111-27.jpg Par la fenêtre de la tour abritant la montée d’escaliers Nicolas de Lange montrait à ses amis, par-dessus les toits, le sommet de la colline de Fourvière.

Puis il poursuivit ses explications :

— Comme vous le savez, je suis en train d’acquérir plusieurs lopins de terre sur le flanc septentrional de la colline. Il y a cinq ans j’ai acheté au chapitre de Fourvière la vieille masure de Crocte-Ronde, avec les terrains autour. J’ai bon espoir d’acheter encore le territoire des Hermières, composé d’une vigne et de la maison attenante. Cela me fera au total un terrain d’une dizaine d’arpents. Je me ferai alors construire, au sommet de mon domaine, une « maison des champs » où je pourrai vous recevoir et ainsi renouer avec la tradition de mes ancêtres maternels, les frères Fournier, qui tenaient à Fourvière les réunions de leur Académie. Je compte donner à mon domaine le nom de L’Angélique ; cela sonnera bien je crois… Pour en revenir à la Crocte-Ronde, notre ami Guillaume du Choul connaît bien cette ruine, n’est-ce-pas ?

— Absolument, c’est un ancien réservoir, précisa le savant. Il date de l’époque où les Romains avaient construit des aqueducs pour alimenter leur cité en eau, laquelle était stockée dans des réservoirs avant d’être redistribuée vers les thermes et les fontaines. Le plus long de ces aqueducs allait capter les eaux de la rivière le Gier, dans les Monts du Pilat, dont mon fils Jean a publié l’an passé une description.

— Nous avons tous lu cet ouvrage savant, qui ne peut que nous donner l’envie d’aller visiter ce Mont Pilat. D’ailleurs j’en viens à la seconde nouvelle que je voulais vous annoncer : suite au décès de ma chère mère, à l’automne dernier, je viens d’hériter de différents biens qu’elle tenait de mon défunt père. Il y a les deux immeubles attenants à celui-ci, qui ouvrent sur la petite place voisine, que l’on nomme aujourd’hui place Pandalaix.

L’historien Guillaume Paradin intervint :

— Tout de même ! Quel nom peu élégant ce Pandalaix, j’espère que nous lui en donnerons rapidement un autre. Le commun a déformé ainsi, par ignorance, l’ancienne appellation place du Grand Palais. L’ignorance, mes amis, est un mal à combattre par tous les moyens, et c’est précisément l’un des buts de notre modeste société que de maintenir et de propager un haut niveau de connaissances.

222-18.jpg — Je puis vous rassurer, au sujet de la place Pandalaix, précisa Nicolas de Lange. Le peuple qui se moque de ce nom, et en a fait une injure, commence à la nommer place de la Baleine, à cause d’une enseigne, représentant en réalité un dauphin. Gageons que cette baleine fera couler beaucoup d’encre… et de salive. Mais j’en reviens à mon sujet. Parmi les biens dont je viens d’hériter, il y a aussi la maison forte de la Bernardière, qui appartenait à ma grand-mère paternelle. Elle est située sur la paroisse de Longes, au pied de ces Monts du Pilat dont nous parlait Guillaume du Choul…

— Par Dieu, nous serons donc voisins, s’exclama celui-ci. Vous savez que nous possédons deux maisons fortes proches de la vôtre, sur la même paroisse : la Jurarie et le Grand Torrépane.

— Je voulais suggérer de nous y rendre tous ensemble, aux beaux jours, pour profiter de la campagne et de la vue sur les Monts du Pilat. Et puis Longes est, de mon point de vue, une paroisse des plus intéressantes. Elle semble avoir été fondée par le centurion Longinus, qui lors de la crucifixion de Notre Seigneur Jésus-Christ perça de sa lance le flanc du Sauveur pour abréger ses souffrances, ainsi qu’avaient coutume de faire les soldats romains. Cette lance toute imprégnée du Sang Divin est à mes yeux aussi importante que le Graal lui-même. Nous avons là une raison supplémentaire et captivante de nous rendre à Longes, et nous irons vous visiter par la même occasion, mon cher Guillaume du Choul.

— Mon fils et moi aurons le plaisir de vous recevoir dans nos maisons et de vous y offrir le gîte et le couvert. D’ailleurs, cela me rappellera le bon vieux temps où, dans ma jeunesse, j’invitais les membres du cercle Sodalitum.
— Grand merci pour votre invitation. Alors c’est décidé, n’est-ce-pas ? Vous seriez des nôtres, Maître Philippéus ?

— Par ma foi, je pense que cela doit pouvoir se faire. Oui, j’accepte avec joie de participer à cette réunion champêtre. Vous me ferez connaître la date et les modalités ?

Ainsi fut décidée cette promenade à la campagne, qui devait avoir bien des conséquences, comme le pressentait Monsieur Philippe alors qu’il était en train de regagner son époque et son laboratoire. Il retrouva la nuit, l’hiver et le froid en débouchant rue du Bœuf, vers les dix-huit heures. Son escapade au seizième siècle avait duré bien plus que la quarantaine de minutes de son absence, mais lors de ces « voyages étranges », comme il disait, il avait aussi la possibilité de contracter le temps. À moins bien sûr qu’il n’ait rêvé tout cela…

Le même soir, en sortant de la messe de minuit à l’église Saint-Pothin, dans le sixième arrondissement, les couples Philippe et Lalande notèrent avec satisfaction que le ciel s’était éclairci. De fait, ils ne purent que remarquer face à eux, entre les colonnes du péristyle qui donnaient à l’église un air de temple antique, pile dans l’axe, le « phare républicain » qui tournait au faîte de la tour métallique, construite depuis peu au sommet de la colline de Fourvière. Ce pylône se voulait une réponse laïque à la basilique qui s’élevait à peu de distance, et venait de s’ouvrir au culte. « Si Messire de Lange voyait cela, pensait le thaumaturge, que dirait-il de cette espèce de Tour Eiffel qui s’élève en lieu et place de sa belle maison des champs ? Moi j’aimerais construire une colonne, mieux une Tour Philippe, autrement plus élégante, qui servirait à situer l’ancien domaine de l’Angélique, où nous avons passé tant d’heures heureuses. Dans une prochaine vie, peut-être ? » Tout en regagnant son domicile, Monsieur Philippe se remémorait à présent de d’autres moments passés avec ses amis « de l’autre côté », comme disait son gendre…

Le 24 juin 1557 fut une belle journée d’été, ensoleillée à souhait. Tous les membres de la société de Nicolas de Lange, qui allait bientôt prendre le nom de son domaine, L’Angélique, se retrouvèrent très tôt sur le parvis de la cathédrale Saint-Jean. Généreux comme à son habitude, le riche magistrat avait affrété trois carrioles avec leurs cochers. Tractées par de puissants chevaux, ces véhicules rapides les conduisirent en moins de deux heures jusqu’à la paroisse de Longes, assise sur un gradin naturel entre la ville de Givors, au confluent du Gier et du Rhône, et les premières montagnes du Pilat. La découverte de cette région commença par la maison forte de la Bernardière, austère et basse demeure de pierres brunes, défendue par plusieurs massives tours carrées. Nicolas de Lange montra à ses amis la clé de voûte au-dessus du portail d’entrée, ornée du blason de la famille de la Bernardière à laquelle appartenait l’épouse de son grand-père.

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Puis toute la joyeuse compagnie se rendit ensuite à la Jurarie, maison forte de la famille Du Choul, où le repas de midi lui fut servi. C’était une grande et robuste maison, toute en longueur, joliment exposée, dont l’entrée était défendue par deux tours rondes. Jean du Choul expliqua l’origine du nom Jurarie, composé à partir des mots latins juris et aria, ce qui pouvait se traduire par « autel du droit », en rappel des charges juridiques exercées de père en fils par les maîtres de ce lieu. Les Choul entraînèrent ensuite leurs amis vers leur seconde maison forte, le château du Grand Torrépane, ainsi nommé non parce que sa vue déclenchait une « terreur panique », ainsi que l’affirmait Jean du Choul en guise de boutade, mais parce qu’il était pourvu d’une « tour à pans », c’est-à-dire de plan hexagonal. Jean du Choul tint à ce qu’ils montassent jusqu’au troisième étage de la tour, pour y admirer la vue qu’elle offrait. Serrés derrière l’unique fenêtre, ils s’extasièrent en effet devant la campagne pilatoise qui s’étendait à leurs pieds, d’autant que l’on apercevait au loin leur chère ville de Lyon. On distinguait en particulier la chapelle de Fourvière.

Maître Philippéus restait songeur. Lui qui connaissait l’avenir, puisqu’il venait du futur, savait que cette chapelle n’avait plus que quelques années devant elle, avant d’être détruite par les protestants, lors des guerres de religion qui n’allaient pas tarder à se déclencher. Cinq ans encore à savourer la paix, et le pays serait déchiré pendant plusieurs décennies. Il faudrait attendre bien longtemps pour voir une nouvelle et grande basilique se dresser sur la colline chérie des Lyonnais. « Avec sa couleur blanche éclatante, on la verra bien d’ici, par temps clair, se disait le thaumaturge. Mais il sera nécessaire que la ville de Lyon, dans son expansion grandissante, se dote d’un autre amer, tout aussi visible de loin. Oui, il faudra vraiment que j’y travaille… Dans une prochaine vie… »

Huit ans avaient passé. La guerre entre catholiques et protestants s’était estompée, pour un temps. Le 7 janvier 1565, c’était un dimanche, Nicolas de Lange, veuf depuis peu, épousait en secondes noces Louise Grolier, une petite cousine de Jean Grolier, célèbre collectionneur qui avait fait partie, en son temps, des amis du magistrat. Parmi les convives invités à la noce se trouvait Maître Philippéus. En fin d’après-midi, renouant avec l’antique tradition, les membres de la société montèrent à Fourvière pour y accompagner leur Amphitryon et sa jeune épouse. La nuit tombait mais des torches éclairaient la façade de L’Angélique, la belle maison de plaisance que leur hôte venait de construire. Des colonnes encadraient le portail d’entrée et la lumière dansante des flammes semblait donner vie à leurs chapiteaux sculptés.

— Ne sont-ils pas beaux, mes hermès et mes moustachus ? fit Nicolas de Lange, en montrant le chapiteau de gauche.

À chacun de ses angles, des petits personnages émergeant de gaines végétales, qu’en architecture on nomme des hermès, tendaient les bras en arrière pour tirer les énormes moustaches des têtes centrales, dont la surprise se lisait sur leurs visages aux yeux écarquillés et aux bouches bées.

— Vos hermès sont fort hermétiques, observa Jean du Choul. Et ces têtes donc, avec leurs longues moustaches que s’amusent à tirer les hermès, comme s’ils leur tiraient les vers du nez. Tout cela est très bachique… N’empêche ! Ces moustaches démesurées me font penser à celles de Maître Philippéus.

La remarque fit sourire tout le monde, mais Nicolas de Lange signala :

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— J’avoue que je me suis un peu inspiré de vous, cher Maître, lorsque j’ai fait réaliser ces sculptures. Vous n’êtes point choqué, j’espère ?

— J’en suis flatté, au contraire ! Je suis digne de Bacchus le Brumeux, car voici mes bacchantes figées pour l’éternité… Quant au chapiteau de droite, ne dirait-on pas que ses quatre petites têtes, bouches ouvertes, sont en train de crier les quatre syllabes de mon nom : PHI – LI – PPE – US ?

Tous rirent de cette répartie, et la soirée se poursuivit par les traditionnelles agapes fraternelles. La joie régnait dans les cœurs en ce jour de fête. Mais Maître Phillippéus semblait absorbé par quelque pensée sombre. Une vision de l’avenir, peut-être…

En ce samedi 5 août 1905, l’église Saint-Paul de Lyon était trop petite pour contenir la foule des fidèles venus rendre un dernier hommage à Monsieur Philippe. Littéralement crucifié par le décès brutal de sa fille Victoire, l’année précédente, le thaumaturge s’était éteint le 2 août au Clos Landar, le beau domaine que son épouse possédait dans la petite ville de L’Arbresle, où il aimait tant aller se reposer. Après une première cérémonie dans l’église de cette bourgade, le matin, une seconde messe était célébrée en début d’après-midi en l’église Saint-Paul. Le convoi funèbre se dirigea ensuite vers la « ficelle », terme lyonnais désignant familièrement un funiculaire, qui depuis la place Saint-Paul permettait de monter à Fourvière. En passant devant la gare, grand bâtiment formant l’un des côtés de la place, le disciple de Monsieur Philippe, Jean Chapas, ne put retenir son chagrin. Il se souvenait avoir été photographié, en ce même endroit, en compagnie de son Maître bien aimé. Seuls les proches allaient assister à l’inhumation, néanmoins le funiculaire fut presque trop petit pour contenir tout le monde. On dut se serrer, la montée étant courte heureusement. À Fourvière, au débouché du tunnel, un quai servait à passer du funiculaire au tramway assurant le transfert vers le cimetière de Loyasse. Ironie du sort, à quelques mètres de là s’élevait l’ancienne maison de L’Angélique, devenue magasin de piété, mais toujours ornée de ses chapiteaux et de leurs têtes moustachues. À quinze heures tout était fini, le corps de Nizier Anthelme Philippe reposait pour l’éternité dans sa dernière demeure. Son corps seulement…

Un nouveau Noël étrange…

En ce début d’après-midi du vendredi 24 décembre 1971, le conseiller municipal Philippe de Saint-Nizier, un homme d’une quarantaine d’années, grand et athlétique, descendait à pied depuis les pentes de la Croix-Rousse. Il se rendait à la réunion de la commission urbanisme qui se devait se tenir en l’Hôtel de Ville de Lyon, dans le bureau de son maire Louis Pradel. L’urbanisme était le dada de ce maire sans étiquette, en poste depuis 1957, que l’on qualifiait volontiers de « bétonneur. » Tandis que le jeune conseiller marchait d’un pas assuré, des souvenirs affluaient à sa mémoire, venus des mêmes lieux mais d’un autre temps. Souvenirs de l’époque où il résidait place Croix-Pâquet, ou encore montée du Griffon. Lui ou plutôt un de ses avatars, car né dans le Dauphiné il y avait passé toute sa jeunesse et ne résidait à Lyon que depuis une quinzaine d’années. Nizier Anthelme Philippe, tel était, lui semblait-il, le nom qu’il portait dans cette autre vie, ou dans cet autre univers. Il en avait gardé un certain goût pour le port des moustaches, même si elles étaient désormais courtes et fines. Il se souvenait de son désir de construire un amer pour la ville de Lyon, projet qu’il n’avait pu réaliser dans cette vie précédente, mais qui allait enfin se concrétiser. Il pressa le pas pour ne point arriver en retard.

Louis Pradel prit la parole :

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— Mes chers amis, tout d’abord je vous remercie de votre présence en cette veille de Noël ; nous essaierons d’aller vite en besogne pour vous libérer au plus tôt. Notre réunion d’aujourd’hui, comme vous le savez, a pour but de finaliser notre grand projet de réhabilitation du quartier de la Part-Dieu. À la place de l’ancienne caserne de cavalerie nous allons construire un vaste ensemble administratif, culturel et commercial. Il y aura des bureaux, la nouvelle bibliothèque municipale, un auditorium, une gare internationale, un centre commercial qui sera le plus vaste d’Europe. Mais j’ai voulu que s’y élève aussi une construction qui devra avoir pour ambition de devenir l’emblème de Lyon. Je veux parler d’une tour, l’une des plus hautes de France, dont les plans ont déjà été tracés par les architectes en charge du projet, et qui sont présents parmi nous aujourd’hui.

Le maire observa une courte pause, puis reprit :

— Mesdames et Messieurs, j’ai l’honneur de vous présenter Monsieur Araldo Cossutta, du cabinet d’architecture new-yorkais Araldo Cossutta & associates, qui va construire la tour proprement dite, et Monsieur Stéphane du Château, architecte franco-polonais spécialiste des structures pyramidales, qui se chargera de la pyramide de verre et d’acier destinée à coiffer notre tour. Le cabinet Cossutta a bien voulu réaliser pour nous une maquette de ce building, je vais vous la dévoiler maintenant.

Louis Pradel, dans un geste théâtral, tira le drap de soie blanche recouvrant la maquette. Apparut alors le modèle réduit d’une haute tour cylindrique, terminée en pointe par une pyramide.

— On dirait un gros crayon, fit observer un conseiller hilare.

— Va pour le crayon si vous voulez, je ne doute pas en effet que ce sera le surnom que les Lyonnais lui donneront. Monsieur Cossutta va vous fournir quelques détails techniques.

888-34.jpgL’architecte prit la parole. Il s’exprimait en français mais avec un léger accent italo-américain.

— La tour aura quarante niveaux, elle mesurera cent soixante cinq mètres de haut. Son sommet sera donc sensiblement à la même altitude que l’esplanade de la basilique de Fourvière. Nous l’avons conçu comme si c’était une troisième colline pour Lyon. Sa couleur rouge brique est destinée à se confondre avec celle des toits de la ville. L’immeuble sera essentiellement occupé par le Crédit Lyonnais, qui cofinance le projet, mais les derniers étages seront réservés pour un hôtel, qui deviendra le plus haut d’Europe. Au trentième étage sera un bar panoramique. Quant à la pyramide sommitale, c’est en fait une verrière destinée à éclairer le puits central des étages supérieurs, au niveau de l’hôtel.

— Notre volonté, reprit le maire, est de marquer l’axe d’ouest en est selon lequel se développe désormais notre ville. Il nous reste juste un point de détail à décider aujourd’hui : le quartier de la Part-Dieu est vaste, il nous faut déterminer à quel endroit précisément sera construite la tour. Mes chers amis, qui a une idée ?

Depuis un moment, Philippe de Saint-Nizier examinait le grand plan de Lyon occupant tout un mur du bureau. Plan qui avait été rectifié pour intégrer la future configuration urbaine du quartier de la Part-Dieu. Il mesurait certains axes à l’aide d’une règle et d’un rapporteur de maître d’école, posés en permanence sur une tablette. Voyant l’hésitation des autres conseillers, il demanda la parole, en montrant du doigt un point précis sur la carte.

— Si je puis me permettre, Monsieur le Maire, vous comme l’avez dit cette tour sera un symbole, il sera essentiel qu’elle apparaisse aux voyageurs dès leur sortie de la gare. Aussi je serais d’avis de la construire ici, en bordure de la rue Servient. Mais cette tour emblématique devrait aussi matérialiser certains axes, des lignes de visée.

Parcourant du doigt une longue rue, presque nord – sud, le conseiller reprit :
— Voyez, elle serait dans le prolongement de cette rue-là, ce qui ouvrirait une perspective saisissante sur la tour depuis les abords du Parc de la Tête d’Or ; c’est la rue du même nom, justement. De plus, puisque Monsieur Cossutta évoquait Fourvière, vue depuis cette colline, et je viens de le calculer rapidement, la tour indiquerait le lever du soleil au 10 octobre, jour anniversaire de la fondation de notre ville. Vous ne l’ignorez pas, Monsieur le Maire, vous qui avez inauguré le 10 octobre 1958 la stèle commémorative, à l’endroit même où Lucius Munatius Plancus s’était livré aux rites de fondation, deux mille ans plus tôt. Oui, répéta-t-il, pour moi c’est le meilleur emplacement.
L’acquiescement fut général, et tous admirèrent les connaissances de leur collègue. Louis Pradel paraissait enchanté par cette idée.

— Eh bien mon ami, fit-il d’un ton joyeux, cette tour de la Part-Dieu sera donc une véritable Tour Philippe !

— Ma modestie en souffrirait, Monsieur le Maire. Disons que ce sera pour Lyon un point remarquable, un « amer » comme disent les marins.

Ainsi fut-il décidé. La construction menée rondement, la tour fut inaugurée en 1977. Louis Pradel, décédé en 1976, ne la vit pas achevée. S’il inaugura le centre commercial de la Part-Dieu, c’est son successeur Francisque Collomb qui coupa le ruban tricolore de la tour.

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L’histoire que je viens de vous conter est imaginaire bien sûr, même si les lieux sont réels, ainsi que la plupart des protagonistes, et aussi certains évènements ; j’ai juste voulu rendre hommage, à ma façon, à ce personnage étonnant qu’était Monsieur Philippe. Encore que, selon les principes de la physique quantique, le fait d’avoir imaginé cette histoire l’ait rendue tangible dans un univers parallèle.

En ce 8 décembre, jour de la Fête des Lumières, je déambule dans les rues de Lyon. Ce matin je suis monté à Fourvière, avant que le funiculaire ne soit pris d’assaut par les touristes. Je suis allé jusqu’au cimetière de Loyasse pour déposer un bouquet sur la tombe de Monsieur Philippe, et sur celle, voisine, de Jean Chapas. Puis je suis descendu à pied par la montée Nicolas de Lange, qui longe l’ancien domaine de L’Angélique. Sa maison n’est plus que souvenir. La propriétaire actuelle m’a gentiment ouvert les portes. C’est une dame discrète, mais qui n’ignore rien du passé de sa demeure. Il flotte encore en ce lieu une « atmosphère », comme les effluves d’un temps révolu. Parvenu en bas, au niveau de la montée des Carmes Déchaussés, je n’ai pu que remarquer « le crayon », la Tour Part-Dieu comme on la nomme aujourd’hui, pile entre les deux clochers jumeaux de l’église Saint-Nizier. Ce qui signifie qu’à l’inverse, pour les privilégiés allant boire un verre au bar du trentième étage de la tour, les clochers de Saint-Nizier désignent le domaine de L’Angélique. Et cet après-midi, devant le numéro 35 de la rue Tête d’Or où Maître Philippe exerça ses talents, j’ai observé, fasciné, que cette même tour s’élève pile dans l’axe de la rue. Comme un signe de piste voulu par le thaumaturge :

… « montez dans la tour, et Nizier vous montrera la voie angélique. »

Texte et photographies © Patrick BerlierLes Chroniques de Mars numéro 15, novembre 2014.

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