LE CADRE DE L’EPOPEE IRLANDAISE

1-59.jpg L’épopée irlandaise est à la fois un fabuleux trésor de poésie et le récit de grandiloquentes batailles, scandées par des refrains lancinants, où des héros solaires s’illustrent. Cependant, archéologie et histoire mythique ne s’accordent pas toujours. Selon les uns ou les autres, cinq ou sept âges se succèdent entre l’arrivée des premiers hommes sur l’île et celle du christianisme, et de l’écriture en caractères latins. Cela constitue deux canevas parallèles qui se recoupent parfois. Ces nombres sont-ils fictifs et symboliques ?

À cela s’ajoute la troublante question des Oghams. S’agit-il d’un alphabet celtique ou pré-celtique primitif ou d’un calendrier ? Arrive à point nommé Ogma, qui procède d’Ogmios et qui, par sa consonance, donne légitimité à la légende qui s’accapare ce mode de transmission. On ignore en fait à quel moment cet étonnant alphabet a pu naître, son premier support étant le bois, qui est rapidement détruit et ne laisse pas de traces tangibles. Puis avec le début de l’ère chrétienne, apparaissent des stèles en pierres recouvertes de ces entailles dont l’orientation et le nombre livre un code précis. Voici les piliers oghamiques qui dévoilent les noms de héros morts au combat ou de vaillants chefs de tribu. À partir de la christianisation de l’île, ces inscriptions finissent, au-delà du caractère héroïque et/ou funéraire, par témoigner de l’identité celte, peut-être en opposition aux transcriptions usuelles et obligatoires en signes latins. Quelques unes de ces pierres seront sauvegardées mais bien d’autres tomberont, comme vestiges d’un paganisme éhonté. Le poème Crom Cruaich témoigne de la vindicte (plus ou moins justifiée) de l’Église.

Les données archéologiques

Sur le sol irlandais, les plus anciens vestiges archéologiques datent d’environ 7000 à 8000 ans avant notre ère, soit de la période mésolithique, où l’homme vit encore de la cueillette, de la pêche et de la chasse. Citons comme témoin le campement de Broughal. Il s’agit d’un peuplement sporadique, essentiellement lié à l’abondance de nourriture à collecter, et dispersé dans l’espace. Son point d’origine culturel semble être le nord de l’Angleterre.
Puis la succession des civilisations est la suivante : le néolithique et les âges des métaux précédant l’introduction du christianisme au V e siècle. Sachons que les Romains n’ont jamais conquis l’île ce qui lui a conféré une position de repli favorable à l’épanouissement de la culture celtique. Il a fallu l’arrivée des Vikings, à partir de 795 pour que de profonds bouleversements soient sensibles, sur le plan culturel et socio-économique. Cependant, dans le mythe, cette longue protohistoire a servi de trame à un admirable récit où les envahisseurs se succèdent et se battent avec des forces, qui ne sont peut-être pas humaines, issues de l’Abîme (ou du chaos ?).
Nous y reviendrons.

Entre 4000 et 2000 avant notre ère, se déroule la phase néolithique, qui suppose une seconde vague de peuplement. Une agriculture précoce fait son apparition mais elle a quelque peine à se développer durablement au départ. L’habitat comporte des huttes rondes et ovales. De ce temps fastueux datent les grands monuments mégalithiques qui témoignent déjà de la puissance des grands de ce monde et d’un esprit de cohésion et d’équipe axé sur des réalisations magistrales, mais également des cistes, de dimensions inférieures. Des groupes ou des influences sont probablement venus depuis la Grande Bretagne, mais le résultat est une civilisation totalement originale et propre à l’Irlande.

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Originaire d’Europe centrale, la métallurgie fait son apparition vers 2500 avant notre ère, toujours par l’intermédiaire de la Grande Bretagne toute proche. Se succèdent des fabrications en cuivre, puis en bronze et enfin en or. L’orfèvrerie irlandaise se révèle admirable. Mais en dehors de ces trésors, les habitants de ce début de l’âge du bronze sont mal connus. Il est difficile d’affirmer si de nouvelles populations sont réellement arrivées ou si ce sont simplement des groupes de métallurgistes. Le forgeron se taille une place de choix dans le mythe. N’a-t-il pas à son actif un légendaire chaudron de résurrection ? Sur le plan cultuel, les mégalithes sont encore florissants, bien que des cercles de pierres (ou cromlechs) fassent leur apparition, ainsi que les Henge Monument (cercle constitué d’un fossé et d’un talus), tout comme en Angleterre. Ces éléments semblent encore plus ouvertement tournés vers l’observation des manifestations stellaires que les cairns antérieurs.

On distingue ensuite un âge du bronze final. Les changements économiques et sociaux du reste de l’Europe n’affectent pas vraiment l’Irlande, toujours un peu marginale, bien que sur le circuit des routes maritimes commerciales. Ce n’est que plus tard qu’elle subira la « crise de l’or » et la récession. Cependant la richesse en minerais se traduit par une nouvelle débauche d’objets d’or somptueux. Les archéologues distinguent trois subdivisions culturelles dans cet ensemble : Bishopsland, Roscommon, Dowris. Le pouvoir et les biens matériels sont concentrés entre les mains de quelques clans aristocratiques. On retrouve de bonnes descriptions de cette société dans la littérature irlandaise. Les Tuatha dé Danann paraissent illustrer préférentiellement cette période. Peu à peu, celle-ci s’étiole à son tour, épuisée.

Surviennent les « Celtes », qui constituent la cinquième « invasion » de l’île. En fait, le processus qui a conduit à l’introduction de la métallurgie du fer en Irlande demeure inexpliqué. D’un côté, des princes et leur suite continuent à vivre dans l’opulence et le conservatisme, et s’intéressent médiocrement aux nouveautés. De l’autre, on constate une acculturation linguistique et artistique proche des Celtes continentaux, très lente. Une société « celtique » s’organise à partir de 300 avant notre ère, c’est à dire à une date très tardive, par rapport au reste de l’Europe. Cinq royaumes, aux frontières changeantes s’affirment. Des capitales comme Emain Macha, Tara ou Cruachan imposent leur gouverne. En ce qui concerne Tara, ce centre avait déjà une influence considérable au néolithique. Force est de constater la remarquable continuité de l’occupation des sites sacrés au cours du temps, car ils cristallisent l’âme d’un peuple. Lia Fail (« la Pierre de la Destinée ») en est l’omphalos.
À partir du 1 er s avant notre ère, on entre dans le second âge du fer. Le modèle de la Tène sur le plan artistique et culturel tend à devenir moins puissant. Il s’essouffle. Les réalisations sont moins spectaculaires. Citons les Rings Forts ou Rath, qui sont des sortes de banquettes circulaires en pierres. The Rath of Synods, à Tara, en est un exemple.

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Au début de notre ère, les Irlandais font des raids fréquents sur les côtes anglaises, alors que le pouvoir romain donne des signes de faiblesse. Ainsi, ils auraient, selon la légende, enlevé des chrétiens pour les réduire en esclavage. Le futur saint Patrick débarque dans l’île et convertit des Celtes dont la tradition décline.

Selon la tradition, Patrick serait devenu évêque d’Irlande en 432. Il prend soin de s’installer à Armagh, près de la cité emblématique d’Emain Macha. Dans la réalité, la christianisation ne devient effective qu’un siècle plus tard. Ici encore, il convient de faire la part du mythe.

Toujours est-il que l’interpénétration du christianisme et du celtisme donne une culture d’une richesse exceptionnelle. Tous les arts fleurissent – l’enluminure, la sculpture sur pierre, l’architecture et surtout une très surprenante littérature qui assure la sauvegarde d’un patrimoine remontant aux premiers habitants de l’île, le tout recouvert d’une touche chrétienne. La plupart des bardes ont adhéré à la nouvelle religion qui leur assurait le gîte et le couvert, tout en leur permettant de perpétuer leur art et leur culture. Ainsi, les premières épopées en langue celtique sont calligraphiées en caractères latins, au VII e siècle. Ensuite, elles seront reprises avec quelques variantes. Notons cependant l’existence de manuscrits en caractères oghamiques antérieurs à cette époque. Il semblerait qu’une élite ait tenté de perpétuer une tradition qui s’éteignait. Dans le même état d’esprit, la Broche de Tara est un joyau totalement inspiré par l’orfèvrerie traditionnelle, mais attribuable, sans aucun doute, au haut moyen âge.

L’archéologie dévoile cinq peuplements « préhistoriques » distincts. Pour sa part, l’épopée est plus prolixe et sept « invasions » forment la trame du Livre des Invasions ou Livre des Conquêtes.

À l’infini des mégalithes

popo-2.jpg Les spirales de Newgrange
sont jours sans fin.
Involution de l’œuf
dans nos gestes les plus élémentaires.
Canal charnel où s’étonne le solstice.

Rémy Durand

Newgrange et ses quartz blancs étincelants parle à tous. Sans doute est-il particulièrement prestigieux, dans la zone centrale de l’île, traversant les âges avec une impavide prestance. Chacun se plaît à fantasmer sur le rayon de soleil traversant l’oculus puis le couloir au temps du solstice d’hiver. Cette chambre mégalithique s’intègre dans un plus vaste ensemble, lié à la vallée de la Boyne, à un culte de la déesse mère, puis à des dieux et héros prestigieux comme le Dagda ou son fils Oengus (ou Aengus).

Certains archéologues considèrent ce site et ses voisins comme les plus anciens témoignages du mégalithisme dans l’île.

Myriam PHILIBERTLes Chroniques de MARS numéro 13, décembre 2013 – (extrait des TUATHA DÉ DANANN – Mystique solaire et Art de la Guerre ).

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