivée du christianisme, la Vallée des Merveilles reçut une réputation maléfique. La violence des orages ne pouvait être que le fait du démon. La toponymie se charge de véhiculer le souvenir de ces croyances diaboliques, avec des noms comme le Val d’Enfer, le Pas du Diable, Valmasque (le val des sorciers, en patois du pays). Une première description de la vallée est donnée en 1460 par Pierre de Montfort qui décrit « un lieu infernal avec des figures de diables et mille démons taillés en rochers. » En 1650 l’historien niçois Gioffredo évoque la Vallée des Merveilles, dont le nom commence à apparaître sur les cartes. Mais si la langue italienne emploie le mot meraviglie, celui-ci possède un sens plus intense qu’en français, plus proche du mot « prodige », bien que ce mot existe aussi en italien. Finalement, la traduction française du nom n’en retiendra que le sens littéral. Au XIXe siècle les premiers archéologues s’y intéressent, mais il faut attendre 1878 et les travaux d’Émile Rivière pour qu’une première étude sérieuse soit entreprise. Trois ans plus tard, c’est au tour de Clarence Bicknell de s’attaquer au relevé des gravures. Il y consacrera 12 ans de sa vie. Puis au début du XXe siècle, peu après la première guerre mondiale, le savant italien Piero Barocelli engage le sculpteur Carlo Conti pour poursuivre les moulages et dresser la première carte archéologique. Vingt ans après que le site soit devenu français, c’est le professeur Henry de Lumley qui poursuit l’œuvre de ses prédécesseurs.

Son équipe, toujours en place, va répertorier plus de 100 000 gravures, une tâche qui bénéficie aujourd’hui du soutien de l’informatique. La Vallée des Merveilles est un site classé depuis 1969, aujourd’hui intégrée au Parc National du Mercantour qui en assure la protection par une discrète mais efficace équipe de gardes.

1976 : PREMIER CONTACT

Avec quelques amis, alors que nous passions des vacances dans la région, un beau matin nous avons lancé notre bonne vieille 2CV sur les routes du pays niçois. J’en garde un souvenir ému… Mais il faut bien reconnaître que nous étions mal renseignés, mal préparés, mal équipés. Passés le col de Nice, le col de Braus, le col de Brouis et ses 40 lacets, Sospel, Saint-Dalmas-de-Tende, nous nous étions dirigés vers le lac des Mesches, point de départ du chemin accédant à la Vallée des Merveilles. Là, après avoir garé la Deudeuche, nous avions avalé un pique-nique soigneusement préparé, puis dans la foulée nous avons pris le départ, à pied cette fois. Plus de 700 m de dénivelé à grimper en pleine digestion, sans préparation physique préalable, c’est une erreur que je ne commettrais pas aujourd’hui ! Et puis à peine avions-nous fait quelques pas sur les premiers lacets que l’orage nous surprit. Chaque après-midi en effet, dès les beaux jours venus, l’orage se déchaîne sur le Mont Bego, le point culminant du site. Encore fallait-il le savoir… Trempés, nous avons dû demander asile au premier refuge venu, vers la Minière de Valaure, à peine 1 km après le départ. Là on nous a expliqué la stratégie : il vaut mieux faire la montée le matin, pour bénéficier à la fois du beau temps et d’un estomac léger. Nous avons profité de l’hospitalité de nos hôtes, qui se proposaient en plus de nous servir de guides, et le lendemain matin à 6 heures nous étions repartis, sous un ciel pur et sans nuages.

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Dure grimpée, l’appareil photo en bandoulière d’un côté, la caméra Super 8 de l’autre, les accessoires dans des sacoches accrochées à la ceinture, pas de sac à dos et pas de place pour une gourde d’eau… Erreur fatale ! Plus de quatre heures de marche et de souffrances pour arriver enfin dans la vallée promise, où soufflait un petit vent à glacer les sangs. Presque deux heures de plus que l’horaire prévu, il nous restait juste le temps de prendre quelques photos, et il nous fallut bien décider de redescendre, si nous voulions arriver aux Mesches avant l’orage. Rester sur place jusqu’au lendemain ? Nous avions à-peu-près de quoi manger, mais il nous aurait fallu des coupe-vent, des vêtements plus chauds, et puis surtout le refuge était complet, nous avions négligé de réserver. Les gravures ? Pour voir les premières, il y avait encore une heure de marche minimum, et du dénivelé… La mort dans l’âme, j’ai dû me résoudre à prendre le chemin du retour. En arrivant aux Mesches je fis la promesse solennelle de revenir un jour. C’est que, au-delà de l’attrait pour une très hypothétique visite d’extraterrestres en ces montagnes arides, j’avais été séduit par la magie et la beauté du lieu…

Le « retour à la civilisation » fut difficile : longtemps je gardai le souvenir de cette haute vallée extraordinaire, du sifflement des marmottes, de ce paysage à couper le souffle, que je n’avais fait pourtant qu’apercevoir.

Seuls ceux qui m’avaient accompagné comprenaient la nostalgie qui me saisissait parfois.

Mais le temps qui passe finit par tout effacer…

Patrick BERLIERLes Chroniques de Mars # 1, avril 2011 – (à suivre…).